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CHRONIQUE de Pierre Bachy

LUTETIA ( Assouline Pierre)


Assouline donne un livre réussi, bien construit et émouvant. Les hôtels sont des amorces idéales pour l'imaginaire. Les destins s'y tressent à  l'envi, permettant d'innombrables combinatoires. Mais Assouline est trop féru d'enquêtes pour donner libre cours à sa fantaisie : il s'attache à un  établissement célèbre, s'imprègne de son inimaginable histoire et la transforme en  une fiction passionnante et basée sur des faits réels.
Le Lutetia, seul  grand palace de la rive gauche parisienne, attendait celui qui transformerait  son destin en légende.
Trois époques marquent ce livre.
- L'avant-guerre «  Le monde d'avant », où l'hôtel était le quartier général du Paris mondain et artistique, que l'auteur fait brûler de tous ses feux. Nous y croisons Martin du Gard, James Joyce, le général De Gaulle. - L'Occupation ensuite « Pendant ce temps », où il abrite les services du contre-espionnage allemand : c'est le temps de l'héroïsme et de la veulerie, du sacrifice et de l'opportunisme. Assouline puise dans sa connaissance encyclopédique de la période.
- Enfin la troisième période « La vie après » où l'hôtel fut réquisitionné en 1945  par les autorités françaises pour accueillir les rescapés des camps. Ce volet du livre est le plus éprouvant et le plus poignant.
Manifestement, Assouline s'est servi d'une documentation des plus rigoureuse, qu'il renforce encore par son pouvoir d'évocation.

La grande idée qui porte tout l'ouvrage est celle d'avoir choisi comme figure focale le préposé à la sécurité Edouard Kiefer. Il est Alsacien  et protestant. Son père était régisseur du château de Cheverny, où vivait  le marquis de Vibraye et les siens. Tout le destine à percer les Allemands  à jour mieux que personne. L'Histoire lui en donnera la fatidique occasion. Ce Kiefer qui ne quitte jamais l'immeuble, qui arpente son toit pour prendre l'air ou y sonner du cor quand le règlement l'y autorise, est un prodigieux personnage. Nul recoin de l'établissement n'a de secret pour cet homme au regard chaleureux, attentif, dépourvu de complaisance. Les illustres clients de ce lieu mythique qui jalonnent le récit en accroissent l'intérêt.
Le Lutetia devient alors le cadre d'un huis clos tel un théâtre dans lequel se déroule une tragédie qui le dépasse, mais qu'il symbolise aussi.

Assouline parvient à nous émouvoir et nous bouleverser et là où d'autres n'auraient réussi qu'un ouvrage historique didactique, Assouline a signé un roman historique passionnant et un livre sur les méandres du destin et de l'Histoire.

C'est une force extraordinaire d'arriver à se déprendre du contexte,  aussi tragique soit-il, pour se projeter dans la durée. Le chef-d'oeuvre, en  toute chose, c'est la durée.



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par  Pierre Bachy
pour francopolis septembre 2005 

 

Créé le 1 mars 2002

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