LECTURE - CHRONIQUE 

 

http://www.francopolis.net/images/revbg.jpg

Revues papier ou électroniques, critiques, notes de lecture, et coup de cœur de livres...

ACCUEIL

ARCHIVES:  LECTURE CHRONIQUE

 

 

LECTURES –CHRONIQUES

 

Dominique Zinenberg, Pour saluer Apollinaire

(Éditions Unicité, 2019)

dans la lecture de Nicole Goujon

 

 


http://www.editions-unicite.fr/auteurs/ZINENBERG-Dominique/pour-saluer-apollinaire/couverture_200px.jpg

 

  Je voudrais saluer Dominique Zinenberg pour son livre Pour saluer Apollinaire, paru aux éditions unicité, 2019. Des saluts en chaîne, des ponts entre les auteurs… Elle erra dans les rues de la ville. L’automne l’embrasait ; Apollinaire soudain devenait si proche malgré l’océan du temps et de l’espace, p. 79 « Thomas Hansen ».

  Des saluts comme des ponts : le Pont Mirabeau… ou comme dans « Zone » où Dominique ferme le rideau sur la scène des amis et des grands noms inspirants : Nicolas de Staël, Picasso, du Bellay, Villon, Hitchcock etc.

  Après un enthousiasme de lecture, je me sens bien petite pour rendre compte de cet ouvrage. Je ne connais pas Dominique Zinenberg et bien peu Apollinaire ! Mais, ce que j’aime c’est le parti pris de ce livre, son audace d’écriture. Au premier abord, elle semble se protéger derrière un nom – Apollinaire -, mais non ! En fait, elle s’affirme dans ce salut à la fois proche et distant. Cette position me semble juste.

  Un exercice magnifique ! A priori ce n’était pas gagné ! À l’arrivée, oui ! L’essai est transformé et c’est un beau livre.

  Il s’agit de dix courtes nouvelles (de 3 à 16 pages) dont les titres sont presque tous originaux, à l’exception de « Zone » directement emprunté à Apollinaire (premier poème d’Alcools), du vers « Devant la douce mer d’azur et de sinople » (Lettre à Lou, Nîmes le 11 mars 1915, p.200, L’imaginaire Gallimard) et un bout de vers de « Les Colchiques » pour « Et ma vie pour tes yeux ».

  À propos d’Apollinaire, Paul Léautaud écrivait : Il a fait une œuvre si personnelle, si neuve, qu’on retrouve son influence jusqu’à des vers qui pourraient être de ses vers, chez bien des poètes dont beaucoup ne l’avoueraient pas. » Eh bien Dominique avoue tout et fait une œuvre si personnelle qu’elle ne copie, ni n’imite Apollinaire, et, finalement, elle le cite peu … Alors que fait – elle ?

  Elle le « salue ». Je ne vais pas pointer l’art subtil des références à Apollinaire (la variété des formes que prend ce salut). Elle fait référence et révérence. Elle salue un maître, un mage, une étoile, un guide, un inspirateur, un ami, un initiateur certes, mais surtout un embrayeur d’écriture ! (Le terme n’est pas très joli, mais je n’ai pas trouvé mieux). Elle ose écrire ! Et pas comme lui ! Elle écrit justement dans « Retournement » p. 19 :  jamais ne s’arrêtait pour s’installer dans son espace à lui.

  Elle est traversée, bouleversée, émue, habitée par la langue d’Apollinaire et déclare dès le début du livre un ardent désir des mots dans « Je dis nécessité », p.9. et elle relève le défi d’écrire à sa façon à elle ! Elle écrit dans le sillage, certes, sur la trace oui, dans l’alchimie de filiations secrètes, mais elle écrit ses propres histoires en écho.

  Bien sûr, elle convoque ouvertement Apollinaire dont les thématiques sont présentes : amour, jalousie, solitude, abandon, femmes, amis, brûlures, eaux de vie … elles sont là mais transformées, reconnaissables et méconnaissables tout à la fois.

  Dominique écrit de l’intérieur de la littérature, de l’intérieur de ses lectures, de ses émois de lectrice. Ainsi dans « Thomas Hansen », p. 81 : (Le recours à la poésie de Guillaume Apollinaire était de l’ordre du réflexe inconscient pour elle, à chaque moment important de sa vie les vers du poète l’accompagnaient, elle en connaissait beaucoup par cœur, ils étaient parapet, garde-fou, trésor dans lequel puiser pour toutes les émotions, toutes les peines, toutes les saisons.)

  Avec ce « Salut à Apollinaire », Dominique tient son alibi d’écriture, son prétexte, elle saute le parapet, dépasse le garde-fou … elle s’enhardit, elle paye son dû à la littérature, sa dette à l’écriture, son émancipation … car elle répond sur un autre terrain d’écriture en effet. On peut parler tout autant d’un salut d’éloignement. Son travail a la double qualité de la distance (observation, attente, retrait, discrétion, mélancolie) et de proximité (perméabilité, sursaut) ; qualité de la distance si bien posée dans « Et ma vie pour tes yeux » p.16 : C’était comme pendant l’enfance, quand elle se tenait silencieuse dans l’embrasure des portes à observer les gens et le monde. Et qualité de l’engagement, de la vie comme dans « Devant la douce mer d’azur et de sinople », p.37 : Elle savait vivre comme personne. Avec passion, avec emportement… Son avidité avait quelque chose d’animal.

  Des histoires donc, presque toujours des femmes. Des portraits dont celui d’une jeune fille « Sarah Dinberg » p.29 : Comme si elle était plutôt paysage que personnage ». Des scènes. Des mises en scène. Les scènes sont de nature, d’inspiration très différentes, faites d’approches difficiles, de rencontres inabouties, de décalages, d’attente, de séparation, de guerre et de poésie. Dans « Fugue » p.51 l’étudiante est bouleversée à la lecture d’un vers et se rend compte que son professeur l’avait piégée dans ce poème mieux qu’il eût fait dans ses bras. Des histoires bien menées, bien conduites, dans une économie du dire, épurées, travaillées, ciselées.

  Je ne peux pas et ne veux pas raconter plus car, si ce n’est déjà fait, vous lirez les histoires de Dominique !

  Pour finir j’aimerais simplement citer quelques passages et souligner que les premières lignes de chaque nouvelle sont souvent très belles. J’aime tout particulièrement le début de « Voler » p. 41 : Le bruit familier, les odeurs familières, les murmures, la gorgée de liqueur noire, amère, sur les lèvres d’abord, ce deuil qu’on ingurgite, filtré par la rétine, comme si un café pouvait être un Soulage et un sésame pour la plongée dans l’interdit. S’en suivent des considérations sur l’écriture, la matérialité, la physique de l’écriture des hirondelles sur un fil électrique, le blanc de la page.

  Et poursuivre avec le drame, la Guerre 14-18 évoquée dans « Le manque », p. 65 où plutôt que voir les hommes au front, on voit les femmes aux champs : … Le travail occupait toutes les sueurs. Tout était bataille pour la moisson, le soin des bêtes, la répartition des tâches. Les femmes s’organisaient, ne se ménageaient pas afin que tout ait l’air de fonctionner comme si de rien n’était.

    Un mot encore, le dernier sur « Zone » qui clôt le recueil et dans lequel on suit Guillaume et son compère qui s’avancent dans un territoire sans frontière et où Dominique esquisse un état du monde comme le paragraphe final le suggère p. 90 :

  Des éclaboussures d’alcool s’égayent comme autant de kaléidoscopes, de lumières psychédéliques et machines électroniques, d’inventions foudroyantes, affolantes, de tableaux de bord aux manettes magiques, de sésame ouvre-toi dans tous les lieux, des poèmes fantasques court-circuitent les chemins battus, abolissent les rigidités de la grammaire et du même coup déstabilisent les mentalités et créent de nouvelles pépites. Dans notre monde déboussolé, nous marchons tous en titubant, intoxiqués dans nos cellules étroites ou étrécies. C’est dans ces lieux malades que nous faisons nos promenades quotidiennes… Zone de rave ou de rêve, no man’s land abolissant les limites, c’est surprise de zone où tout pourrait danser, se libérer, art poétique à vivre, sans le carcan des forteresses et possessions.

  Voici donc tracé un beau parcours littéraire, j’oserais dire… de A à Z, d’Apollinaire à Zinenberg !

 

 

Présentation du recueil de Dominique par Nicole Goujon,

au Buffet littéraire de février 2019

 

 

Créé le 1 mars 2002A visionner avec Internet Explorer

Note de lecture de 

Nicole Goujon 

 

Francopolis, janvier-février 2019