A
l'orée du projet (voilà comment je perçois les
choses et j'ai bien conscience que cette perception est peut-être
erronée, qu'elle n'est qu'une projection fantaisiste liée
à la lecture que j'ai faite de ce recueil)
Je vois un désir de saisir un visage – celui du peintre qui
n'est plus et dont l'image se dérobe, mais dont le visage, en
autoportrait, juste avant la mort se donne à voir : « Le
peintre, avant de mourir a fait son autoportrait. » Mais je
pressens qu'au besoin de retrouver intact (pour ainsi dire) la chair du
disparu, comme « non-disparu », s'est associé de
façon bien moins consciente la nécessité d'un
lâcher-prise, d'un abandon associatif ouvrant aux variations
amples, mystérieuses, souterraines autour du visage et de la
rose. Le lâcher-prise, comme un lâcher de ballons, permet
d'accéder à soi et aux sources et ressources
secrètes (intellectuelles, artistiques, affectives) non pas de
façon logique, mais émotionnelle en faisant confiance au
secret de sa douleur, de sa sensibilité comme de son savoir.
Béatrice
Bonhomme s'est laissé rêver et ce faisant nous donne
à lire un livre précieux qui résonne de mille
façons différentes et qui charme au sens premier du terme.
Le temps, dans le recueil, est complexe. Il n'est pas linéaire,
il dépend d'impressions qui permettent de juxtaposer le plus
contemporain
« Mais pourquoi le nageur est-il figé sur la toile
devant des enfants qui passent et repassent en riant? » au
plus lointain « Ce visage comme le portrait le plus ancien
découvert dans le Fayoum.» dans un entrelacement
permanent entre diverses époques rendues présentes par le
fil solide de l'émoi esthétique et intime. On ne circule
pas seulement entre les temps, dans un bain culturel ouvert quoique
personnel, on circule aussi dans l'histoire individuelle du
poète qui livre des flashs de souvenirs mais de telle sorte
qu'ils deviennent tableau, vision :
« Il y a quelques pétales et du fond de la
mémoire se lève l'image ancienne d'une petite fille
habillée de tulle blanc, dansant dans la splendeur de ses
cheveux roux et lançant vers le public quelques roses sorties du
panier. »
Quant à l'espace, il échappe au cadre fermé du
tableau. Quelque chose de poreux empêche la délimitation
précise entre le dedans et le dehors : « On remarque
surtout la présence du regard qui vous suit partout dans la
pièce. En face du visage est posé un chevalet. »
Le tableau – à l'instar d'un décor de
théâtre où l'on jouerait Le Chevalier à la
Rose par exemple – est une force vive qui regarde, court, vibre.
« Les enfants courent comme des indiens dans la fresque.
»
Quels enfants ? Le dehors, le dedans, tout se confond, tout est
à la fois ou successivement de chair ou de pigment,
matière pictural ou sang et cris: « La vie
désormais s'est transportée dans le tableau et l'homme,
exsangue, a posé la rose sur ses joues. »
Le recueil de mots (de poèmes) subit le même sort : la
vie, par les mots, se fige et pourtant le dit est résurrection,
vie enserrée dans le coeur des mots, sang fragile et fort :
« La patte du chat est restée enfermée dans le
blanc de la page, comme le piège se referme sur la sveltesse de
sa course. Il reste peu d'énergie désormais dans ce corps
de petit félin, prisonnier de l'emprise des mots. »
Ambiguïté toujours entre la vie (qui devrait se suffire
à elle-même) et l'art qui se veut un substitut de la vie,
une preuve de vie, une survie mais à laquelle « il
reste peu d'énergie désormais ». Créer
emplit le temps, l'espace, la vie mais ne la remplace pas.
Créer est un écho presque plus parfait de la vie que la
vie, mais sa nécessité n'a d'égal que sa
dérision. L'oeuvre est souvent un mausolée de mots, de
pierre, de peinture ou musique qui porte en lui le soupir infini de
l'indépassable de la mort.
Variations
du
visage & de la rose
Béatrice
Bonhomme (L'Arrière-Pays, 2013)
Parcours de Béatrice Bonhomme-Villani.
Elle
est née en 1956 à Alger. Son père Mario Villani
(1916-2006) est peintre. Sa mère est conteuse. Ses quatre frères font de la
musique et/ou de la peinture.
Elle fait ses
études littéraires à Nice; elle est
agrégée de Lettres modernes et enseigne d'abord à
l'université d'Aix-en Provence puis à celle de Nice.
Elle a soutenu une
thèse de 3ème cycle sur Jean Giono, puis une thèse
d'Etat sur Pierre Jean Jouve.
En 1994, elle a
créé avec Hervé Bosio la revue NU(e) qui comptait
fin 2012 plus de cinquante-et-un numéros, tous consacrés
à des poètes contemporains.
Fin 2004, elle a
créé avec Jean-Yves Masson la Société des
lecteurs de de Pierre Jean Jouve.
Dès l'enfance,
elle est imprégnée d'art et de poésie. Dès
l'enfance, elle connaît les paysages méditerranéens
et ceux de la campagne du Berry auxquels plusieurs de ses textes font
référence.
Son art poétique et ses recueils de poèmes.
Béatrice
Bonhomme s'interroge de façon récurrente sur les liens
entre les différents arts et la poésie, mais aussi sur
ceux qui peuvent se tisser entre la poésie et des domaines comme
les sciences et la philosophie. Tout se tient. Les divers champs de
connaissances sont poreux et peuvent fusionner. Le poétique a
pour vocation à se tenir en diagonale, à la
croisée des chemins. Elle le vit au quotidien puisqu'elle est
à la fois chercheur, professeur, écrivain, revuiste,
éditeur et poète.
Au centre de ses
activités se trouve son désir de faire connaître
les poètes modernes et contemporains. Elle est soucieuse de
préserver la mémoire mais aussi de privilégier le
rythme propre à chaque poète quand il s'agit de
traduction. Elle ne néglige dans ses recherches et dans ses
aspirations ni la dimension esthétique, ni les dimensions
éthique et philosophique.
Sa
poésie est élan et réserve, attention à ce
qui advient, disponibilité à ce qui est, à ce qui
se passe en soi et autour de soi, prégnance de la mort , des
souvenirs et des déchirements, sensibilité aux contrastes
de couleurs, d'atmosphère, de lumières.
Voici quelques-unes
de ses oeuvres.
PoésieV
- Le Dessaisissement des fleurs, Rafaël de Surtis, 1997.
- Les Gestes de la neige (1998), Le Nu bleu (2001) L'Amourier
- La Grève blanche (1999), Nul et non avenu (2002), Mutilation
d'arbre (2007)
- Collodion
- Passant de la lumière (2008) , Variations sur le visage &
la rose (2013) - L'Arrière-Pays.
Livres de poèmes en collaboration avec des
artistes.
Il y en a une douzaine.
Livres de critiques
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