C. S.
Quand la Poésie devient
Alchimie, elle permet à l’écrivain de métamorphoser
ses vers en paillettes d’or. Le poème devient alors cet alambic à
l’aide duquel le poète-magicien extrait la quintessence de la vie,
à savoir l’Amour. C’est dans cette perspective que la poésie
de Corinne Sauffier constitue une tentative de quêter le vrai et l’éternel
Amour. En plaçant son recueil sous l’égide de la « Courtisane
sacrée », la figure centrale de l’œuvre éponyme prend
une quadruple dimension : par un processus alchimique des plus sublimes qui
est celui de la poésie même, la Courtisane sacrée incarne
tour à tour la poétesse, la sorcière, l’alchimiste et
la druidesse.
La Courtisane « poétesse »
En sublimant l’Amour en œuvre
d’art, la Courtisane sacrée atteint l’apogée du processus créateur.
Cette « transsubstantiation » par laquelle le sentiment devient
parole, puis chair, est à l’origine d’une recherche qui, à
la fin, s’avérera stérile étant donné que le
degré d’initiation requis n’est pas encore atteint pour atteindre
cet objectif. En vraie héritière de Théocrite, de Virgile
ou encore de Millevoye, Corinne Sauffier place sa Courtisane sacrée
d’abord dans un cadre bucolique :
Près d’une cascade, je baignerai mon corps…
Je n’aurai pour parure qu’un seul collier de nacre…
Dans le ruisseau brilleront des pépites d’or…
La nature se prépare à fêter notre sacre !
Quand un poète est amoureux,
cela ne demeure pas sans influence sur le milieu naturel. L’environnement
semble rendre hommage à son plus éminent exégète
en célébrant avec lui ses noces, car le poète est le
seul à savoir décrypter les secrets de la Nature dont les clés
sont l’Amour absolu et l’Harmonie.
La Courtisane « sorcière »
La protagoniste ne se limite
pas à une sublimation de ses sentiments en une œuvre de qualité,
elle va beaucoup plus loin encore. Dans cet ordre d’idées, la Courtisane
sacrée n’est pas seulement la vilaine sorcière qui, telle une
Médée, laisse libre cours à sa rancune face à
ses concurrentes, mais elle est aussi le chaman qui donne à ses paroles
d’amour la valeur de mantras :
Nous voilà réunis par tous les hymnes !
Nous voilà réunis dans le ciel des amants !
Nous voilà emportés dans une fête païenne,
Dans un amoncellement d’or, de talismans !…
Elle sait profiter savamment
de son pouvoir enchanteur – qui repose sur la seule parole (le pur logos)
et non pas sur des élixirs servant de philtres – pour réaliser
ces rêves.
La Courtisane « alchimiste »
À l’instar d’un
vrai traité d’alchimie, l’œuvre de Corinne Sauffier repose entièrement
sur les sept principes ésotériques tels que les définit
Hermes Trismégiste dans le Corpus Hermeticum :
1. tout est esprit et l’esprit est dans tout. Dans cette
perspective, la Courtisane sacrée adopte elle-même les caractéristiques
de l’esprit et incarne la force de l’Amour suprême dans toutes ses
formes ;
2. ce qui est en haut est à l’image de ce qui est
en bas et inversement. En d’autres termes, ce qui vaut pour le macrocosme
vaut aussi pour le microcosme et vice versa ;
3. tout ce qui existe est en mouvement. Rien n’est statique ;
4. tout sur
terre repose sur le principe de la bipolarité : nous connaissons la
lumière parce que nous savons ce que c’est que l’obscurité,
nous savons ce qui est grand parce que nous le comparons à ce qui
est petit, etc. ;
5. chaque
être et chaque chose existent dans une sorte de rythme universel :
tout monte et retombe et c’est ce rythme qui compense chaque mouvement ;
6. il n’y a pas d’effet sans cause tout comme il n’y a
pas de cause sans effet. Ce principe justifie la réincarnation : l’âme
doit renaître pour remédier à ce qu’elle a fait de mal
pendant ses vies antérieures ;
7. dans chaque être et dans chaque chose, il y a
des éléments masculins et féminins. C’est de l’union
du yin et du yang que naît la vie astrale et terrestre.
La Courtisane « alchimiste » constitue la symbiose entre ces sept principes et donne ainsi naissance à l’Harmonie entre l’anthropos et le cosmos, entre le logos et l’eidos, entre le profane et le sacré.
La Courtisane « druidesse »
Comme nous l’avons appris de
Diodore de Sicile, les druides sont souvent considérés comme
des mantéis, des devins. En suivant le modèle de ces prêtres gaulois,
la Courtisane sacrée de Corinne Sauffier interprète les oracles
stellaires selon les règles de l’apotélesmatique (« Il manque une étoile dans mon ciel diaphane ») ainsi que les symboles de la nature (« Le tronc est tout couvert de signes »).
Mais les présages sont mauvais, car les divinités n’apprécient
pas les excès commis par les hommes :
L’amour fou fait rager les déités !
Les forces du mal s’abattent sur vous, l’on ne sait pourquoi !…
L’unique moyen d’éviter
les abus, c’est de se laisser guider par un Maître spirituel. La Courtisane
sacrée – à la fois poétesse, sorcière, alchimiste
et druidesse – devient une initiée et sa seule croyance est celle
de la Poésie. Au terme de cette initiation, elle doit pouvoir saisir
l’Amour dans sa forme la plus pure. Il ne s’agit pas d’un amour charnel,
mais de la sérénité de l’âme qui est désormais
en parfaite harmonie avec le cosmos et qui unit en elle-même les pôles
opposés, les causes et les effets, le masculin et le féminin
:
Mon Maître, je dois vous l’avouer, ne croit qu’en la Poésie,
la forme superlative de la vie et il ne cesse de clamer à tout bout
de champ :
« C’est l’or du langage, c’est la chair des dieux, c’est le cœur secret du temps !
Il faut d’urgence renouer avec l’alliance céleste, l’harmonie du Ciel et de la Terre !
C’est la clé de voûte de l’univers ! »
De cette union entre Ouranos
et Gaïa naît l’âme du Poète. La Courtisane sacrée
qui, au départ, était trop attachée à la matière
et surtout à la chair doit se débarrasser de son corps afin
qu’elle ne devienne plus qu’esprit.
L’initiation doit sans cesse être renouvelée, ce qui procure
au poème une dimension cyclique. Toute quête ésotérique
est – comme son nom l’indique – une quête de soi-même qui doit
permettre à l’âme d’évoluer et de monter progressivement
dans la hiérarchie spirituelle. La Courtisane sacrée l’aura
compris : elle ne pourra atteindre le stade de l’Amour suprême que
lorsque son âme aura assez progressé sur l’échelle de
l’évolution. Or, ce repliement sur soi n’est pas sans danger : si
l’évolution requise n’a pas été atteinte, l’âme
sera obligée de se réincarner pour porter remède à
ses erreurs et elle devra recommencer son projet :
Qui aurait dit, il y a peu,
que je suivrai moi aussi cette dangereuse spirale, allant jusqu’au fond de
moi, voltigeant avec tous les gouffres, dans une paralytique torpeur ?…
Il s’agit de la palingénésie de l’âme dans une visée
anagogique. Mais pour que cette métempsycose puisse avoir lieu, elle
doit d’abord passer par une sorte d’apocatastase : dépérissement,
puis régénération (« Tout s’ensemence et tout recommence !
»). Reste à savoir combien de fois la Courtisane sacrée
devra se réincarner avant d’avoir atteint le niveau spirituel exigé
pour faire partie des sphères supérieures et pour pouvoir atteindre
à cet Idéal qu’est l’Amour dans sa forme la plus sublime et,
par conséquent, sa seule forme astrale.
Corinne SAUFFIER, Courtisane sacrée, Aix-en-Provence, Éditions Persée, 2007, 138 p. (ill.)
ISBN : 978-2-35216-059-5
Prix : 12,00 €