Premier recueil de Claude Morenas
par Pierre Seghers
En 1976,
Claude Morenas publie
à compte d’auteur son premier recueil de poèmes.
Pierre
Seghers rédige alors pour cet ouvrage la préface
suivante, laquelle pourrait convenir à chacun de ses livres :
- La vie, la précieuse
vie,
- Survivre dans ce
merveilleux jardin,
- Livre d’Heures pour un
quotidien positif),
et aussi à celui qu’elle
prépare actuellement...
Quelques
mots à propos de Claude
Morenas …
Lois des villes, de leurs
rumeurs et de leurs modes, loin du bruit, au bout de chemins qui
paraissent perdus et qui, pour citer Claude Morenas, « tâtent les chairs pulpeuses de
l’invisible », là-bas, là-haut, entre
Céreste et Oppède, à cheval sur la Motte d’Aigues
et le Calavon, dramatique est le Luberon.
C’est un pays de roches et d’orages, râpé jusqu’à
l’os par les vents, une longue crête noire du Haut Vaucluse, au-
dessus des forêts de chênes verts et de
mélèzes. On y accède par d’étroites petites
routes ravinées qui contournent des éboulis
dégringolant dans les vallées. Pays de combes et de
maquis, pays-refuge, pays sévère. Au ras du sol, l’iris
sauvage à courte tige y frémit et, plus avant dans la
saison, sur les plateaux, les lavandes, comme de grands
châles mauves et violets bourdonnent d’abeilles. Si la
limpidité de l’air est ici sans égale, une sorte
d’intensité profonde, d’énergie tellurique s’y
ressentent, mystérieuse défense d’un pays de «
bories », et de forêts de cèdres. Le mistral et le
vent d’Ouest, la « marinade », y écartèlent
assez souvent des arbres centenaires. Avis aux «
résidences secondaires » : la foudre y est soudaine, et le
tonnerre peut faire peur.
Le Luberon est VRAI
et sa rigueur a grande allure. Ceux qui ont choisi d’y vivre dans des
maisons anciennes et sauvages, des maisons qui ont « vu neiger
» comme on dit, ceux-là portent en eux une exigence, celle
d’aller jusqu’au bout d’eux-mêmes et de retrouver non pas un
paradis perdu mais l’essentiel, un essentiel quotidien, fait de
travaux, de silence et de méditation. En même temps
que les ravines et les sentiers, ils relèvent le cadastre de
leur réalité profonde, maintenue en eux depuis
toujours. Une vie comme une haie de ronces, avec ses
épines et ses mûres, un long temps d’existence faite
d’indépendance, une vie d’amour fou, de passion et de saisons
vécues.
Sous la main, sous les
yeux du poète, dans la grande cuisine de « Regain
» - la vieille maison, à moitié grotte
creusée dans le roc, est suspendue en à-pic au-dessus
d’un torrent, la haute crête, en face, accroche les nuages- le
feu et les cuivres, les confitures dans les pots, l’accueil et le vin
brillent comme un La Tour. Depuis trente ans, Claude Morenas vit
là auprès de François Morenas à qui
l’on doit le balisage le plus précis, le plus vivant aussi, des
sentiers et des parcours de ce pays magique :
Ma
sauvagine, mon homme des bois
mon
courre-la–colline
mon
trousse-genêts
mon
rebrousse-buisson
tel est l’homme pour qui
le poète invente des mots de fleur sauvage.
Au –delà des murs de « Regain », et des cimes de
calcaire gris qui barrent l’horizon, le monde intérieur du
poète rejoint le vaste monde. Peut-être vivons-nous dans
des enclos dont nous avons planté les pieux ? La liberté
y est totale, les contraintes quotidiennes aussi, qui
n’empêcheront jamais l’homme de vouloir aller jusqu’au
bout. Longue marche, soliloque et dialogue, une femme qui est
peintre et poète dit alors une quête permanente qui
retrouve celle de Gauguin à Tahiti : « D’où
venons- nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? »
Par un hymne à la vie, le poète ici répondra.
Poèmes de pluies
et de vents, de vie et d’amour, où le silence même est
vrai et somptueuse la poussière, une énergie
créatrice, sang et soleil, honneur de l’homme qui les
parcourt. La vie de chaque jour, mystérieux et secret Le
Nain, la vie « élémentaire » entre les
rochers et les arbres, quelques amis et l’espoir qui luit « comme
un brin de paille dans l’étable », la vie des
choses
palpables, le poète la donne à voir et à partager
:
des
chaudrons et des feux de bois
des
tartes enfournées
et
des bougies à la flamme tranquille
Seule réponse
humaine, juste, faite d’honnêteté envers soi-même et
de chaleur devant l’angoissante, l’éternelle question.
Il appartenait à
une femme, à une irréductible, d’écrire aussi
naturellement des choses graves, un au-dedans de l’au-delà, de
retrouver, venus des profondeurs, les mots de tous les jours, simples
et vrais.
Dans les poèmes de Claude Morenas et dans leurs marges,
j’entends battre la Création.