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Notes sur 
"Vingt poèmes pour traverser la nuit"

(Edilivre, mai 2012)



Anderson Dovilas


par



Dana Shishmanian
Ce recueil est une édition nouvelle de la première parution (éditions Lafont, République Dominicaine, 2011) ; elle donne plus de chances à la reconnaissance dans les milieux littéraires francophones, et notamment en France, de ce poète exceptionnel qu’est Anderson Dovilas1, que nous avons déjà présenté en tant qu’invité au Salon de lecture 2 (mars 2012)

C’est un recueil d’une grande densité d’écriture, dans lequel le poète engage un bras de fer (ou une danse ?) avec la nuit ; une nuit autant symbolique que réelle, en même temps obstructive et féconde, car sa traversée se pose en exploit mythique (qu’on se rappelle les Hymnes à la nuit de Novalis). Mais un exploit ancré dans l’humaine condition, presque prise en dérision, d’un voyageur jongleur de mots et d’un picaro impénitent des aventures langagières, en quête d’un endroit où se fixer comme dans l’image du père.

Si la certitude a un côté de chair
Je vous aime sans kilomètre à prendre
Sans pluriel de sexe (…)
Je vous aime phrase délicieuse
Sans paraphe d’Adieu
Comme un enfant portant la signature
D’un père à gagner     (Je vous aime à traverser la nuit)

Ce soir
J'ai une cargaison de minutes douces
A livrer en chair et en os  (…)
Attention les dames mariées
On dirait que la vie
Va me déposer quelque part
Quelque part entre tiédeur
Et propos de circonstances
Quelque part en prose
Sur les ligaments de l'instant (…)
L'enroulement est clandestin
Et de passage il quittera
Des blessures sans fissure
En trémolo de verbe décousu    (En miettes de nuit)

Le parcours emprunte des  méandres en styles divers au gré de rencontres insolites comme d’un Kerouac parcourant l’Amérique (le cycle est écrit à l’occasion d’un voyage aux États-Unis) ; la voix du poète glisse sans crier gare des accents lyriques au pamphlet. Une colère rouge teintée d’un humour noir, corrosif sous-tend cette poésie apparemment narrative, dans laquelle sont serties, telles des bijoux, des métaphores d’un bel éclat sombre :

Ne soyez pas bizarres mes amis

Le silence est parfois
Une chanson qui saigne (…)
Tout a commencé avec une photo
Sans témoignage occulte
Mais témoin d’un trottoir
En sauce d’image inimaginable
Nous sommes à la tendresse d’une mère
Humiliée par un fusil
Sans commande de deuil
Sans histoire orphelin des entrailles
On pourrait lui offrir une bourse
Pour étudier le secret des droits humains
Pour étudier l’amour après la mort
Pour étudier mourir au plaisir de l’autorité
Mais le temps était si pressé
De l’abandonner au milieu de ses larmes
On lui a offert un chèque
Au titre de trois cadavres
De même taille que le gaspillage
De son lait maternel
De même taille que les baisers de l’aîné
De même taille
Que le visage mutilé du second
De même taille que la caresse du benjamin (…)     (Récit à nuit blanche)

Mais c’est surtout et partout l’inventivité verbale, l’imagination débridée, l’entre-coupure des plans sémantiques, le télescopage des images, la surprise des associations, le jeu de miroirs du « je », entre auto-démystification et invention d’un soi de l’écriture, qui séduisent le lecteur, en le convaincant d’être en présence d’un poète en pleine possession de ses moyens.

Quelques exemples encore :

Je fais la caricature d’une voix cachée
Derrière des fenêtres de prose
Pour parler des femmes vêtues de forme indéterminée
Toutes femmes connaissent par cœur
Les instruments de lune à murmurer
On dirait une Ode à la requête
D’une audience d’amour
Elles savent aussi
Comment parfumer un rêve
Avec la présence de l’autre, son absence et son oubli    (La nuit n’est pas le premier secret
des baisers bleus)

Je vis au présent d'un paradoxe à définir
Et les mouvements de la vie ne peuvent pas sécher mon âme (…)
Je chausse du temps froid dans ces vers
Et je m’exprime en tabouret
Pour asseoir quelque chose
Qui n'a pas le coté sourd des choses     (Préface de la nuit)

En peine de lieu je tiens une feuille (…)
Je n'écris pas plus sage que le vent
Je l'admets
Ni oser dire que j'ai la caricature
De sa tendresse à lever les jupes
Qui séduisent la rue
Et à clouer les cheveux raz-oreilles
Mais j'ai un sens légitime plus que cette rose
Qui obéit à son charme tous les matins
En gros et plats je vis en morceau
Sans fraîcheur d'espoir
Sans raison d'ombre au bout du doigt     (La nuit, multiple de sang)

Dans tes yeux le soir a quitté son odeur
Comme une caresse de chauve-souris (…)
Tu n’es ni d’ombre
Ni d’aube
Mais tes paupières en fragment de consonne
Consolent le règne lexical    (La nuit, un poème de tes yeux)

Tu portes sur ta peau l'éclat d'un repos sublime, comme une dette de rayon anucléé de corps-calleux. Allons à la mer mon amour, pour sécher l'écaille du soupir des mots tendres.  (…) Allons à la mer, il y a tant de sel à sceller dans l’eau.    (Nuit d’été)

Et si les vingt-quatre heures
Sont en parités nuptiales
Apportez-moi les menottes d’une préposition douce    (Une paire de nuit)

Voici un homme à cœur rasé
Toute forme de luxe lui est égale
Dans son jeune âge
Il a eu un premier mariage
Par promesse de mort        (En Nuit posthume)

Je me présente comme une manière
A escalader la routine
Des erreurs comme à l’ordinaire
Des voyelles mauves refont surface
Quand j’épelle ta bouche dans ma bouche
Et si près et si loin de toi
Je me condamne au convexe des cailloux figés de sens    (En infini de nuit)

Un des plus inspirés et des plus talentueux de sa génération, Anderson Dovilas est un auteur dont on attend beaucoup. On sent à l’origine une source qui ne tarit pas, et à l’arrivée, un grand fleuve puissant, capable de charrier sans discrimination grosses bûches d’arbres morts et fleurs de printemps, maisons emportées par les eaux et cadavres d’une tuerie collective, radeaux de fortune et paquebots de luxe. Que la course de ce fleuve puisse se dérouler à son entière mesure.


Dana SHISHMANIAN

 

Liens
1.Anderson Dovilas
2.Salon de lecture mars 2012

 

    

 "Vingt poèmes pour traverser la nuit" Anderson Dovilas,
présenté
par Dana Shishmanian
Francopolis mai 2012

Créé le 1 mars 2002

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