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Les Flocons de Ali Iken
Hha Oudadess (Rabat)



Introduction
Ali Iken a publié, en 2006, un recueil de poésie intitulé ‘Alphabet des Flocons’ (Imp. Tafilalet, Errachidia). Est-ce alors une promesse d’une féerie floconneuse dont ne sont fournies que les prémisses ? A moins qu’il ne considère que les Flocons ne sont autres que ses vers qu’il veut beaux et fragiles comme le sont les flocons. Ou encore que ce qu’il nous présente, ce ne sont que des essais –un alphabet- avec l’espoir de réussir parfois à produire un admirable flocon si éphémère soit-il.
En attendant des vers-flocons, le poète nous sert des sables, des vents, des cendres, …, et surtout des mots. Les sables et les vents sont au menu, probablement à cause du terroir. Les mots sont l’apanage de tout auteur. Cependant ici le mot est lui-même l’objet d’innombrables vers et même de poèmes entiers. Et qu’en est-il de la cendre qui est en quelque sorte universelle ? Est-ce que le poète veut  toujours nous rappeler l’adage amazigh (berbère) : Les braises ont engendré de la cendre ?
Évidemment, l’amour et l’amitié sont présents dans ce recueil. Il est cependant opportun de relever un poème (p. 37) en hommage à un ami disparu ; même si on ne voit pas bien pourquoi il serait parti à l’heure. Il y a aussi que le poète fait de l’amour un pays (p. 15), un beau pays, mais qui tout de même est la ‘Marée haute des noyades’.
 
Les principaux thèmes
Le sable en grains, en amas ou au sens générique. Le désert ou le Sud. Les vents qui passent ou qui soufflent. Re-sable au singulier ou au pluriel. L’invocation insistante du ‘bleu’ ; il y a même une orange bleue ( !) et un trottoir bleu. Tout cela c’est la sublimation du terroir qui a fait de Iken ce qu’il est.
Les cendres renvoient certainement à une profonde souffrance car le poète les place dans ce qui physiquement est le plus solide chez l’être humain (p41)
 
Je n’ai rien dans mes os sauf des
Cendres que j’éteins sur mes dettes,
Vous les princes d’ailleurs !!!
 
Il est à remarquer que les cendres ne sont pas froides.  Il est également question de dettes et de trois points d’exclamation opposés aux princes comme pour dénoncer les énormes inégalités injustifiées. L’auteur tient à la vie. Il ne veut pas rester empêtré dans les cendres ; il décolle vers des horizons meilleurs. Il choisit le ‘chemin céleste’ (p16)

A moi mon chemin –escalier de vos temps-
Ses airs ses eaux ses nuages et brumes
Je vous laisse la terre je pars tout seul.

Le poème ‘Parole du feu’. J’ai choisi de parler de ce poème à part car y sont réunis, sous une forme ou une autre, les  thèmes signalés dans l’introduction.  On y retrouve les sables, les cendres, la fraîcheur, … . De plus, on y découvre un sens caché des ‘sables’ et l’existence d’un adversaire non clairement désigné. Et la conviction du poète de sa capacité à déjouer tous les subterfuges. Les sables sont vus comme des leurres et, qui plus est, sont là à fin de magie. Mais dans des conditions favorables –même agréables- (beau matin ; mois de mai ; bleu d’un regard) l’auteur défait le montage et va jusqu’à déclamer ses verbes d’une position dominante ; il balaie les doutes sur ses capacités, disperse les cendres et retrouve du bois non encore calciné. Il peut donc faire à nouveau du bon feu. Le sentiment de force est confirmé par l’aïeul, évaporé, qui retrouve sa fraîcheur ; et par l’air, on ne peut plus éthéré, qui se souvient de sa dureté de silex. Voici des vers de ce poème (p. 79)

Par un beau matin de mai
Au trottoir bleu d’un regard
J’ai grimpé la magie des sables
Pour réciter les nœuds de mes verbes
Effacer l’élevé taux de mes cendres
Juste aux confins de ce présent
Où j’ai brisé les plis de vos doutes
Et fait du bois mon saint otage

De beaux vers. Des vers ont retenu mon attention lors des différentes lectures –en survol ou attentives- de ce recueil. Ils m’ont interpellé par leur fluidité et leur sonorité. Il n’ y a pas de jugement de valeur. Je ne dispose pas d’ailleurs des critères, pour ce faire. Il s’agit, tout simplement, du choix libre d’un lecteur qui cherche son bon plaisir.
 
Du ‘Bout de mémoire’ (p. 11)
Ainsi de ta mémoire nénuphars
Allongée sur mes  eaux
Je pourrais encore survivre
Au malaise d’un hiver
 
Le poème ‘Déchu’, en entier (p. 254)
Un poème déchu
Gît en miettes
Dans mon assiette
Sur la tablette
Avec
Deux crayons dessus
Déchu !
 
Les six premiers vers du poème ‘Désert de porte’ (p. 26)
Porter sa porte sur le dos
Errer par monts et champs
Quand arriveront les vents
Pour nettoyer nos belles demeures
Qu’ils trouveront ouvertes
Nous serons d’elles loin déjà.
 
Seulement quatre vers du poème ‘Embruns du temps’ (p. 33)
Et des limbes ténébreuses de l’abîme
Céleste jaillit l’ombre d’Adonis
Brisant le miroir du soir qui s’étale en
Marbre sur le bleu de la terre
 
Les vers suivants portent sur la peur ( !) du poète (p. 45)
J’ai peur de perdre un de tes mots
(Tu es ma jarre de mots
Offre moi de tes souffles
J’ai envie d’en faire du sel).
 
Le poète use de son pouvoir de changer le lieu et le temps (p. 65)
.. Et je métamorphose l’hiver
En mille tessons de passion
Que je trempe dans tes rus
Pour en faire le jour
Pas loin de toi.
 
‘Mémoire des pas’, en entier (p. 67).
Sous l’œil des arbres
Même absente
           elle est
Je la vois passer
Sous ses doigts de colombe
S’éveille un chemin.
 
De ‘Mots cachés’ (p.68), voici
Grimper ses pas
Sur la porte close d’un visage
Multiplier ses doigts
Pour en avoir mille
C’est l’enfer des mots !
 
De ‘Mots écrits’ (p. 71)
Quand je gratte mes cieux
Aux confins des accolades de ton sourire
Les tempêtes s’érigent en moisson de brumes
Que je consomme en délires
Sur  les pierres taillées de mes rocs
 
De ‘Tu désires .. mais’ (p. 97), je retiens
Tu désires
Là où les mots, à haute voix
Clament leur silence
Échapper aux traits de tes ombres
Ce désir d’un jamais
Coagulé sur les restes
Éjaculés d’un dessein
Aveugle à l’ordre des lettres
Hélas !
Tout se referme juste
Au seuil beau de tes pas.
 
Enfin ce que le poète lui-même écrit sur un alphabet des flocons (p. 119)
De l’alphabet des flocons
Jusqu’aux yeux de la terre
Il n’ y a que quelques pas
Suffit d’un peu de chaleur
Pour atteindre ses printemps
Même si vous sapins
Déjà le vôtre dans la sève
Sauf que le songe d’un froid
Jours éveillés chantant la nuit des temps
Seul s’allonge encore sur le dos de la terre.
 
Conclusion.
La dédicace est poignante. Le poète offre  à sa mère, le havre de paix par excellence, et à une tiers personne désignée par ‘Toi’, dans son jardin secret, de vivaces écorces. Il crie donc, juste en quelques mots, toute sa douleur. C’est comme s’il s’était écorché afin de pouvoir parler ou qu’il voulait signifier tous les scalpages qu’il a subis. Bien que vivaces, ces écorces sont maintenant hors de lui. Cela exorcise, du moins en partie, le mal enduré. Malgré des moments durs qui soulignent un mal-être ambiant, il y a des indications d’espoir, implicites ou explicites. Ces vers du ‘chemin céleste’ parlent d’eux-mêmes (p16)
 
Je m’ordonne d’avancer sur tes marches
………………………………………..
Anaconda gymnote dragon ou congre
Tu es mon chemin je n’ai peur de rien
 
Et malgré un ‘bleu grisâtre’ (p 42), qui apparaît une fois, le bleu est rassurant. C’est la couleur des grandes eaux des océans, des mers et des lacs. C’est la vie et la purification. En p. 24,
 
Que l’arbre échoue sur les rives
Bleues de tes lacs
 
Le rêve est le signe de la vie quand la situation semble sans issue. Le rêve est présent dans ce recueil ; même dans le  titre d’un  poème. Mais le poète va jusqu’à déstructurer puis restructurer, à sa manière, afin de le créer là où il n’es pas supposé être ; bien au contraire. Ainsi, un poème est-il intitulé « ‘c’rêve ». Et il commence comme suit (p 48), nous rappelant l’attitude amazighe à ne jamais perdre la dignité, quelles que soient les circonstances,
 
Je ‘c’rêve
Et je chante.
 
De plus, le monde du recueil n’est pas clos. Il y est question, plusieurs fois,  de portes et de portails ; et donc d’issues. Evidemment, dans ‘Désert de porte’ (pp 26-27), la porte est lourde à porter –en fait, difficile à trouver-, se métamorphose et peut jouer de vilains tours. Mais dans ‘J’ai peur de perdre’, les portes, au pluriel, font partie d’un projet de refonte du monde (p45)

Et je ne fais partie de cet amour
Que pour refaire des mondes
Sous l’élan grinçant des foudres
D’un ciel encore fou vaste
Qui contienne mes portes


Dans je ‘‘c’rêve’, c’est le coeur-même du poète qui sert de portail d’écho (p48). Enfin, dans ‘Lit de vie’, les portes et les clôtures sont dédaignées. Le monde est ouvert tous azimuts.
 
Qu’en est-il de l’amazighité dans ce recueil ? Il n’y est fait allusion que quelques fois (Dans ‘Daruma la berbère’, en p. 24, par exemple). Cependant, elle transparaît dans des expressions, des positions, des choix. Ici, ce n’est pas le militant qui parle. C’est un être humain qui s’épanche, qui essaye de livrer un peu de lui-même, en espérant être compris par quelques uns de ses semblables. C’est la soupape de sécurité qui s’ouvre et par laquelle s’échappe une tempête de sables, de cendres et de mots. On y ressent un air de véracité touchante.
Enfin, comme l’un des héritiers des Ouâesta, Oulbaz, Sakkou, Oumehfodê, et beaucoup d’autres poètes illustres, Iken est bien conscient de l’importance capitale du mot. Alors à quand le prochain mot de Iken ?
 


par  Hha Oudadess
pour francopolis février 2007 

 

Créé le 1 mars 2002

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