LECTURE - CHRONIQUE 

 

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LECTURES –CHRONIQUES

 

Note de lecture de Dominique Zinenberg :

Josette Ségura, Au plus près de nos pas

(Les Cahiers d’Illador, 2019, 54 p., 15 €)

Catherine Sourdillon pour le dessin de la couverture et le frontispice

 

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  Peut-être que Au plus près de nos pas de Josette Ségura pourrait passer inaperçu car le recueil chuchote des mots familiers, souvent doux, feutrés, qui secrètent modestie des propos, simplicité des mots, des situations décrites, une sorte de credo du quotidien sans faste, sans prétention, sans lyrisme ostentatoire.

  Des pas, des promenades, des conversations, des visites, des impressions frugales, légères et cependant, en filigrane, un art de vivre, un art poétique, un souffle et un désir de spiritualité.

 

  Le recueil est accueil. C’est pour le lecteur une invite au lâcher prise, à la douceur de la confiance en l’autre comme si, devenus aveugles, nous tenions la main amie de la poète et que nous nous laissions guider dans le parcours qu’elle a choisi pour nous, parcours qu’elle aime et connaît bien ou qui même si elle en découvre une partie pour la première fois, se relie secrètement à elle par une odeur, une lumière, un charme, un « je ne sais quoi » qui lui permet de se l’approprier comme s’il devenait déjà souvenir.

 

  Les prénoms d’inconnus qu’elle connaît, fréquente, associe à de grandes tablées festives ou plus intimes, viennent dans ses poèmes comme s’il allait de soi de les nommer pour nous qui n’avons aucune idée d’eux. Et loin de nous agacer, cette énumération singulière crée une fraîcheur narrative qui tient de l’enfance. Il n’y a que les enfants pour penser que les adultes savent forcément de qui ils parlent quand ils nomment des personnes.

                              

                               C’est curieux comme le ton guide,

                               il y est ou il n’y est pas,

                               comme une voix dans la voix,

                               sinon tout tombe à plat,

                               « Il y a une petite musique,

                               on ne sait pas ce que c’est »

                               disait Gaston. (p.10)

 

  Gaston, Annette, Anne-Marie, Marie-Madeleine, Bernadette lovés dans le recueil au même titre que « mon père », une jeune fille, un anonyme qui perd un peu la mémoire (Il se penche, / nous parle de la pente d’eau, / il ne sait plus où elle se trouve, / « ah ! c’est ma tête » etc.) (p.24), tous participent du poème, de son élaboration, de sa possibilité.

 

  En les nommant, Josette Ségura les intègre à ce qui est le plus précieux : la trame de sa vie et de la poésie. Elle donne à entendre la polyphonie sacrée de l’amitié ou de l’humanité croisée au hasard des rencontres, des lieux visités (qui eux aussi sont nommés avec délectation, comme en écho aux noms des personnes : Rocamadour, Rodez, Albi, Veilhes, le Tarn, Montauban, Aveyron, le Valais, Martigny etc.

 

  Donner la parole à, rendre la posture ou la gestuelle de quelqu’un, faire affleurer les fantômes depuis le rêve, saisir une odeur, une sensualité de tarte ou d’œufs à la tomate, s’émerveiller du cri des premières cigales de mai, de la beauté apprivoisée d’un jour que l’on a cru simplement « banal », voilà ce que la poète fait en écrivant avec l’exigence du « ton » qui « guide », le réflexe de la rature (Tout écrire/barrer ensuite/ cette chute/ avait besoin de cette rature pour apparaître,/ tout sert, / les mots en trop, les vers loupés, très mauvais même, / met en chemin.) (p. 30), le désir, non pas d’emprisonner la vie dans un poème, mais tout au contraire lui insuffler la vie par la vie même :

 

                              On soupèse, on sent

                              comme un livre déjà au bout des doigts,

                              on a le titre mais peut-être en faudra-t-il un autre,

                              la neige est annoncée,

                              j’aurais voulu garder quelques flocons dans un poème,

                              comme si, notant,

                              je voulais faire entrer de la vie. (p. 40)

 

  Les poèmes du recueil sont courts. Ils sont élagués, épurés, concentrés. Ils forment des tableaux qui concrétisent une impression, un souvenir, une couleur, une senteur, un chant d’oiseau. L’encadrement peut-être une fenêtre à travers laquelle l’on voit un paysage, on suggère une saison, mais c’est aussi la page blanche ou déjà écrite. Quelque chose que l’on peut appeler « coïncidence » entre le dehors et l’intériorité de la poète doit palpiter pour qu’il y ait éclosion poétique, naissance d’un poème.

 

                            Je gratte le givre de la vitre,

                            je dessine une petite fenêtre à rayures,

                            un jour, ces trois enfants qui rient,

                            ne me verront plus que comme ça,

                            derrière la fenêtre de la coïncidence. (p. 27)

 

  Une autre coïncidence se dessine à travers le recueil et qui se susurre ou se suggère plus qu’il ne s’explicite : c’est la coïncidence entre la vie banale, légère ou grave, flâneuse, visiteuse, rêveuse et le lien ténu, peut-être espéré, peut-être ressuscité avec une certaine foi chrétienne. Et cette impression ne naît pas seulement de l’attention portée aux abbayes, mais de l’irruption soudaine dans les derniers poèmes du recueil de la figure de Marie-Madeleine ou de celle de Bernadette qui ne sont plus tout à coup de simples prénoms d’amies dont on épingle un comportement, mais les contemporaines du Christ. Ainsi Josette Ségura suggère-t-elle que certains êtres vivent de façon séculaire l’expérience du temps de la vie de Jésus comme si la chronologie et le passé s’abolissaient dans la foi du présent.

 

                         […] Marie-Madeleine se met à courir vers les apôtres,

                                essayant de ne pas trébucher sur les pierres du chemin

                                dans les parfums d’herbes du matin,

                                Bernadette dit des mots qu’elle ne comprend pas,

                                comme lorsqu’on se lance dans un poème

                                qui finalement en sait plus que nous,

                                ce qu’il cache

                                sautera aux yeux plus tard,

                                comme si souvent après coup

                                tout nous atteignait encore davantage. (p.43)

 

  Le dessin de couverture et le frontispice de Catherine Sourdillon sertissent avec délicatesse le recueil-bijou que Josette Ségura nous livre pudiquement comme on donne un sourire :

 

                                 J’aurais dû d’ailleurs leur parler,

                                 laisser monter un sourire (p.31)

 

  Mais chère poète, c’est ce que vous avez fait !

 

 

Dominique Zinenberg    

 

 

Note de lecture de 

Dominique Zinenberg 

 

Francopolis, septembre-octobre 2019