CHRONIQUE de Pierre Bachy
"La dame à la licorne" de Tracy Chevalier
Est-il tapisserie plus célèbre et plus fascinante que «
La dame à la licorne » ? Au Musée de Cluny, à Paris,
en plein Quartier Latin, elle y attire la foule des visiteurs en toute saison.
La genèse des grandes oeuvres donne à Tracy Chevalier des ailes
de romancière, ce qu'on a pu constater dans « La jeune fille
à la perle », succès mondial et mérité,
qui nous menait à Delft au moment où Vermeer peignait son illustre
tableau. Dans son dernier roman, c'est à la tapisserie allégorique
en question qu'elle s'est attachée. L'auteur, Américaine installée
à Londres depuis 1984, retrouve avec La Dame à la licorne le
thème qui l'a menée au triomphe: la genèse d'une oeuvre
d'art célèbre considérée par le biais d'une fiction.
Nous voici à la cour de Charles VIII. A Saint-Germain-des-Prés,
cerné de marécages, où la rue du Four serpente à
travers champs, le miniaturiste Nicolas des Innocents se voit commander par
le mécène Jean Le Viste une suite de tapisseries d'envergure
dont le but avoué est de faire étalage de sa richesse. A remarquer
la structure particulière du récit par le jeu des rééquilibrages
qui donne la parole à chacune des deux familles, puis à tous
les personnages les uns après les autres…Chacun a nécessairement
du monde et des événements son opinion personnelle, différente
de celle des autres.
C'est pourquoi il est
intéressant que chacun s'exprime : enfants et adultes, hommes et femmes,
bourgeois et domestiques. Il est assez curieux que dans un monde où
l'on vivait en vase clos, dans un cercle familial qui ne laissait pas de
place à l'intimité, les gens conservaient des secrets au fond
d'eux-mêmes. On peut parler d' "écriture visuelle"" au sujet
de ce roman, car la tapisserie en dicte la teneur. Tracy Chevalier est de
ces artisans patients qui, forts d'une culture passée, transmise,
atteignent à un universel capable de toucher tout un chacun, avec
même, en prime, cette petite griffe de douleur que l'émotion
juste communique.
Maligne, elle sait mener ses lecteurs jusqu'à ses personnages plein
d'une réalité toute en démesure, mais que seuls les
observateurs attentifs peuvent déceler derrière l'opaque d'un
quotidien trop souvent banalisé. Styliste redoutable, et fin stratège,
elle sème, sans avoir l'air d'y toucher, ici et là, au fil
des pages, ses grains de fiction, et c'est tout étonné, un
peu sonné, que le lecteur pose le livre, un brin peiné, bien
sûr, de s'être laissé mener avec tant de bonheur sur ces
chemins de liberté que sont les vraies créations littéraires.
Elle tisse avec maestria des univers où la simplicité, claire
dentelle aérienne, tente de dissimuler l'obscur des drames qui jalonnent
nos existences.
"La dame de la licorne"
The Lady and the Unicorn (Marie-Odile Fortier-Masek (Traduction)
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par Pierre Bachy
pour francopolis
mars 2005
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