Je suis
particulièrement
heureux de rendre hommage à l’œuvre d’Abdellatif Laâbi que
vous
avez choisi d’honorer pour ce premier Festival des poésies
marocaines
d’Agadir. Je remercie les organisateurs de me donner l’occasion de
célébrer
ainsi le quarantième anniversaire de cette œuvre qui est, sans
conteste,
l’une des plus importantes du patrimoine littéraire marocain.
Mais
il faut aussi se réjouir de rendre hommage, ici et aujourd’hui,
à
un écrivain dont les livres sont restés longtemps
interdits.
Aussi loin que je remonte, ma mémoire du Maroc s’est toujours
confondue
avec celle de sa poésie. J’ai découvert pratiquement en
même
temps, au début des années 80, les poèmes de
Mohammed
Khaïr-Eddine, de Mohamed Loakira et d’Abdellatif Laâbi. Je
ne
peux vous dire à quel point ces voix ont
représenté
et continuent de représenter pour moi, le sanctuaire intime de
tout
un pays. Dans ce triumvirat poétique, Laâbi a tout de
suite
occupé, à mes yeux, une place de choix. Il sortait de sa
citadelle
d’exil. Très vite, j’ai voulu le rencontrer. Cela fait
maintenant
25 ans que ses livres m’accompagnent, que l’auteur me témoigne
son
amitié, et j’en suis vraiment fier.
Pendant toutes ces années, l’œuvre poétique et
littéraire
d’Abdellatif Laâbi n’a cessé de croître, de se
propager,
au Maroc bien sûr, mais aussi en France, en Europe. Au fil des
publications,
des rééditions et des traductions en arabe, en espagnol,
en
allemand, en anglais, en italien, en turc, l’œuvre a acquis une
renommée
internationale. Devenue essentielle, elle occupe désormais une
place
de choix dans le monde littéraire ou dans ce qu’on appelle,
depuis
peu,
la littérature - monde
en français.
Il y a en elle une thématique, comme une partition où
l’on
déchiffre à la fois le chant singulier d’un homme qui
souffre,
aime et se bat et le chant général de tous les hommes qui
souffrent,
aiment et se battent. Le sujet central de l’œuvre, c’est la condition
humaine.
Laâbi est véritablement passionné par la
complexité
des rapports entre les hommes, entre l’homme et la femme, entre l’homme
et
son bourreau, entre l’homme et lui-même.
Il y a en elle une esthétique qui permet au poète
d’écrire
l’indicible dans une langue qu’il s’invente, dans
une langue inédite,
comme il le dit lui-même,
et
en même temps coulant comme de source.
Tout un courant de dérision parcourt aussi ses poèmes,
souvent
pour en désamorcer la gravité et stimuler notre regard
sur
les réalités que l’auteur condamne. Ajoutons à
cela
que l’œuvre est accompagnée de bout en bout par une cohorte de
réflexions
sur le travail de création et qu’elle peut se lire comme une
sorte
d’art poétique en acte.
Il y a en elle, enfin, une éthique qui reconnaît à
l’écrivain
des droits et des devoirs, notamment le droit de parole, le devoir de
mémoire,
le devoir d’exil. Laâbi a toujours eu l’ambition d’instituer la
poésie
comme salut,
pour venir en aide
- comme il le dit dans
L’Ecriture au
tournant
-
à celui qui…croit encore
à quelque utilité de l’écriture.
Tous ses recueils, ses récits, portent en eux un poids de
vérité
et de sincérité. Et de plus en plus nombreux sont les
lecteurs
qui se reconnaissent à travers cette voix qui a fait de son
expérience
du déchirement une philosophie. Une philosophie du possible
où
fusionnent les idées de résistance, de survie,
d’espérance.
La valeur de l’œuvre d’Abdellatif Laâbi dépend, pour une
large
part, des événements personnels ou collectifs qui la
fondent
et du discours sur l’homme qu’elle creuse inlassablement. Mais elle
provient
aussi du futur qu’elle promet et d’une écriture qui met l’espoir
à
portée de main. L’extrême attention que l’écrivain
accorde
aux enfants découle de cette promesse. Il faut y voir le souci
de
former les citoyens de demain en leur donnant à lire des
récits
qui les font réfléchir, qui les aident à grandir,
à
comprendre les autres, à se comprendre. Le
conte de Saïda et
les voleurs de soleil est
l’exemple parfait de ce que peut apporter la littérature
à
un enfant. L’universalité de son propos parle au plus intime du
jeune
lecteur, exige une interprétation de sa part, et tant pis si
l’œuvre
échappe à son auteur, si elle paraît parfois toute
autre
que son auteur l’avait imaginée, le dialogue n’en est pas moins
amorcé.
Vous l’aurez bien compris : ce qui est valable pour ce récit et
les
enfants l’est aussi pour les autres ouvrages et les adultes.
Voilà pourquoi, au Maroc comme ailleurs, on ne peut se passer de
lire
Laâbi, tout Laâbi, depuis les ouvrages du temps de
Souffles
qui ont introduit de la perturbation dans la littérature,
jusqu’aux
plus récents qui continuent de dissoudre les évidences en
propageant
une parole pleine d’espoir et de vie.
Quelques liens sur cet auteur:
Son site officiel.