LECTURE - CHRONIQUE 

 

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LECTURES –CHRONIQUES

 

Note de lecture de Dominique Zinenberg :

Estelle Fenzy, La minute bleue de l’aube

(les éditions La Part Commune, 2019, 122 p., 13 €)

 

 


  La Minute bleue de l’aube, dont le titre épingle un instant précis du temps (la magie virtuelle de ce zigzag bleu qui naîtrait de l’aube – alba, la blanche – autrement dit du regard de poète porté sur le monde) se déploie sur un an, d’un automne à l’autre par petites touches de poèmes courts, toujours ouverts sur l’énigme du jour qui naît ou de la nuit finissante et toujours à la fois lovés en eux-mêmes et interrogeant de façon simple l’essentiel.

  Les émotions à fleur de peau ou devrais-je dire de mots sont diverses, rémanentes, éparses, mystérieuses ou concrètes. Elles évoquent l’enfance et l’enfant, le deuil et la joie, le silence et la solitude, le ciel et ses saisons, les oiseaux souvent, mais les chats aussi et le poème comme socle et lumineux souci à travers tout le recueil.

  Estelle Fenzy est sensible à la ténuité des impressions, à la qualité et à la force du silence qui permet de faire éclore la musique des mots, leur rareté. Être du silence : comme on est d’un pays (p. 89)

  Voici les premiers vers du recueil : ils créent un climat d’intériorité ou d’intériorisation qui donne le la à l’ensemble :

                       Dehors la lumière est lointaine

                       Ferme les volets

 

                       Que rien ne puisse partager mon silence (p.9)

 

  Le silence, juste à l’orée de l’aube, est un bien précieux loué à plusieurs reprises par la poète. Il est un leitmotiv trahissant le désir de saisir le trésor qu’il porte en lui :

 

                       Que

                       jamais un poème

                       si beau soit-il

                       ne remplace

                       l’incessant voyage

                       de ton silence (p.28)

 

  Quelque chose peut vibrer, résonner, revenir grâce au silence et à la nuit. De l’obscur du silence et de la nuit ou de ce qu’il en reste à l’aube, et quelle que soit la saison, c’est la possibilité de capter la présence de l’absent, du disparu, du fantôme :

 

                     Le jour avance

                     armé de vide

 

                     Je me replie dans mon rêve

 

                     Tu étais vivant

                     ôtais les draps des meubles

                     ouvrais les fenêtres

 

                     Je respirais mieux

 

                     Le jour est entré

                     le jour et puis plus

 

                     rien

 

                     Puisque ce sont les limites

                     qui font exister les choses

 

                     Qu’en est-il de ton absence

                     Qui troue le corps et l’âme

 

                     et qui n’a pas de fin (p. 33, 34)

 

  La nuit, c’est le rêve, l’accomplissement des désirs, la fragilité, d’obscurs combats de chats, d’obscurs démêlées avec soi, le retour des fantômes, le poème non écrit oublié :

 

                    Chaque nuit

                    je me sens plus neuve

                    et plus nombreuse

 

                   comme tous ces poèmes que je rêve

                   que j’oublie aussitôt (p.37)

 

  Le chagrin est sans contour ni limites, mais la joie non plus. La joie de la sensation claire, irrationnelle que J’ai traversé ton fantôme /en entrant dans la cuisine/ce matin // Je l’ai reconnu/au sourire qui m’a envahi/ le cœur à cet amour en moi/ qui veille et continue (p. 40)

 

  Dans les pages du recueil, partout l’enfance et l’enfant, les enfants. Écrire/Tenir ouverte/ la bouche de l’enfance (p. 10) L’enfant d’Alep :

                 

                  Alep

                 

                  Il est terrible le regard de l’enfant

                  Il sait qu’il sera le premier

 

                  à mourir (p.27)

 

  Conscience aiguë de la vie des enfants : Chaque seconde/ un enfant naît sur la terre // jusqu’où ira son cri (p. 41) ; mais aussi présence implicite de l’enfant très jeune, du nouveau-né ou de ce qui fait enfance dans des images, des bribes de contes, des jeux. En vrac et en exemples : Emmitouflés jusqu’au museau/ les enfants jouent au loup/ au chat à la souris (p.42) Que chantait cette berceuse/inventée mon enfant clair (p. 41) Fragile / ce matin la lumière/ est née avant terme // Regarde/ sous la fontanelle/ déjà le jour palpite … (p.32) Mais surtout présence de son enfant, dans la pièce d’à côté qui dort et qui au matin aura encore grandi.

 

                 Cette nuit j’ai dormi dans tes draps

                 Tes draps de fleurs de lait de larmes

                 Tes draps d’encore enfant

                 Ton doudou penchait la tête tristement

                 Je me suis enveloppée et j’ai eu mal

 

                 Cette nuit j’ai dormi dans ton chagrin (p.62)

 

  Les pages se tournent déclinant les saisons, le passage d’une saison à l’autre, d’une aube à l’autre, d’une insomnie à l’autre. Se juxtaposent les moments de découragements, de mélancolie à ceux où la force de la vie, de la beauté l’emportent. Ce sont les variations des aubes, tantôt claires, tantôt pluvieuses, tantôt automnales et douloureuses, tantôt printanières, langoureuses et ambiguës.

 

  Mais il y a le poème qui s’écrit, le poème complice, le poème amour, le poème délivrance, celui qui est rêvé, celui qui répond (peut-être) à un autre écrit par quelqu’un d’autre au même instant :

 

                     Une fenêtre s’est allumée

                     à la maison d’en face

 

                     Quelqu’un écrit peut-être

                     le même poème (p.17)

 

  C’est une nourriture le pain des mots/la mie poésie (p.74) incluant ici le jeu de mots la mie/l’amie.

  C’est une soif qui devient douleur, sang quasi christique : Mon poème avait soif/ j’ai pris la cruche/ j’ai versé // C’est mon sang / qui a coulé (p.61) La poète dit ici de façon fascinante que le poème réclame du sang et des larmes, qu’il exige le sacrifice de soi, que sa demande est le contraire exact de la futilité.

  Au fil des jours, des pages, des aubes, le poème exerce diverses fonctions, il se métamorphose, il s’impose comme une évidence, il est nommé encore et toujours avec insistance, il est cri d’amour, il est socle, habitat, nécessité :

 

                      Écrire

                      pour empêcher

                      que tout tombe ((p. 83)

 

                      Écrire

                      C’est comme accueillir

                      un mouvement d’amour (p. 88)

 

                      Poème

                      tu es sans rivage

                      un horizon qui dure

                      une dérive dans l’air du large (p. 94)

 

  Comme cette dernière strophe le montre, le poème ressemble au voyage sans fin d’Ulysse, rempli d’écueils et d’embûches, il reste incertitude, inachevable, éternelle dérive. Il est un socle, certes, mais fragile, incertain, illusoire même. La poète ne cesse de s’interroger sur ce qu’apporte réellement l’écriture du poème. Il reste obsédant, il peut se faire baume, guérisseur, mais la voie du poème est impénétrable, elle est parfois marquée du sceau de la déréliction, comme si le poids de vivre était plus fort encore que le bienfait des vers qui s’imposent ou se dérobent :

 

                     Parfois

                     je ne sais plus

                     si le poème écoute

                     ou s’il fait semblant (p. 97)

 

  Et c’est parce qu’il est continuellement personnifié que le poème, selon les moments, est perçu de manière différente car comme les jours, comme les saisons, comme l’enfant, tout change tout le temps et le poème ne peut se définir de façon définitive.

 

  Avec ce magnifique recueil si riche de sensations, de passion de vie, de douleurs, de perceptions des autres, de soi, de la nature, une leçon d’humilité est donnée sans qu’il y ait désir ou intention de donner de leçons et cela agrandit encore le charme de cette Minute bleue de l’aube.

 

                      J’écris

                      un tout petit poème

 

                      Le refuge

                      n’en sera pas moins grand (p.115)

 

 

Dominique Zinenberg     

 

 

Note de lecture de 

Dominique Zinenberg 

 

Francopolis, septembre-octobre 2019