LECTURE - CHRONIQUE 

 

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ARCHIVES:  LECTURE CHRONIQUE

 

 

LECTURES –CHRONIQUES

 

Petite note de lecture de Dominique Zinenberg :

La Folle avoine et la falaise de Michel Cosem,

(Encres vives, collection Lieu, n° 350, 2017, 6,10€).

 


Que les textes prennent la forme de poèmes en vers libres ou de courtes proses, ils donnent tous une impression d’écriture sur le vif, d’instantanés, comme si défilait un album photo en couleur avec légendes et nom des lieux. La fragilité de « la folle avoine » s’associe à la minéralité, apparemment plus durable de « la falaise », à moins que, en dernière instance, ce ne soit exactement l’inverse !   

    D’entrée de jeu ce que le poète perçoit c’est la cohabitation, dans un lieu désormais inhabité, du plus vivant et du plus rongé : La folle avoine est jeune au milieu des objets rouillés. Tout tient à ce mystère de ce qui reste malgré la désertion, l’abandon et l’interrogation qui clôt le poème va travailler tout le recueil, non pas de façon douloureuse ou pathétique, mais lucidement, attentivement : Pourquoi la vie est-elle partie avec du bon pain noir ?

  Nous nous promenons de juillet jusqu’en automne. Nous marchons de village en village. La chaleur de l’été constitue l’essentiel. On sent la soif, la sécheresse et le monde « alangui ». Il y a les pierres des maisons, des chapelles, des châteaux, vieilles pierres fixant l’histoire, les rites, les fêtes qui persistent mais dont le voyageur ne relève que les traces encore visibles de fanaux, oriflammes et autres banderoles : et sur la petite ville flottent des oriflammes/ celles des fêtes d’août aux fééries secrètes/ aux petites gouttes claires (Miers) ou encore Pour l’instant ce sont les lampions de la dernière fête votive qui volent au vent … (Frayssinet). Et c’est comme si le poète-marcheur les avait toutes manquées ces fêtes, de même qu’il ne fait que frôler la vie des habitants, ombres, fantômes ou silhouettes vaquant à leur vie villageoise ou citadine.

                      Rudelle

  Le cœur de Rudelle songe et sommeille comme un chat roux

  Les roses trémières blanches boivent à l’eau croupie

  De petites fougères poussent au grand mur de pierre comme des sourires

  et des jeunes femmes

  à moitié nues

  prennent le soleil près des ruines

  Dans la petite église sonore et claire

  des pèlerins ont déposé des fleurs nouvelles.

 

    Ce que les yeux perçoivent, ce que l’oreille entend ce sont les bruits des minéraux, des végétaux, des animaux. Eux vivent, s’animent, sont personnifiés. On en trouve lovés dans les comparaisons comme dans le premier vers du poème ci-dessus, on les débusque dans chaque texte ou presque : un véritable bestiaire s’échappe des vers, (à poils, élytres ou à plumes) : pigeons, lapins, poulets, couleuvres, cigales, renard, alouettes, escargots, chiens, abeilles, tourterelle, hirondelles, chevreuil, papillons, lézards, buses, corbeaux, coq, corneilles, moutons, fouine.

  Ils sont présence furtive et vivace, il est bon de les nommer, de reconnaître leur cri, de s’émouvoir de leur audace, de leurs déplacements ou des empreintes qu’ils ont laissées.

  Tout au long des chemins, des vers et phrases, le poète surprend des conciliabules de fleurs et murets, de mystérieux appels comme si la nature et les vieilles pierres voulaient capter son attention afin qu’il ne les oublie pas. Le poète recueille les confidences et attentes de ces rues et chemins traversés et l’humble avoine vaut pour sa requête secrète le vénérable monument vieilli ou en ruine que le poète profile avec respect.

 

  Les roses trémières montent la garde dans les ruelles intimes du village de pierres. Droites, immobiles, elles se frottent contre les murs et au pas de portes tout en surveillant les habitants leurs amis. Elles se hissent à la fenêtre pour connaître les petits secrets. Passe un chat blanc et noir enfermé dans son rêve de souris, passe une fillette aux joues claires et un papillon du matin. On les caresse du regard mais l’on ne sait rien d’elles et nul ne sait si elles font alliance avec le regain. (Espédaillac)

 

  Ce poème est un bon exemple de l’art de la personnification qui fait de cette description un embryon de récit, un conte pour enfants, peut-être.

  Mais tout bruisse dans ce pays de Causses d’histoires inaudibles ou inouïes. On entend tout autour parler à voix basse les lourdes collines et quelques forêts profondes …

  Le paysage invite à une écoute infaillible, à une considération, un respect :

 

  Que fait cette maison solitaire posée dans la rocaille au pied de la falaise et cernée de buissons épineux ? Que font ces escaliers qui montent vers le vide et ces volets fermés pour un très long sommeil. Elle me regarde avec envie moi qui ai fait le tour du monde, elle qui ne parle qu’aux roches poussiéreuses et aux genévriers bourrus. Elle me dit que je serai heureux et paisible devant sa cheminée et qu’une belle femme fera pousser des fleurs dans le jardin. Je suis sûr qu’elle pleure lorsque je m’éloigne. (Causse de Gramat)

 

  Gaëlle Josse dit très bien, même si c’est à propos d’un autre recueil du poète ce qui surgit avec la poésie de Michel Cosem : « Le sens de l’instant, de sa beauté, de sa vérité, la perception de ce qui est et qui va disparaître signent une présence totale, attentive et légère, et une réceptivité absolue à ce qui s’offre à lui. »

  Outre cette perception délicate et précise, le poète sait dire l’absence, repérer le manque absolu et ceci dans une langue sobre, sans pathos, mais qui incruste la nostalgie au cœur des choses et des paysages. C’est pourquoi je finirai par son passage à St Cirgues :

 

  Écrits en lettres profondes et dorées sur une pierre noire, les noms. Il y en a beaucoup sur les quatre côtés du monument si pauvrement banal. L’église n’a pas changé, ni le pigeonnier tout à côté, ni la treille de l’école dont on voit mûrir les raisins noirs, ni le chant du coq, ni les couleurs du couchant sur les collines couronnées de bois noirs. Et pourtant le village est désert, totalement. L’ombre d’enfants qui auraient pu être n’existe pas, tout simplement.

 

 

 

Note de lecture de 

Dominique Zinenberg 

 

Francopolis, mars-avril 2019