LECTURE  CHRONIQUE


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Éloge de l'imperfection de Hassan Wahbi.
Poésie. Éditions Al Manar, 2012


Changer la vie

         La poésie n'est décidément pas une écriture comme les autres. On a beau dire, médire, parfois même maudire devant l'inconfort où elle nous place, il n'empêche qu'elle nous nourrit, souvent à notre insu, quand ce n'est pas à notre corps défendant. Ce qui parle chez un poète, à la fois le masque et le dévoile, c'est un pluriel de voix, une mélodie de l'être et des choses qui l'habite, le tourmente et lui ouvre la possibilité du chant. Dans Éloge de l'imperfection, publié aux éditions Al Manar en octobre 2012, avec un dessin de Farid Belkahia en couverture et une préface de Abdellatif Laâbi en prime, Hassan Wahbi n'hésite pas à se retourner sur ce moment privilégié où la poésie tombe sur soi et nous pense / quand tout le monde est parti.

         Mais l'essentiel du recueil est ailleurs. Né du pressentiment d'une rupture, de cette inquiétude fondamentale qui affecte le poète et féconde son regard, il invite à repenser la vie à l'aune de ce que nous en faisons, de ce que nous en perdons, histoire de voir clair / dans la confusion / des choses / la confusion de soi-même / derrière de vieux masques / invisibles. Fragmentaires par nature, aux confins de l'ombre et de la lumière, les poèmes s'enchaînent dans un affrontement d'arène et une poussière d'être où l'on reconnaît pèle mêle notre désir imparfait de vivre, les jours qui masquent les jours, les nuits qui ensevelissent les nuits, ou encore ces amours qui ne guérissent / rien.

Avec ce recueil, comme il l'avait fait dans les deux précédents, Ici et La Part de lumière, Hassan Wahbi participe aux grandes interrogations de la poésie contemporaine pour faire l'expérience d'un [monde] qui semble n'être / que la rumeur d'un rêve.  Assis au large de soi, le poète se met à l'épreuve de la dualité, entre le poids des habitudes et la quête d'un autre destin, entre un ici décevant, inachevé, inassouvi, et un désir d'ailleurs, entre la fièvre du passé et un futur improbable. Chaque page de Éloge de l'imperfection résonne de ces désajointements où chaque jour / nous nous unissons à nous-mêmes / chaque jour / nous nous séparons de nous-mêmes. Des jours où l'on vit continuellement / dans l'agacement / du même alphabet, où l'on [se réfugie] dans le connu, /.../ vivant épinglé / à sa propre horloge.

         Que faire alors sinon se fondre dans une nouvelle promesse en oubliant la première / dilapidée dans la poussière / des promesses ? Les questions claquent, s'enroulent et se relaient pour traquer ces évidences qui nous aveuglent et porter jusque dans les mots l'énigme de l'homme d'aujourd'hui : comment vivre juste /.../, comment parler sans être / meurtri / par ses propres lèvres /.../, à quel moment / y-a-t-il progrès de soi-même, / dans quel lieu se sent-on / uni à soi-même ? / …/, à quel signe reconnaître sa vraie vie ? La métaphore du chemin croise souvent celle de l'espoir pour dire le désir conjoint de s'arracher à la pauvreté du réel et de vivre autre chose. Car il ne faut jamais désespérer de l'aube, rappelle Abdellatif Laâbi dans sa préface.

     

Mais loin de réconcilier l'homme avec les mots, l'écriture poétique cherche au contraire à le désorienter, à lui faire perdre ses repères, pour l'inciter à oser de nouvelles voies et sortir enfin du labyrinthe des habitudes. « Changer la vie » disait Rimbaud. Éloge de l'imperfection apparaît ainsi comme lieu d'une traversée initiatique qui part du constat interrogatif pour mesurer les fractures de notre existence avant d'entrevoir un autre destin, d'autres possibilités de vie. Toute la tâche du poète est justement de voir au-delà de ces possibles [qui] n'ont faim / que de nos attentes.          

         Assurément, ce recueil nous fait prendre conscience de beaucoup de choses, à commencer par admettre que le changement est d'abord en soi. Dans notre regard. Dans l'urgente nécessité de refuser de vieilles vérités comme ces ordres de marche venus du ciel ou de la terre qu'on nous impose comme une fatalité. Avec des doutes de philosophe, un parti pris du présent, une façon d'arpenter le langage dans son immédiate transparence et de creuser le sens avec l'opiniâtreté d'un laboureur, Hassan Wahbi éveille en nous l'idée de laisser à la vie son désordre, son humaine imperfection, puisque le contraire est haïssable.

 

                                                                            Jacques Alessandra

 

Hassan Wahbi, auteur, enseigne la littérature française et l’histoire des idées et des questions interculturelles et d’esthétique à la Faculté des Lettres d’Agadir (Maroc).
Il a publié deux monographies critiques sur l’écrivain Abdelkébir Khatibi : les Mots du monde et la Fable de l’aimance, un livre d’entretiens avec le même écrivain : La Beauté de l’absent et deux recueils de poésie, Ici et La Part de Lumière (l’Harmattan, 2009 et 2010).

D’un désir l’autre
rien n’est achevé

l’abîme est là
au sein du souffle.


Présentation du livre par :
- Abdellatif Laâbi

“Je me suis permis d’allumer une simple bougie pour que l’on puisse lire à sa tendre lueur l’Eloge de l’imperfection de Hassan Wahbi car, par les temps qui courent, il fait sombre, il fait noir tout autour de nous. Et dans cette nuit sans rivages, le poète est là qui nous parle à voix basse, nous tient la main si besoin est, fidèle à son antique et si actuel office, celui de nous rappeler encore et encore les exigences de notre métier d’homme : ne pas baisser les bras, rester éveillé, ne jamais désespérer de l’aube.”

 - H. Wahbi

“Une poésie douée de lucidité qui ne compense rien, qui abolit la sécurité métaphysique et libère le regard sur le monde, sur les signes de son propre séjour, procédant par questionnements, par périples, par pensées rêveuses, par inflexion des voies ; dans une espérance sans appui, mais soucieuse de la beauté des incertitudes, de l’intranquillité combien humaine. Il subsiste constamment et finalement une grande imperfection et c’est là où recommence l’existence, ses actes poétiques, son essor éclairé.



Publié Chez Editmanar

(Commande par courriel, chèque 14 euros ou sur le site de l'Éditeur par paypal)


Jacques Alessandra a aussi publié un article sur "Abdellatif Laâbi", juin 2007


Éloge de l'imperfection

présenté par Jacques Alessandra
Francopolis septembre 2013

                                                                                                                                                                                            Créé le 1 mars 2002

                                                                                                                                                                                        A visionner avec Internet Explorer