Voici un message
écrit à Ludovic Kaspar,
poète aimé sur la toile et sur papier, à la suite
de la lecture de son recueil "L'impasse aux visages"
publié en 2005 aux édition d'Alba, cela a
été écrit à l'époque en 2005-2006,
je lui parle au présent lui qui restera présent,
même s'il a choisi, par sa mort début novembre,
d'être évoqué au passé dans nos
bouches.
Ludo, tu n'en as pas fini
avec l'amour, c'est la seule
bonne nouvelle que je distingue dans cette annonce qui me bouleverse.
*
Hello
Ludo,
Quand j’ai reçu
ton court message sur le fait de critiquer ton recueil, je me suis dit
que, peut-être, tu avais besoin de voir ce qui dans ce
recueil ne dépendait pas de l’état dans lequel tu
évolues mais de toi. Pour qui, pourquoi écris-tu? Il
m'apparaît clairement que tu as écrit parce que
c'était une voie vitale pour toi, d'abord pour ta propre
sauvegarde.
La conséquence de cette écriture
extrêmement remuante est que tu vas plus loin que de
décrire ton expérience, tu touches à cette zone
empathique en chacun de nous, cette zone du perdu et de l'éperdu
en nous et d'humain. Etonnant comme les passages à priori les
plus crus deviennent des fables, des paraboles à grandir et non
des occasions de se distancier de toi en tant qu’auteur. Et si tu as
cette “grâce” (car ton écriture a la grâce unique de
ceux qui ont du talent ET du coeur), c’est à cause de
l'être humain qui sert cette écriture. Comme je te l’ai
déjà dit, tu ne te complais pas dans ton état, tu
es en chemin, tu te houspilles, mais cette exigence, malgré
tout, se double d’une infinie tendresse
pour l’autre, ceux que tu croises. Ce n’est pas le fruit d’un travail,
c’est réellement l’os de ce que tu es, et cela touche. Tu te
mets à nu dans ces textes et cela ne choque pas, parce que ce
que l’on découvre, c’est l’humanité, certes faillible,
mais pas plus que nous tous finalement.
Les mots, c’est un rythme qui t’est propre, et que tu dois continuer
d’explorer. Parfois tu choisis des textes plus prosaïques, parfois
plus versifiés, mais quelle que soit cette forme, il y a un
rythme, un chant, qui t’es personnel. S’y mêlent
différents niveaux de langage et ca fait mouche car ca n’a rien
d’artificiel : tu es tolérant avec les mots, aucun n’est laid ni
inutilisable, s’ils disent ce que tu veux exprimer, ils ont leur droit
d’entrée dans ton texte et de fait, ils touchent leur cible.
C’est ainsi qu’en mélangeant des mots recherchés à
d’autres argotiques ou enfantins, d’anglais ou d’autres idiomes, des
abréviations ou des mots plus crus (sans jamais être
vulgaire) tu amènes un rythme, un humour, un décalage. Un
humour qui ne dénigre jamais, qui ne diminue rien, qui ne fait
que de nous ”’introduire” à ta suite dans cet univers urbain,
interlope, de rue, de nuit, de bar, de gens, de visages qui est le
tien. Ces descriptions d’ambiance sont des films intérieurs
projetté sur les murs de la ville. Oui, cela touche et fait
mouche.
Critiquer en négatif ton recueil n’a pas vraiment de sens, car
il me semble absolument réussi: il n’aurait pu être
écrit que par toi. Et je te jure que cette réflexion, je
ne peux la faire qu’à peu de monde.
Mais ta particularité, c’est que tu ne te sers pas de ta
souffrance pour écrire, tu écris parce que c’est ta voie,
c’est évident. Et tu le fait au plus près de
l’honnêteté, c'est à dire en défrichant
cette voie au travers de la souffrance ou de la joie. On le voit dans
tes essais répétés pour approcher un texte que tu
postes sur le net: tu travailles pour cerner au plus juste
l’émotion d’une expérience vécue.
Cet aspect du vécu, du marché, du
mâchouillé, du bu, du remis aussi, cet aspect très
concret, sublimé par ta mythologie propre, par tes
références, tes couleurs, tes rêveries, tes
métaphores récurrentes, cela crée ton univers qui
est juste et jamais, jamais artificiel.
Honnêteté, couleurs, rythmes, mélanges et
tolérances des vocables, volonté de justesse,
écriture de l’expérience, tendresse toujours et plus que
tout, la clé qui ouvre tous les yeux des lecteurs:
l’humilité.
Reste ainsi, tant que tu t’excuseras un peu d’être toi (pas trop
hein, juste ce recul là) tu seras dans le bon. On n’a pas besoin
de génie égotique mais de gens qui accueillent la vie et
ses errances avec ce souci de vérité et de
pauvreté de moyens. Et quand je disais que la tendresse est la
force centrale de ton écriture, je tiens à le
répéter ici: c’est à cause de cela que ce que tu
écris est de la poésie, que c’est initiatique. C’est
l’amour derrière qui rend le tout émouvant.
Bref,
pour la suite, garde tes qualités, tu peux explorer autant de
mondes que tu veux, de milieux, de visages, si tu écris avec ces
qualités-là, tu seras dans l'universel. Tu nous
rejoindras toujours là où l'on cherche, ton chant
continuera à chanter même longtemps après la
lecture.
Ce qui est le cas de l'impasse.
*
Je ne pensais pas, évidemment, que tu explorerais
de sitôt "ce monde-là" aussi. Cette fin sonne
étrangement à mes oreilles, mais je t'y parle en vie, et
je continuerai.
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