LECTURE - CHRONIQUE 

 

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LECTURES -CHRONIQUES

Petite étude sur Murmures de l’absence de Gérard Mottet

(Éditions Tensing, 2017)

par Dominique Zinenberg

 

Que peuvent être des Murmures de l’absence ? Ils sont essentiellement chants élégiaques, secrètes conversations, perceptions ténues remontant de l’oubli, frôlant l’invisible, ressassant le manque et détaillant l’imperceptible dévoilement des ombres, des soupirs, des haleines, des gestes d’autrefois ou de naguère. Ils sont essentiellement chants orphiques à la lisière entre deux mondes : celui d’ici -bas de terre fraîche, de jardins, de lumières et d’eaux dormantes ou violentes et celui de l’au-delà auquel le seul accès que l’on ait c’est cette écoute sensible, ces échos lointains, ces reflets de vie qui sont passerelle et message, lien intime avec l’informe.

 

                                                  Feuilles tremblantes

                                                                       me disent que tu es vent qui passe

                                                vagues mourantes

                                                                     que tu es le chant immémorial de la mer

 

                                                de ton murmure bleu

                                                                    je n’ai que coquillages résonnants

                                               et de tes ciels d’étoiles

                                                                 que réflectance indéfinie.

 

Le deuil fait voir autrement le monde. Il module nos impressions, les voile d’un tissu énigmatique d’attente, « de guetteur mélancolique » sensible aux signes les plus infimes, les plus dérisoires. Le deuil fait surgir un autre monde dans le monde, une sorte de doublure qui frôle l’endeuillé, le soutient, l’émerveille même le cas échéant. Le deuil n’interdit pas d’être heureux : il pose sur toute chose une attention autre, nouvelle et toujours un peu triste. (… enfin une vaste salle d’attente/où je passe le plus clair de mon temps/volets ouverts côté soleil levant/par où peut-être/ tu entreras auréolée/ d’une aube étincelante de rosée/ et tu traverseras alors/ de pièce en pièce ma maison/ laissant parfums du temps dans ton sillage/ allant d’espoirs en souvenirs/ jusqu’aux lueurs suprêmes du couchant.)

On ne peut qu’accompagner ce manque actif qui de poème en poème renaît de ses cendres. C’est le manque incomblable qui est chanté ; mais plus fort encore que le manque, maintenant que la présence chérie est devenue impossible, c’est le désir de tenir ce manque en éveil, d’être dans l’émoi de ce manque afin qu’à chaque instant une rencontre furtive puisse pénétrer le poète endeuillé. Voilà pourquoi il peut écrire cette strophe paradoxale : et je ne puis pourtant/ que te vouloir/inaccessible/ pour que ne cesse de brûler/ ce lancinant désir/ que j’ai de toi// moi qui ne sais t’aimer que sous l’hypnose/ de ta lointaine incandescence.)

Mille subterfuges sont à la disposition du poète pour que la femme aimée disparue réapparaisse magiquement sous sa plume. Elle épouse les formes diverses de ses poèmes, prend corps dans les mots qui lui sont consacrés. Elle devient paysage, jardin, étang, soleil et lune, galet ou fleur, elle danse dans les nuages, dans les reflets de l’eau, présence intime pour lui seul : fragile, lointaine, vague mais vibrante et vraie comme un mirage. 

 

et toi mon absente que deviens-tu

   toi que je ne vois ni n’entends jamais

  que dans les flux et reflux de mes rêves

 

es-tu comme fleur neige lune ou vent

  est-ce toi qui toujours évanescente

autour de moi tournes continûment

 

sur le grand manège du temps ?

 

Les pensées et les rêves tournoient ; les pas de danse de la morte qui valse dans des voiles subtils permettent au poète de faire l’expérience du « grand manège du temps » qui ne connaît pas d’arrêt, qui est pur mouvement cyclique, imperturbable.

Parmi les ruses qui pérennisent la présence-absence de la femme aimée, Gérard Mottet choisit parfois (comme Lamartine dans son poème « Le Lac ») de faire parler directement la disparue. Tel est le cas dans le poème intitulé « Quand seule au printemps »

 

Quand seule au printemps

tu viendras te promener

autour de l’étang

je serai là près de toi   comme autrefois

 

Je serai le chemin qui conduit tes pas

et la fraîcheur de l’ombre qui te protège

couleurs et parfums des fleurs

qui s’ouvrent sur ton passage

arpèges des vents flottant dans tes cheveux

douces percussions des vagues sur la berge

et le paysage tout entier

qui se reflète dans l’étang de tes yeux.

 

Un peu lasse tu viendras t’asseoir sous le grand saule

où nous nous reposions tous les deux

ta tête inclinée sur mon épaule

et je serai là  tout près  sur le seuil de tes rêves

invisible oiseau qui traverse le temps

et quand tu fermeras les yeux  remontant

le chemin des souvenirs

là-bas au loin   sur la margelle d’une fontaine

je me poserai

 

je sais que tu m’y attends.

 

« Le murmure de l’absence » dans ce poème suggère une entente secrète, parfaite entre le vivant et la morte. Elle le guide, le soutient, le protège. Mais une légère claudication de la langue en début de la troisième strophe rend palpable le caractère interchangeable du locuteur, car on a beau vouloir faire parler une morte, il arrive un moment où la force oratoire de celui qui est vivant prend le relais de la morte exténuée d’un tel effort murmurant : Un peu lasse tu viendras t’asseoir sous le grand saule alors qu’on se serait attendu à « Un peu lasse je viendrai m’asseoir… »

Le plus souvent le poète choisit l’illusion du dialogue. Il prévient alors et l’annonce par une didascalie « à deux voix ». L’une en caractères droits, l’autre en italique comme dans « Tout près avant que ne s’exaucent les silences » ou dans « Et la pluie sur la plaine lointaine » ou encore dans « Sous le cadran solaire ».

Les sortilèges qui permettent au poète de rejoindre sa bien- aimée passent par la délicatesse du « nous » qui rassemble, unit, par les charmes de poèmes musicaux : « Cantilène », « Ritournelle », « Récitatif » qui ont à voir avec l’impression de l’enfermement du cyclique, du ressassement comme remède et comme poison. Et par un autre biais l’aquatique et le reflet tentent la saisie de ce qui fuit, s’efface. Les quatre éléments d’ailleurs se manifestent comme des charmes puissants pour ramener à la vie fugitivement, clandestinement celle que la mort a emportée.

                                                               

                                                                     Si peu visible

Insignifiant coquelicot   là-bas   si peu visible

saignant dans les reflets ensoleillés des blés

 

larme d’étoile dans le ciel rose et triste du soir

annonçant déjà les noirs chariots de la nuit

 

résiduelle goutte de rosée au point du jour

comme un dernier éclat de songes révolus

 

et là-bas  encore et toujours   cette tache de sang

comme une marque en toi que le temps a laissée

 

car longue  longue   est la douleur d’absence

à disparaître dans l’éternité des jours.

 

Bien des charmes restent à découvrir dans le secret de la lecture murmurante qui recèle, vivante, la fluidité de la langue, le bonheur de la réflexion, et un regard mélancolique et doux posé sur chaque parcelle de l’existence.

 

©Dominique Zinenberg
                              

 

Murmures de l’absence de Gérard Mottet
par Dominique Zinenberg

 

Francopolis septembre 2017

Créé le 1 mars 2002

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