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MOTS COMME LA ROUTE
de
Dominique Grandmont
Ed. Tarabuste (12 Euros)

par
Xavier Bordes




Au poème laissant sur la page les esquilles d’un égocentrisme calciné, Dominique Grandmont préfère la générosité et « l’exocentrisme ». Large respiration d’un poète depuis longtemps physiquement impliqué, mêlé à un monde dont il édifie la réalité à partir de la seule dimension humaine. Auteur d’une œuvre considérable en poèmes, essais, romans, il a tenu une chronique sur la poésie dans L’Humanité et travaillé à la radio. On lui doit une œuvre de traducteur exemplaire : traductions de Ritsos, de Holan, de Sieffert, de Cavafis en particulier.    

Dominique Grandmont est né à Montauban le 25 janvier 1941. Militaire et musicien, il change son « fusil d’épaule » et bascule dans la littérature, si profondément qu’il « atterrit » en poésie, en même temps qu’il séjourne en Grèce. (La revue Autre Sud lui a consacré un numéro avec Philippe Leuckx, Christophe Marchand-Kiss, Jérôme Mauche, Patrick Trochou, André Ughetto et François Rannou.)

Dans « Les mots comme la route », dont la richesse précise s’organise autour du voyage-marche poétique qui est sa manière d’habiter cette terre, on trouve à la fois du poème et de la réflexion (rigoureuse) sur le poème. Je ne puis me tenir de faire entrer le lecteur par là (p.17) :

« Au commencement est le verbe, et le peuple des morts en est la réalité sans parole. Le monde ne finira pas, car l’esprit s’est matérialisé une fois pour toutes, et le temps ne s’achève que pour nous rendre à notre liberté première. Les poètes savent bien qu’on peut vivre sans exister. Ils savent que la chose est égale au mot, le corps à son image, à ceci près qu’il faut donner sa vie pour y parvenir. Le rien est le milieu de tout et non l’inverse. Cela non plus n’est pas nouveau, et si je devais ajouter quelque chose, ce serait que l’esprit court parfois plus vite que la lumière, et que les mots sont comme la route, on ne peut en vouloir aux écrivains si les mots vont plus vite que leur pensée. »

Je n’ai pas ici l’espace pour faire autre chose que de laisser au lecteur futur à imaginer les conséquences d’une telle conception. Je veux seulement ici en renforcer la formulation par cet autre passage :

« L’univers, cerveau d’homme. Des murs effondrés, peuples sourds. Tu n’as jamais assez de rien. Sombre lune trop rouge entre les toits, pylônes. Vitres défoncées, corps-machines. Tu n’es qu’un parmi tous, image inversée de personne. […] Horizon calciné nos rêves, imitaient un soleil trouant l’eau des arbres, entre le temps qui passe et le temps qui ne passe pas. Lumière dans la lumière ou route sans retour.[…] »

Le cosmos à saisir dans cette écriture qui avance absolument dépasse la réalité commune sans renoncer à, sans cesse, se situer, de l’endroit où s’écrit la parole, par rapport à la «réalité quotidienne» des sociétés humaines : « Algèbre des couloirs, et la neige aussi des journaux. Si le monde n’était que ce qu’il est, les mathématiques suffiraient. » (p.38)

Par leur force, les oxymores de Dominique Grandmont nous font entrer dans une interrogation à laquelle seuls les mots, avant nous, peuvent selon lui répondre, et c’est la grandeur héroïque de la poésie, de la sienne en particulier. C’est pourquoi aucun de ses livres n’est indifférent.


Bibliographie sommaire (Sans les traductions) :
Pages blanches, Les Éditeurs français réunis, 1975.
Mémoire du présent : et autres poèmes, P. J. Oswald, 1975.
Immeubles, suivi de Encore, Seghers, 1978.
Immeubles, Seghers, 1979.
Pseudonymes, Flammarion, 1979.
Ici-bas, Messidor, 1983.
Journal de marche d’un spectateur immobile, Le Soufflet vert, 1983.
Le spectacle n’aura pas lieu, Messidor, 1986.
Chant III sur la terrasse des morts, L’Échoppe, 1987.
Cent vingt journées moins une, Solin, 1989.
L’Autre par terre de quelques écrits, Aencrages, 1989.
Trois fois huit, Solin, 1990.
Journal imaginaire, Tarabuste, 1992.
Histoires impossibles, Dumerchez, 1993.L’Ombre de personne, Tarabuste, 1994.
Soleil de pluie : poèmes, 1975-1990, Dumerchez, 1995.
L’air est cette foule, Dumerchez, 1996.
Le Visage des mots, essai, Dumerchez, 1997.Le Voyage de traduire, essai, Dumerchez, 1997.
L’Envers d’écrire, Apogée, 2001.
Une fois n’est jamais, Tarabuste, 2004.
Échelle 1, Textuel, 2006.
Le Fils en trop, récit, Tarabuste, 2007.
Transversale nord, Apogée, 2007.
Mots comme la route, Tarabuste, 2009


Dominique Grandmont 
        pour Francopolis janvier 2010
par Xavier Bordes


Créé le 1 mars 2002

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