Revues papiers, revues électroniques,
critiques et coup de coeur du livre.








 
actu  
  archives

 

 

 

CHRONIQUE de Pierre Bachy

PARTIR (Tahar Ben Jelloun)

Tahar Ben Jelloun situe la trame de son roman à Tanger dans les années 1990. La ville est gangrenée par le chômage, la prostitution, la corruption et les trafics en tout genre. Le lieu est un parfait observatoire des rêves d'une Espagne située à 14 petits kilomètres. Au café Hafa, Azel Azz El Arab -, diplômé en droit sans emploi, tue le temps, obsédé par l'ailleurs. Quitter le pays. Cest une obsession, une sorte de folie qui le travaille jour et nuit. Comment sen sortir, comment en finir avec lhumiliation? Partir, quitter cette terre qui ne veut plus de ses enfants, tourner le dos à un pays si beau et revenir un jour, fier et peut-être riche, partir pour sauver sa peau, même en risquant de la perdre... Il y pense et ne comprend pas comment on en est arrivé là; cette obsession devient vite une malédiction. Il se sent persécuté, maudit et voué à sur­vivre, sortant dun tunnel pour déboucher dans une impasse.

Sortant dun pub, Azel se fait tabasser par deux hommes à la solde de lhomme le plus puissant de Tanger. Le voyant en mauvais état, Miguel le ramasse et lemmène dans sa voiture. Miguel est un mondain dans lâme. Il adore les soirées où lon fréquente des célébrités. Cela lamuse et il en tire une certaine fierté. Il comprend quune aventure ou même une histoire sérieuse est pos­sible. Il lemmène chez lui à Barcelone avec un visa en bonne et due forme. Il aime la peau mate des Marocains, leur maladresse, mot quil utilise pour parler de leur ambiguïté sexuelle. Il aime leur disponibilité, qui marque linégalité dans laquelle les liens se tissent. Ainsi, tantôt domestique le jour, tantôt amant la nuit. Habillé dune façon quelconque pour faire le marché la journée, vêtu avec des habits de choix le soir pour le désir et lacte sexuel. Nanti parmi les Moros sans papiers qui peuplent les bas quartiers de la cité catalane, voilà Azel, de jour comme de nuit, au service de Miguel. Bientôt, sa sur Kenza vient le rejoindre. Miguel conclura avec elle un mariage blanc pour quelle reçoive également son visa. Pour ce faire, il se convertira à lislam, ce qui facilitera également ladoption de ses deux fils Halim et Halima. Mais, si cette dernière croque sa nouvelle vie avec voracité, le protégé de Miguel s'enfonce dans la désespérance. Il vole des objets de valeur à Miguel qui le chasse de chez lui. Azel prend conscience de sa condition de Moros et se tire.

Il devient alors indicateur de la police terroriste et meurt égorgé par les Frères musulmans comme un mouton à lAïd-el-Kébir.

Au cours du récit pointent les grandes interrogations de ce siècle sur l'identité des peuples, les affres de l'exil, les relations entre le Nord et le Sud, les hommes et les femmes, lislam. Finalement, les exilés sont emportés par le vent du retour. Ils vont sans se poser de question, sans se demander ce quil leur arrive. Ils croient que le destin est là, les tirant vers la terre des origines, les ramenant vers le pays des racines, le destin qui sest présenté à eux comme une sorte dimpératif, une parole non discutable, un temps hors du temps, une ascen­sion vers le sommet dune montagne, une belle promesse, un rêve scintillant, brûlant les étapes et dépassant lhorizon. Ils prennent la route et ont déjà oublié pourquoi ils ont émigré. Ils se dirigent vers le port. Là, une voix intérieure, une voix familière leur demande de monter dans un bateau baptisé Toutia, un bateau modeste où le capitaine a planté un arbre, en fleur et qui sent bon, un oranger ou un citronnier…


par  Pierre Bachy
pour Francopolis Septembre 2006 

 

Créé le 1 mars 2002

A visionner avec Internet Explorer