LECTURE - CHRONIQUE
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LECTURES –CHRONIQUES
Note de lecture de
Dominique Zinenberg
au numéro 129 de la revue Friches
La revue Friches existe depuis 1983 et est
dirigée par Jean-Pierre Thuillat qui est aussi poète. Il y a bien longtemps
que j’aurais pu consacrer une note à cette revue et j’essaie tant bien que
mal aujourd’hui de réparer ce manque. Tous les deux ans, pour la livraison
d’automne, l’honneur revient au lauréat du Prix Troubadour et aux nominés du
prix, et dans chaque autre numéro, Friches propose un « Hors
champ », un « cahier de textes », un hommage comme dans le
numéro 129 où nous trouvons le « centenaire de Victor
Segalen » ; une courte partie est réservée aux critiques
« Défrichés pour vous », partie complétée depuis peu par une Lettre
en ligne. La revue fait la part belle aux poètes peu
publiés encore et à qui une ouverture généreuse est donnée par ce biais. Le « Hors champ », juste après le
« En guise éditorial signé par Jean-Pierre Thuillat » accueille des
poètes confirmés comme pour ce dernier numéro Danièle Corre, dont une note
biographique précise le parcours et un choix de textes récents qui permettent
d’entendre la voix singulière de la personne.
Qu’attend-on de la
vie si courte ?
peut-être simplement
des voix, des sourires d’enfants
qu’on
a cueillis en courant
au long des jours,
qui carillonnent encore
sur nos routes,
peut-être ce chant
des voyelles et consonnes
qui redit l’amour vorace
des êtres et des choses
agrippant le cœur
à l’aube des blés ? Le corps de la revue est constitué de
« cahiers de textes ». Entre deux cahiers, l’écrivain Victor Segalen
donne accès aux belles proses de Stèles,
à une note biographique copieuse, à une page bibliographique qui plonge dans
l’univers exotique et énigmatique de ce poète trop peu évoqué. Quant aux
cahiers, ils donnent voix en trois ou quatre pages à des poètes plus
confidentiels qui selon les goûts de chacun s’avèreront de vraies rencontres.
Après chaque feuillet de poèmes, une très courte biographie les situe afin
que le lecteur puisse éventuellement le rechercher et le suivre. Dans cet
numéro, nous pouvons lire Christian Sapin (des extraits de Le Jardin somnolant) En secret/Dans la plaine blanche/ Tu
avances à grands pas/ Sans te soucier des arbres morts/ Qui signent le talus… ;
Monique Saint-Julia Si près de toucher
le bonheur/ et la vie parfois s’en mord les doigts/ ravive les beaux
souvenirs/ qui dormaient dans les oubliettes… ; Daniel Louis-Etxeto Semez/vents/
vos écritures/ sur les portants du ciel/ dans la fulgurance/ des racines de
l’air… ; Muriel Carminati Amour marécage/ fils de la pluie/ faux
pas vraie fatalité/ toiles
scintillantes de rosée aux/ macabres secrets… ; Marcel Lepeyre Vinrent les étés leurs
clairières/retrouvailles heureuses sous l’égide/ dans quatre éléments en
eurythmie/ sommet de l’Arbre de nos cellules… ; Ginette de Matha Vingt-cinq siècles après/ Les lionnes
feulent/ Dans un silence/ de granite // Le soleil s’en fout/ Les touristes
s’en cognent // Mais l’aède lui/ Pleure et pleure/ Encore et toujours… ;
Alain Richer Comme l’Amante dénudée
d’un soir magnifique/ ton jour est chant de grâce hauturière… ;
Nelly Carnet Dans le corps de la baie,/
l’élévation surplombe le monde/ Il porte tous les mouvements de l’amour/ qui
remuent des pans entiers de lumières. … ; Pierre Ducouret
Cathédrale de prestance/ posant regard
sur la place/ Tel un chien de haute race/ Défenseur des Eminences… ;
Estelle Cantala Tout
est nu/ neuf/ cent mille feuilles en cours d’élaboration/ prêtes à respirer/
au creux des bourgeons/ le chat/ s’en fiche … ; Frédéric Massadier et ses haïkus Mégot à la bouche/ L’ouvrier travail - / Prévert du marteau-piqueur. Entre
le deuxième et le troisième cahier, un souvenir, celui de Jeanpyer
Poëls (1940-2018) par le témoignage d’André Sagne. Jean-Pierre Thuillat participe depuis
trente-six ans à la vie magique et discrète de la poésie contemporaine. Il
est un des remparts à la raréfaction de sa répercussion ; il aide à la
sauvegarde de ce trésor qu’on ne saurait négliger et à sa manière avec ses
Cahiers de Poésie verte, il est aussi écologiste que toute personne qui tente
de sauver des espèces menacées. Il sait comme chacun des lecteurs et
participants à Francopolis combien la poésie est indispensable à l’humanité
et combien elle souffre de l’indifférence dans laquelle on la maintient,
alors même qu’elle est le joyau de l’existence à la fois hors prix et sans
prix, exigence et humilité, énigme et transparence, gravité et jeu,
diffractant tout le spectre des interrogations, des volontés, des désirs et
soucis du monde. |
Note de lecture
de
Dominique
Zinenberg
Francopolis, mai-juin
2019