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Regard
sur l'écriture - Soleil et Cendres - Au coeur du cri... et plus
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Chroniques &
Lectures – Dana
La maison d’éditions de Jean-Luc
Maxence et Danny-Marc (dont nous invitons nos lecteurs à lire
son poème dans notre
rubrique Coup de coeur, Nous n’avons plus vingt ans,
Le Nouvel Athanor, s’illustre en ce premier trimestre 2013 avec la parution de deux recueils de belle tenue. - Gravure sur braise d’Étienne Orsini (préface de Michel Cazenave) est un livre fait on dirait à l’inspiration, au gré de pensées vagabondes et de jeux de l’esprit ; cela donne comme un chandail tricoté tantôt à l’endroit, tantôt à l’envers, voire carrément laissé à l’abandon par ailleurs, comme si la texture poétique devrait couvrir et découvrir en même temps la nudité de la chair de l’âme, et donner l’impression que le poète ni ne marche sur une route, ni ne flâne à travers champs… mais zigzague à la croisée des chemins. Cette impression, accentuée par la disposition graphique, se révèle à la fin répondre à un dessein précis, à un art poétique, que le titre d’ailleurs dévoile (mais on ne l’avait pas compris avant la lecture du recueil entier) : la poésie, c’est une « gravure sur braise »… A coup de notations fulgurantes, de croquis, de plis et de replis brusquement approfondis vers des anfractuosités imprévues, l’écriture se grave dans une matière provisoire, se laissant voir par le regard de l’instant : la poésie se recompose dans l’espace d’échange aléatoire entre lecteur et auteur, comme un être fragile, dont la persistance n’est assurée que par cet écran de projection qu’est la page imprimée. Quel bonheur qu’elle soit là, pour susciter et renouveler ce mystère ! Donnons un aperçu en piochant au hasard dans cette braise exquise :
C’est ici que le ciel m’étonne Il
n’a pas dit son dernier mot Et
chaque nuage ajoute À
son indécision (…) Ni
carnet de déroute Ni
feuille de perdition Pas
de quoi s’égarer En
bon ordre (…) Déserteur
assidu D’ici
et maintenant L’un
de moi quitte L’autre
ne reste Que
pour faire mine De
rester
Celui
qui rêve Au
loin Pendant
que l’autre Fait
le guet Celui
qui habite La
façade D’un
édifice À
inventer Celui
qui Tout
de même S’acquitte Et
se dispense D’exister (…) Quand
bien même on ne l’ouvre pas Il
faut bon savoir qu’elle existe La
porte qui donne sur la nuit (…) Surtout
ne pas répondre Les
questions Nous
en sauront gré (…) Aux
heures vagues Quand
les ciseaux n’ont pas encore Découpé
les silhouettes Je
me sens un peu tous (…) Le
muet Porte
haut et fort La
parole des pierres (…) L’eau
du mirage Je
l’ai toute bue Elle
ne fera plus mine D’étancher
votre soif * * * - Le silence
des pierres de Mathieu
Baumier
(préface de Françoise Bonardel) est le
premier recueil de poèmes de l’auteur,
par ailleurs romancier et essayiste. C’est un livre d’engagement
spirituel, où
le Poème, presque personnifié, joue le rôle, on
dirait, à la fois de victime
sacrificielle et d’officiant, de sauveur et de sauvé, de
matière et d’esprit.
L’enjeu de « l’œuvre » qui s’accomplit au travers
de cet autre
« alphabet créateur de mondes » qu’est le
Poème est le salut de l’homme,
dont l’avenir, l’essence même se trouvent menacés dans et
par un monde de violence,
de déstructuration du sens, et d’avilissement de la valeur.
Aussi les poètes
sont-ils investis d’une mission de recherche de la
« lucarne » –
métaphore évoquant l’arche qui enferme une
humanité en dérive sur l’océan tourmenté
du monde ; ils sont les défenseurs
d’« Orphée assiégé » ;
ils
sont les « architectes éveillés »
d’un nouveau « temple »
ayant comme pierre de voûte le Poème, qui figure ainsi une
« mandorle » de l’homme rénové. Citons
quelques
beaux fragments de cette vaste aventure au souffle prophétique,
qui nous
embarque dans le Poème comme sur un « Vaisseau
fantôme / Voiles
épaissies / Et rimes
démâtées » : Il n’y avait plus aucun Lieu En ce temps-là. Seulement des bruits de guerres inouïes Et la mutilation, la déchirure du Poème. (…) J’écris depuis cet instant, l’après fin du
monde Et je vis dans un sourire arraché au sang des étoiles. Je le
dis : Que la prose se taise maintenant Et laisse dériver l’esprit de l’eau. (…) Nous
espérons l’ordre même du réel Les
signes évidents et absurdes de
l’Île silence où
nous renaîtrons à la racine des eaux. (…) Ils
n’existent pas, les poètes Ils
naissent sans cesse Et
surgissent sans prévenir De la
glaise du Poème. Qui sait la
lettre qui ouvrira la lucarne ? (…) Vient
toujours le moment Où l’ombre
se déplace Et envahit
le silence du soir Il pleut
alors des rescapés C’est la
fin de l’instant Le présent
à marée haute (…) C’est à la
fin de chaque poème Que le
séjour des pierres reprend (…) Si elle
s’arrêtait enfin Cette foule
d’hommes errant Dans le mur
des chênes Le nombre
soudain renaîtrait Dans le
murmure D’un jardin (…) Je retiens
ceci : Le Poème
est rouge du sang de la neige * * * De
toute
éternité
suivi de La mesure du monde, de Denis Emorine (préface
de Flavia
Cosma), est paru au Nouvel Athanor en mai dernier (signalé dans
notre revue de juin 2012).
Les deux
cycles contenus dans ce recueil sont d’une rare beauté, faite
toute de
simplicité, d’émotion, d’images justes,
épurées, sans affectation. Le
premier
est un chant d’amour, dédié par le poète à
sa bien-aimée d’une vie, et
« de toute éternité » : c’est
un chant qui fige le temps comme
dans le cadre d’un tableau, et, tout en la côtoyant, traverse la
mort tel un
cri porté par les vagues. Le monde qui se crée entre des
« mains
rassemblées » est aussi fragile
qu’impérissable, car fait des mots les
plus exquis, les plus emplis de sens qui fussent : la voix
s’éteindra, le
sens, non. Goutons à ce mystère où corps et mot
sont interchangeables, et
peut-être aussi, amour et mort : J’avance
parfois les yeux fermés Pour
mieux
me diriger Vers
toi. Tu es
penchée sur moi Sur les
mots à venir Qui
meurent
en te voyant. Il n’y a
plus
d’autre issue tu sais Tu me
perdras un jour prédestiné. Ne
cherche
plus Celui
qui
t’as aimée Pour ne
pas
disparaître au détour D’une
phrase esquissée Dans un
lambeau de nuit Bientôt Je ne
parviendrai plus À
éteindre
le vent À
pleines
mains Notre
histoire
n’existe pas Sois-en
sûre Elle est
inscrite en nous Là
Où
la
parole du monde Ne nous
parvient plus Il est
si
difficile de renaître J’y
parviendrai un jour Quand
ces
lignes auront disparu Au
gré d’un
poème éparpillé Par le
temps Le
second
cycle est composé de brefs poèmes évoquant l’art
des haïkus, écrits en marge
d’une exposition de la jeune peintre d’origine chinoise Xiaoyang Galas.
L’envie
de visualiser les tableaux est forte mais en dépit de la
frustration du lecteur
(il n’y a pas de reproductions dans le recueil), le poète nous
fait ressentir
une matière peut-être encore plus subtile : le halo
de lumière, la
vibration de l’air-son, et le pincement de cœur que devaient
dégager ces
peintures. En tout cas, les images faites des mots du poète
révèlent-elles le
souffle de la vie, incertain, fulgurant, à saisir tel et
où qu’il se présente,
comme le parfum d’une fleur. Le
chemin
vers le bonheur monte toujours. Il ne
faut
jamais s’arrêter pour reprendre haleine Ni
regarder
en arrière. (57) L’amour
repose au creux de tes mains. Tu
l’effleures parfois des doigts. Il te
prend
toujours au dépourvu. (3) Tu
prends
sans cesse la mesure du monde Comme
une
respiration Sur la
toile. (6) Tu es Dressée
sur
le méridien du monde, tes
mains
effleurent l’arc en ciel Fragiles Sont les
couleurs de la vie (12) Lectures Chroniques
Un grand vent s'est levé de Danny-Marc Gravure sur braise d’Étienne Orsini Le silence des pierres de Mathieu Baumier De toute éternité suivi de La mesure du monde de Denis Emorine par Dana Shishmanian |
Créé le 1 mars 2002
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