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LECTURES –CHRONIQUES

 

Note de lecture de Dominique Zinenberg :

 Au plus prèsde François Minod

(Éditions Unicité, 2020, 84 p., 13 €)

 

De la musique avant toute chose

 

Au plus près contient une Préface écrite par Mireille Diaz-Florian et des Monotypes de Catherine Seghers. Les deux expressions sont au plus près des intentions de François Minod car elles suggèrent avec justesse et finesse l’art aux multiples facettes du poète.

 

Poète avant tout, François Minod offre à ses lecteurs aussi bien des poèmes que des récits, des paraboles que des saynètes. Proche en cela de l’audace de Jacques Prévert, qui comme lui, mêlait tous les genres en un même ouvrage. Les tonalités, elles aussi, sont diverses : tantôt mélancoliques, tantôt élégiaques, tantôt ironiques ou ludiques voire existentielles ou touchant à l’absurde. Les mille nuances de la vie : doute, découragement, ravissement, gravité, tristesse, amusement, voilà la palette non exhaustive qui se déploie dans ce recueil tout en nuances et en humanité.

 

Ce qui est recherché, d’entrée de jeu et à chaque fois, c’est une petite musique qui sonne juste ; elle se tient en sourdine, se fait mélopée dans « L’enfermement » qui ouvre l’œuvre comme pour signifier que la répétition phonique, lancinante, disait au plus près le tourment du narrateur qui implore en vain une aide maternelle :

 

                                        Ça ne passe pas

                                        maman

                                        ça ne passe pas

 

                                        Ça ne peut pas passer

                                        mon fils

                                        ça ne peut pas

 

                                        Ça ne passera jamais

                                        maman

                                        ça ne passera jamais

 

                                        Tu le sais maintenant

                                        mon fils

                                        tu le sais

                                        ça ne passera jamais

 

Dans ces quatre dernières strophes du poème, on sent bien que toute la force hypnotique repose sur l’art musical de la répétition et de ses variantes et cet exemple inaugural sera suivi de bien d’autres en cours de route.

 

La poésie explique François Minod dans son poème du même nom « est un murmure entre deux expirs », « ça bruisse », « ça chante », « c’est ton nom qui résonne de loin en loin » et bien qu’elle soit définie comme un paysage, une présence- celle d’un enfant, de l’enfance -elle est peut-être avant tout musique ou écho, réminiscence et cicatrice des « bleus de la vie », sous forme de blues infiniment tendres et mélancoliques.

 

                                          Aller chercher

                                          En dedans

                                          De soi

                                          La petite comptine

                                          Du vent

                                          Frais

                                          Du matin

                                          De notre enfance

                                          Et sourire

                                          Au jour

                                          Qui vient (p. 27)

 

Dans ce court poème, tout tient dans la scansion des mots, la légèreté de l’empreinte sur la page, la joie pure de mots simples de « la petite comptine » du premier matin du monde.

 

Quelques mots, une quintessence sonore à l’emporte- pièce qui suggère de façon mi tragique mi comique ce qu’une vie peut être et voilà un poème métaphysique et pour autant sans prétention : tout l’art de François Minod :

 

                                          Laisser couler

                                          la vie

                                          Jusqu’à la lie

                                          Et attendre

                                          En silence

                                          Le frémissement

                                          De la nuit (p. 31)

 

Et au centre de cet art, la revendication sous- jacente de la bonne diction, de la récitation, de la lecture à voix haute comme si l’on chantait ou que l’on était au théâtre. La poésie comme art vivant, vibrant, qui se prononce en articulant parce qu’il faut faire entendre les allitérations, les répétitions, les assonances, les jeux de mots, le « tisser le dire »[1]. On remarquera donc l’assonance en « i » qui ricoche de vers en vers créant un retour, une interrogation aiguë pareille à une stridence donnant à entendre combien la vie est faite d’embûches, de blessures mais aussi de contemplation poétique. 

 

Parfois la répétition d’un même son surtout à la rime semble un pied de nez aux vers classiques, un défi humoristique, un déchaînement cocasse et libérateur, voire jubilatoire, à l’accent quasi juvénile comme dans le poème suivant :

 

                                         Sur mes échasses

                                         Voraces

                                         Je suis ta trace

                                         Et je sasse

                                         Et ressasse

                                         Les mêmes histoires

                                         Salasses

                                         O ma connasse

                                         Je te chasse

                                         je t’enchâsse

                                         Et t’enlace

                                         Et de guerre lasse

                                         Je me casse

                                         Sur mes échasses

                                         Voraces

                                         Sans que tu le saches (p. 48)

 

On tourne en rond dans une bande-son qui crée moins de sens que de jeu. Ne reconnaît-on pas ici le rythme et le goût de la rime comme dans le rap ? Le clin d’œil à cette expression contemporaine dynamise sa poésie, la rend solidaire de toute une jeunesse. Et d’ailleurs, François Minod ne dit-il pas page 57 en ce poème d’une seule phrase : « On ne peut pas toujours être grave, même si noire est notre âme sous le pochoir. »

 

Le jeu est un dérivatif qui détourne l’angoisse et permet de sortir de la glu des émotions ou de la sensiblerie. Parvenir à la drôlerie - suprême élégance - est une dimension à l’œuvre dans tous les recueils du poète : il faut traquer le lieu commun, le triturer, le travailler au corps jusqu’à toucher à la poésie de l’absurde à l’instar d’un Raymond Devos, dont je crois, il se revendique une proximité. Ainsi ce dernier recueil contient-il plusieurs saynètes ou dialogues qui font appel à cette verve tonique, acrobatique qui creuse le sillon d’un mot (« La chose », p. 42-45) ; d’une expression (« La fuite du temps », p. 50-51 ; « Au plus près », p. 68) ; d’un constat (« Tu es lent », p. 46-47 ; « Rien ne vient », p. 69) ou d’une situation administrative ou autre (« Les faits, rien que les faits », p. 49 ; « La vérification », p. 72-75) et dès que l’interrogation ou interrogatoire est déclenchée, une logique de l’absurde se met en place qui fait surgir des images et retentir des sons qui reviennent comme si l’avancée du texte ne dépendait que de la répétition nuancée des mots, du ressassement du concept qui se vide de son sens ou au contraire se trouve dopé par sa remise en question. La poésie de ces fragments de vie, de ces fragments de langage se tient sur la crête funambule de ces dialogues improbables. Voici la première partie de « La fuite du temps » :

 

-       Vous n’auriez pas vu passer le temps ?

-       Non, il paraît qu’il est en fuite.

-       Depuis longtemps ?

-       Depuis qu’il passe.

-       Ça doit faire un bail, non ?

-       Plusieurs même.

-       Vous ne sauriez pas comment le rattraper ?

-       Si je le savais, je ne serais pas en train de vous parler.

-       Comment ça ?

-       Je serais en fuite.

-       Avec lui ?

-       Eh bien oui, avec lui. Comme vous d’ailleurs. Nous sommes restés figés dans notre temps, si j’ose dire.

-       Il y a peut-être une solution.

-       Laquelle ?

-       Partir.

-       Où ça ?

-       En Égypte ?

-       Pourquoi en Égypte ?

-       Pour pouvoir fuir. Il y a eu des précédents. »

 

Que faut-il en définitive pour rêver si ce n’est ce plaisir des mots si bien agencés ensemble, si sensiblement en alerte de sens, d’euphonie, de cacophonie, d’élan vital, de silences éloquents, de lyrisme nocturne ? Eh bien ce sont ces moments fragiles, presque aériens, que nous livre ce dernier opus de François Minod et que je vous recommande de lire sans modération !

 

 En PS : Les monotypes de Catherine Seghers.

 

Les six monotypes de Catherine Seghers sont un accompagnement d’une rare délicatesse aux poèmes et textes de François Minod. Comme le dit avec justesse Mireille Diaz-Florian, la plasticienne « a cette capacité d’intégrer, avec humour et tendresse, la poésie de François Minod. » Son univers capte avec douceur la perplexité et la solitude des êtres, l’ambiance plutôt lunaire et mystérieuse qui se dégage des mots, la révélation onirique des visages et leurs ombres, une quête discrète, le goût du peu, du trait net qui invite pourtant à une envolée, une échappée vers un lointain inconnaissable - l’âme humaine sans doute.

 

 

 

Note de lecture de 

Dominique Zinenberg 

 

Francopolis, novembre-décembre 2020



[1] Tisser le dire de François Minod, Le Petit véhicule, 2018