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    Regards  sur Henri Michaux

4.      Œuvres complètes de Henri Michaux,
Un barbare en Chine (Éditions de La Pléiade)

                                                       (1933-1967, 1989  Éditions de la Pléiade)

présenté par Dominique Zinenberg

La phrase liminaire "Un barbare en Chine" donne le tempo : «Le peuple chinois est artisan-né.» La vie chinoise est grouillante d'activités. Et Henri Michaux n'est pas avare d'adjectifs pour définir ce que recouvre le terme « d'artisans-nés ». Les Chinois sont en effet perçus comme habiles, ingénieux, inventifs, concrets, ronds, patients, peu religieux. A cette prédisposition pour le savoir-faire s'ajoute, chez eux, la propension à se sentir bien partout où ils sont, à y être de plain pied et à ne même pas faire d'exception pour le lieu spécifique à la transcendance:
«  Dans un temple, le Chinois est parfaitement à l'aise. Il fume, il parle, il rit. »


Très vite, le poète en vient à vanter la musique chinoise (si peu prisée soit-elle des Européens). Que de bienfaits ne voit-il pas dans cette musique ! Tout d'abord il affirme que c'est cette musique qui « l'attendrit le plus ». Il la reçoit comme « tout ce qu'il y a de plus pacifique, pas endormie, pas lente, mais pacifique, exempte de désir de faire la guerre, de contraindre, de commander, exempte de souffrance, affectueuse. »  De plus la musique chinoise ne sépare pas, elle  est même bain de sociabilité, comme du reste tout ce qui semble composer la vie chinoise, désireuse d'harmonie: « Comme cette mélodie est bonne, agréable, sociable. Elle n'a rien de fanfaron, d'idiot, ni d'exalté, elle est tout humaine et bon enfant, et enfantine et populaire, joyeuse et « réunion de famille. » »

Cependant ce que Michaux apprécie le plus en Chine , c'est la langue parlée car elle est principalement constituée de « mots d'une seule syllabe, et cette syllabe résonne avec incertitude. La langue chinoise ressemble à de faibles exclamations. Un mot ne contient guère plus de trois lettres. Souvent une consonne noyante (le n ou le g) l'enveloppe d'un son de gong.»

Plus loin il précise ce qui plus que tout lui plaît dans cette langue, c'est que « pour être encore plus près de la nature, cette langue est chantée. » En d'autres termes, cette langue est comparable au chant des oiseaux !

Les considérations du poète, soudain, prennent un autre tour. Voilà qu'il s'en vient à faire une étude comparée des façons d'aimer des femmes europééennes, arabes et chinoises. La façon physique d'aimer, s'entend. Il commence par l'« Européeenne [qui] aime avec transport, puis tout d'un coup, ...vous oublie au bord du lit, songeant à la gravité de la vie, à elle-même, ou à rien, ou bien tout simplement reprise par l'« anxiété blanche. »» Cette analyse suggère que  l'Europééenne  opère un clivage entre le plaisir qui l'entraîne en dehors d'elle-même et la ressaisie de son être, fût-il un vide, qui lui permet de regagner le terrain perdu, de revenir de cet abandon que son « transport » lui a fait connaître comme état transitoire et de toute manière éphémère.

De la femme arabe, Michaux dit qu'elle « se comporte comme une vague ». Puis vient le rappel de la danse du ventre qui est ondulatoire et fluide. De ce transport-là, l'homme en sort, car cette fois-ci ce n'est pas la femme qui sort d'un état, mais le partenaire, comme s'il avait subi une tempête et qu'il ne savait pas exactement ce qui lui était arrivé. Ce transport, curieusement ouvre les portes de la magie de l'Orient, celle des tapis volants des Mille et une nuits, des sortilèges incompréhensibles qui font passer les personnages des contes de l'état de  prince à celui de  mendiant. La vague est un mirage de l'âme, un tour de magie, une illusion féérique qui finalement l'est autant pour l'homme que pour la femme.

Puis se déploie l'amour à la chinoise, longuement, en dix paragraphes parmi lesquels la musique de la langue revient, comme un leitmotiv prenant son sens le plus secret qui est l'art d'aimer :
« Quand la Chinoise parle d'amour, elle peut parler indéfiniment, on ne s'en lasse pas, elle peut même parler d'autre chose, comme elle fait probablement, elle a le langage de l'amour, l'amour est fait de monosyllabes ... »


Ce qui différencie l'amoureuse chinoise de tout autre amoureuse c'est sa capacité à l'enlacement; elle n'est qu'enlacement et entrelacement à la manière des racines d'un banian, à la manière du lierre. Deux comparaisons végétales donc complétées par celle du drap, relayées par celle de la fourmi. L'amour est un lien, un onguent (car la femme chinoise « vous considère comme en traitement ») et elle se met au service (non servile) de son amant telle la fourmi toujours à l'ouvrage qui œuvre, en parfait artisan, pour rendre « indéréglable ... votre valise. Ce qui pourtant semble le plus fascinant pour Michaux  c'est l'aptitude de la femme chinoise à « dormir avec »  Comment fait la femme chinoise ? Je ne sais; une sorte de sens de l'harmonie, subsistant dans le sommeil, la fait, par des mouvements appropriés, ne jamais se détacher, toujours se subordonner à ce qui serait tout de même si beau: être harmonieusement deux. »

Cette vision quasi idéale de la femme chinoise, je la lis comme un rêve ou une poétique : surgit comme un tableau onirique d'une femme-liane s'enroulant au corps de l'homme avec souplesse, ondine fantasmée de présence légère et attentionnée, à la fois mère et amante, si proche du monde amniotique nourricier, protecteur, guérisseur dans lequel on est porté, protégé et amoureusement bercé.

De cet ensemble, il ressort que ce que semble trouver Michaux chez les Chinois c'est un penchant pour l'harmonie sous toutes les facettes de l'existence ; en tout cas c'est ce qui charme tant notre poète qui n'utilise que des mots doux pour exprimer son ressenti et faire passer son attendrissement et tout se passe en effet comme s' il n'y avait pas prise pour l'ironie dans l'expérience avec la Chine, comme si un ton acerbe, une distance critique n'avaient pas leur place au pays du milieu.

                                       (à suivre pour la lecture de la fin d'un Barbare en Chine)
 

***

Michaux Henri
- La Pléiade sept.2015
- Écuador oct.2015
- Michaux Henri-Inde, nov.2015


Regards sur Henri Michaux (4)
Un Barbare en Chine (1933-1967, 1989,
les Éditions de la Pléiade)

présenté par Dominique Zinenberg

décembre 2015


Créé le 1 mars 2002

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