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Coup de coeur : Archives 2010-2013

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.


Poème Coup de Coeur du Comité

SEPTEMBRE 2014

Béatrice Bonhomme
William Ernest Henley
Denis Emorine
Thomas Vinau
Jean-Michel Sananes


BEATRICE BONHOMME

Béatrice Bonhomme, poète française, choix Dominique Zinenberg

Premier poème : désert du déchaînement

1
sous les déchirures
du temps
faisant mémoire arrière
le temps déserté,
abandonné

2
Stèles immémoriales
pages pétrifiées
pierres en poussière de sable
en mots-sable
cette glisse entre les doigts
comme grains de sable
les allées ensablées, désertifiées
des mots

3
l'empreinte du pied nu
laisse une trace
derrière les pas
la trace d'une page
évanouissante à la vue
les mots pour redonner
un lien à l'espace
délié du désert
désert impénétrable du livre.

* Deuxième poème : l'univers n'en sait rien

j'écris dans une course effrénée contre la mort
je marcherai toujours avec toi sur les grèves lointaines
notre enfant à jamais blotti contre nous
je t'écris sur les chemins de nos retours dans la présence inédite de ton pas de ton attente renouée au destin
il dit tu traverses les pages du livre de ma vie
je suis ton amoureux jeune et tendre marié
il dit tu es ma vie, l'univers n'en sait rien

* Troisième poème : La chevelure de Bérénice

Pierres mémoriales du sourire
l'hallucination qu'est le regard prochain
toutes les boucles chargées d'or
comme les tombeaux des pharaons,
les nefs chargés de lourds trésors
dans l'ivresse sans nuit de l'enfance
tu frappes à la porte secrète
là est l'eau pure et profonde

Quatrième poème : Variations du visage & de la rose

Le peintre, en plus de l'or, n'a utilisé que quatre couleurs : le noir, le rouge, et deux sortes d'ocre.
Sur la toile de lin, sur la toile de jute, accrochée au mur,
le visage est posé.
Le visage possède une terrible présence.
Le portrait est peint sur bois (de tilleul) ou sur lin.
Des couleurs ont été mélangées à la cire d'abeille.
On peut suivre encore aujourd'hui les traces de pinceau du peintre ou les marques de la lame dont il s'est servi pour étaler les couleurs.

** Voir aussi - Lecture chronique - sept 2014
 Variations du visage & de la rose
 Béatrice Bonhomme

 (L'Arrière-Pays, 2013)


WILLIAM ERNEST HENLEY

William Ernest Henley, poète anglais (1849-1903), choix de Khalid El Morabethi
INVICTUS

Dans les ténèbres qui m'enserrent
Noires comme un puits où l'on se noie
Je rends grâce aux dieux, quels qu'ils soient
Pour mon âme invincible et fière.

Dans de cruelles circonstances
Je n'ai ni gémi ni pleuré
Meurtri par cette existence
Je suis debout, bien que blessé.

En ce lieu de colère et de pleurs
Se profile l'ombre de la Mort
Je ne sais ce que me réserve le sort
Mais je suis, et je resterai sans peur.

Aussi étroit soit le chemin
Nombreux, les châtiments infâmes
Je suis le maître de mon destin
Je suis le capitaine de mon âme.

( Ce poème fut pour Nelson Mandela un soutien et une source d'inspiration durant sa longue captivité.)

William Ernest Henley
(texte original 1931 sur Wikipedia)


DENIS EMORINE

Denis Emorine , choix Dana Shishmanian


Il faisait si froid cette nuit-là...
Tu es resté trop longtemps dehors
A contempler les mots gelés
Le poème se défaisait sous tes yeux
Et tu n’avais pas un geste pour le réchauffer.
Tu étais perdu d’avance
La température baissait de plus en plus
Quelqu’un t’a agrippé brutalement
Par le bras,
Apostrophé dans une langue inconnue
Qui te faisait frissonner
En hurlant les mots de ton poème démembré
                                                           p.33

Toute la journée tu as tourné
Autour de la maison
Des mains froides se posaient sur toi
Elles cherchaient à atteindre ton cœur
Tu n’essayais même pas de te protéger
Des cris te parvenaient de la forêt proche
Tu ignorais s’ils t’étaient destinés
Tu ne savais même pas ce que tu cherchais
Il n’y avait pas de chemin dans ta tête
Toujours les mêmes douleurs en toi
Et la même stupeur à révéler au monde
                                                          p.39

Il faut te résoudre
A céder la place
D’autres écriront des mots pour effacer les tiens
Ils s’en moqueront peut-être
Allons
Ne crispe pas ta main sur un stylo indocile
Sur une feuille qui ne t’obéit plus
La mémoire des hommes
Ne t’a rien appris
Tu l’as toujours proclamé
Même si tu appartiens encore
À cette terre
Pour quelque temps
                                                          p.53

Ne te retourne pas
Ignore les voix suppliantes
Qui savent encore ton nom
Fuis encore une fois
Vers ces paysages qui n’existent pas
Si tu reviens sur tes pas
Ce sera pour te perdre à jamais
Un jour
Tu arriveras tout au bout de la terre
Le vide te fera signe de le rejoindre
Sois-en sûr
Tu lui feras confiance
                                                         p.59

Extraits de son dernier recueil, Bouria. Des mots dans la tourmente, Éditions du Cygne, juillet 2014.

  
THOMAS VINAU

Thomas Vinau, écrivain et poète français, choix de Gertrude Millaire
L'homme mesure

L'homme mesure
ça le rassure
c'est une drôle de manie
il a mesuré la terre
l'eau même l'air
et puis le ciel
peut-on mesurer le ciel
et son usure
peut-on mesurer l'usure du ciel
l'enfant pose la question
l'homme se retrouve bien bête
mesuré mais muselé
l'homme mesure
l'enfant lui
démesure

tiré du recueil : Juste après la pluie
.« Je défends une poésie sans chichis, une poésie du présent.  Elle doit sentir l’odeur de chaque matin, être comme ces nuages suaves et sombres formés par des milliers d’oiseaux dans l’automne.

**
Un livre, ce n'est pas un dialogue. Ce n'est pas une réponse, ni une discussion. Un livre, c'est quelque chose qu'on te donne. Des mots qu'on te met dans les mains en te touchant l'épaule. Rien de plus. Rien de moins. Rien d'autre.

tiré du recueil : Nos cheveux blanchiront avec nos yeux



JEAN-MICHEL SANANES

 
      Jean-Michel Sananes, choix d'Éliette Vialle.

Amis, un jour je partirai

Amis, un jour je partirai dans le silence des mots inécoutés
Je partirai avec tout ce que je n’ai pas fait, pas dit, pas écrit
Je partirai comme une encre effacée
Je m’en irai loin, loin de vous et des miens
Parmi les enfants du néant, dans les immensités de l’in-savoir.

Amis, peut-être nous sommes nous déjà rencontrés
Dans un monde ailleurs au profond des réalités incontournables
Peut-être même avons nous échangé quelques mots, une phrase
Ou un poème en ce langage des cœurs, que nul n’enseigne
Alors même qu’il est indispensable aux humains.

Amis, peut-être avons-nous bousculé la raison
Jeté des pavés dans la mare aux certitudes
Peut-être avons-nous cartographié quelques-unes des hiéroglyphes du Mystère
Peut-être même que du haut de nos cultures, nous les avons brutalisées
Parce que pour les approcher, il nous aurait fallu être nus de culture et de savoir
Il nous aurait fallu les décrypter loin des bibles et des guides de savoir-vivre.

Il aurait fallu tant et si peu de choses pour que le regard soit autre
Pour que l’autre soit un prochain
Pour que l’indifférence n’obstrue plus le paradis
Il aurait fallu refaire la matrice et désinventer le crime
Il aurait fallu plus de rêves que de réalisme, plus d’amour que d’argent
Vous le saviez amis
Et pourtant, peut-être nous sommes nous jamais rencontrés.

Où allez-vous, ou courez-vous amis ?
D’où venons-nous amis ?

Tant de temps que je vais ma route
Que je parcours l’agitation désespérée de milliards d’hommes
Qui se cherchent à la parade dans une course effrénée aux images
Sans jamais, sans jamais regarder en arrière, sans jamais voir en eux.

Si la vie n’était ce virtuel où les contraintes empêchent de vivre
Peut-être aurions-nous pu nous rencontrer amis.

Un jour, peut-être, nous rencontrerons-nous plus loin que nos états d’âme
Cabotant ou dérivant vers des continents de fraternité ininventés
Peut-être traverserons-nous ensemble les fleuves de la vie et de la mort.

Peut-être partirai-je sans que nos vies se soient croisées
Peut-être partirai-je sans avoir usé la Question.

Peut-être qu’à la traversée du Siècle
J’aurais dû cesser de chercher un sens au voyage et partir sans boussole
Ne plus user mes mots et mes cris à pleurer sur l’abdication de la beauté.

Peut-être aurais-je dû comprendre que la sagesse est dans l’acceptation
Et ne jamais croire que l’acceptation est un renoncement
Peut-être aurais-du bâillonner les cris de ma conscience
Ne plus arpenter le rêve et l’amour
Ne plus vouloir en habiller ceux que j’aime.

À la croisée des jours, j’ai voyagé, tendu la main, appelé
Lancé des bouteilles aux étoiles, à la toile, et aux quatre univers.

Peut-être me suis-je trop nourri de tendresses d'enfants
Ai-je trop traversé la larme et le rire
Ai-je trop oublié mes certitudes
Amis, je vous ai cherchés en ce royaume de chair et de sang
Où mon rire se noie dans la marée des jours perdus
Si dans cet ici, Dieu n'a jamais occupé plus de place que mon chat
Ne Lui en tenez pas rigueur, peut-être aurait-Il pu être, aussi, mon Ami
Les êtres de l’absence ne portent-ils pas plus de rêves
Que les cyniques terroirs du visible ?

Amis, quand viendra l'instant, je partirai riche d'amour
Et plein de ceux qui ont donné sens à ma vie
Je partirai dans le silence des mots inécoutés
Du fond de ma vieille peau d'enfance froissée
Je suis prêt.

JMS - Clinique St George fin 2012

Coup de coeur
 
Dana Shishmanian, Khalid El Morabethi,  Éliette Vialle,
Dominique Zinenberg, Gertrude Millaire  
Francopolis, septembre 2014

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