LECTURE - CHRONIQUE 

 

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ARCHIVES:  LECTURE CHRONIQUE

 

 

LECTURES –CHRONIQUES

 

Petites études de Dominique Zinenberg

 


1.

Lydia Padellec, Sur les lèvres rouges des Saisons, suivi de Les métropolitains,

Éditions Unicité, 2019 (13 €)

 

 

    C’est à partir de trois formes poétiques japonaises – le haïku, le tanka et le haïbun – que s’élabore le recueil de poèmes de Lydia Padellec. L’influence de la tradition nippone croise l’influence bretonne ou parisienne. L’exotisme formel permet le regard renouvelé, candide et de fine observation du quotidien français. La poésie naît de cet écart subtil entre deux cultures et la sensibilité singulière de la jeune femme fait le reste. Dans Sur les lèvres rouges des Saisons, l’année commence en automne et se termine en été. Tout vibre et vit d’une vie concrète et cependant imprégnée d’une ambiance musicale, d’une culture littéraire, nichée dans l’ombre, et tapie sous la tempe créant un dehors de feuilles qui tombent du fait de l’automne, de pages que l’on pourrait tourner, feuilles murmurant les secrets des livres réunis dans un désordre anachronique qui relie des affinités secrètes et mystérieuses de poètes dispersés dans l’espace et le temps, et aimant de la feuille blanche de la narratrice qui cherche les mots d’encre de la nuit.

 

   Je tourne en rond autour de ma page blanche. L’âme comme anesthésiée. Amnésique. Les pulsations du cœur et de la pensée ralentissent. Le sommeil guette la moindre faiblesse. On écoute dans le clair-obscur. Les branches de l’érable frappent doucement à la fenêtre. Au loin, un chat miaule en regardant la lune. On voudrait remplir le vide avec de l’encre. L’opacité des mots. La nuit toujours la nuit. Et la voix de Billie si proche de mourir. (p. 18)

 

   Les haïkus naissent du tâtonnement de la prose, à partir d’une pénombre, d’un murmure et d’une musique écoutée en boucle, il surgit comme un fantôme – produit insolite, inattendu, improbable – arraché des mille riens fugitifs du moment, du passé breton qui rejoint l’instant de tous les métissages et strates culturels issus de la nuit d’automne :

 

                            Sur mes lèvres

                            un goût brûlé

                            de crêpe au blé noir (p. 18)

 

   Ainsi le chant de l’automne est fait de feuilles et d’or, de pluie, de châtaignes, de tartes aux pommes, de présence du chat et d’absence et solitude comme le tanka suivant le suggère :

 

                                Trois jours

                       Que les feuilles du magnolia

                              Tombent

                              Trois jours

                     Que j’attends ton texto (p. 25)

 

   L’hiver est pèlerinage et neige. Pour Lydia Padellec comme pour René Char, l’hiver est hypnose. La blancheur est un passage, une traversée vers le rêve et le rapt du silence à même les mots. La morsure du froid, la cruauté de la vie ou sa douceur se disent en tercets fulgurants :

 

                             Paris blanc de neige

                             dans la cabine téléphonique

                             un SDF dort (p.36)

 

                             Dans la nuit d’hiver

                             un flocon sur mes lèvres

                             pour tout baiser (p. 37)

 

   L’expérience de neige d’aujourd’hui est de même nature que celle des neiges d’antan, qu’elle rappelle lointainement Villon ou les poètes-pèlerins du Japon, qu’importe, ce sont des strates de neiges qui superposent les temps ou les lieux, et produisent la même émotion, le même ressenti si humblement humain :

  

    Aujourd’hui, je marche seule dans la neige. Je pense aux haïjins, à Bashô, à Santôka, qui partent seuls en pèlerinage à travers le Japon. Les flocons sur mon visage. Les mêmes sur leur visage. (p. 31)

 

   Comme dans les romans courtois, l’amour vient avec le renouveau. La musique le précède, mais la fleur de pissenlit annonce l’émoi du printemps ! Le prélude haïbun, cette fois-ci, célèbre la guitare ou le guitariste, qui sait… Les haïkus peuvent éclore dans Paris amoureux.

 

                            Pensant à toi

                            des akènes de pissenlits

                            dans le vent (p. 47)

 

   Le printemps n’est que fleurs : un chapelet de fleurs au fil des haïkus et tankas : glycine, azalée, pétales, pâquerettes, rose, coquelicots … et pourtant nous sommes à Paris.

   Des frémissements sensuels traversent ce temps printanier.  Seul le chat semble traverser les saisons dans une permanence rassurante :

 

                           Déclin du soleil

                           se faufile entre les fleurs

                           l’ombre d’un chat noir (p. 50)

 

   Le printemps n’est qu’oiseaux, papillons, langueur de l’attente ou bonheur des présences :

 

                          Pluie battant le volet –

                          ton souffle chaud

                          sur mon cou (p.50)

 

   Les lèvres, comme la présence du chat, continuent d’être rouges !

 

   Et la jeune femme, poète, étrenne un nouveau carnet, pense à ses manuscrits :

 

                         Pensant à demain

                         des manuscrits en attente –

                         envolées de pétales (p.51)

 

   L’intimité amoureuse, rêveuse, primesautière envahit les pages comme un baume.

 

   L’été est éblouissement et souvenir. Retour à l’air marin et à l’enfance. A ce qui n’est plus et pourtant ressurgit. A ce qui sépare : des jours passés, révolus, de l’amoureux ailleurs qu’avec elle, de la grand-mère disparue. L’été claque : c’est un ressac temporel sans tristesse, mais sans émoi non plus. Heureusement, le chat continue son esquisse fidèle.

 

                       Le chat noir sursaute

                       près de lui

                       l’ombre d’une mouette ! (p.61)

 

  

                                              Tanka

 

                                       Séparation estivale –

                                         Dans ma chambre

                                       Fermée à double tour

                                          Je relis la carte

                                       Que tu m’as envoyée (p. 66)

 

 

    Avec Les métropolitains qui suivent Sur les lèvres rouges des Saisons, Lydia Padellec nous fait voyager dans le métro parisien et grâce à lui, dans bien des contrées du monde. Dans la première partie, ce sont, dans des poèmes assez courts livrés en italique, ce qu’elle appelle des « Fragments de vie » ; dans la seconde, des haïbun c’est-à-dire de courtes proses après lesquelles l’on trouve un haïku.

 

   Dans « Fragments de vie », nous sommes déjà avec elle dans le métro, nous l’accompagnons de ligne en ligne, voyageant doublement dans Paris et dans les pays que le nom des stations fait surgir. Chaque poème ressemble à une chanson rythmée, assonancée. C’est une rêverie éveillée charmeuse et rappelant la cadence du métro :

 

Sur la ligne six

la « Place d’Italie » me ramène

à mes dix-sept ans

la dolce vita et la chapelle Sixtine.

              Je lisais Baudelaire et son Invitation au voyage

rêvant d’un pays qui nous ressemble …

 

À « Bir-Hakeim »

s’ouvrent les portes du désert

le souvenir de batailles d’hier

et les cris de liberté d’aujourd’hui.

On dit aussi que là-bas

au cœur des palmeraies natales

l’arbre s’incline pour écouter

le chant clair des poètes. (p. 77)

 

    Dix textes forment « Les métropolitains » et tout un monde croqué, cosmopolite, surgit. Des gens du monde entier. Des enfants, des vieillards. Des Africains, des Asiatiques. Destins fugitifs que le regard de la poète fixe un instant. Fragilité, densité. Scènes instantanées au milieu des trajets dans la capitale.

Lydia Padellec est essentiellement un regard, une cinéaste qui saisit l’instant magique improbable que son acuité capte.

 

                                 Assises côte à côte

                                 mère et petite fille

                                 portant le sari (p. 86)

 

   À cette acuité du regard s’adjoint un élan humain sans mièvrerie, juste, clair et saisissant. Je donnerai pour finir l’exemple du neuvième haïbun, page 91 :

 

   En descendant à la station Montparnasse de la ligne 6, à toute heure de la journée, on découvre, assise sur les marches des escaliers, une petite vieille, maigre et pâle, vêtue d’un T-shirt pailleté. (…) Les gens passent sans la voir. Sauf les enfants qui la regardent, intrigués. Le poète aussi la regarde. On dirait une fée, une fée déchue de ses pouvoirs, invisible et silencieuse. Son visage semble chanter une mélodie triste et muette. D’où vient-elle ? Quelle est son histoire ? Les gens passent sans la voir. Sera-t-elle encore là demain ?

 

                                       Sur ses mains ridées

                                       entrelacs de veines bleues

                                       encre indélébile

 

 

2.

Gérard Mottet, Ô combien cela te ressemble, tableaux de Chantal Lacaille,

Éditions Unicité, 2019 (18 €)

 

 

 

  Ce recueil de poèmes et tableaux se divise en deux parties : la première « Jeux de miroirs » contient 21 poèmes inédits entrecoupés de neuf tableaux ; la seconde « Portraits sans visages », sous-titrée « Petite anthologie » est un choix de 21 poèmes personnels de Gérard Mottet extraits d’autres œuvres déjà publiées, eux aussi rythmés par douze tableaux de Chantal Lacaille. Tableaux non figuratifs définis comme « abstraction lyrique », ayant en commun la couleur bleue qui se décline de façon nuancée, façon kaléidoscope permettant de recevoir ces abstractions comme autant de possibilités d’évolutions du vivant. Toutefois son dernier tableau, hors champ, en quelque sorte, est le seul ayant un titre « La guitare amoureuse » et sa couleur dominante est le rouge. Il suggère dans la peinture même la dimension musicale des couleurs et le rappel que la poésie est aussi musique.

  Le thème majeur des poèmes du recueil est la quête de soi. Avec la poésie de Gérard Mottet, on n’est jamais très loin de la philosophie, ni non plus de la chanson, mais c’est une philosophie qui s’incarne dans les paysages, dans l’attention toujours renouvelée aux quatre éléments comme à la condition humaine fragile, à la fois enchanteresse et dérisoire. Un va-et-vient constant s’effectue entre le soi, intime, questionneur, qui jette un regard indulgent et mélancolique sur la vie et tout ce qui cerne, entoure, embrasse et sépare l’homme des autres. Mais l’intime et l’extérieur ne sont qu’un leurre car il suffit de bien regarder, d’être du côté de la vision pour reconnaître le rapport secret entre l’extérieur et l’intime. Voir et écrire, c’est saisir la porosité entre dedans et dehors, c’est capter les images de soi à travers le miroir des choses, des êtres, des paysages et des nuances des jours. Quelque chose d’une très grande fragilité se dégage de ces textes doux et mélancoliques. La vie défaillante, le sentiment de la brièveté de l’existence parent toute chose d’un voile de tendresse d’où l’impression d’une volonté de déceler la moindre étincelle de vie dans chaque chose et d’éveiller le prochain à la modestie de son expérience forcément parcellaire et limitée.

 

Tu ne verras jamais que l’infinie

variété des ombres et des reflets

jamais le flot pur et limpide

de la rivière (p. 29)

 

  Le besoin de transparence rejoint la quête d’identité. Il faut savoir qui on est et on approche de ce savoir faillible et incomplet en observant la nature, comme si, en scrutant son mystère, on ravivait ou faisait naître des paraboles guidant l’existence.

 

Qu’es-tu d’autre ?

 

Comme d’autres

              des pépites d’or

                                dans le sable

 

              tu te cherches

                               dans le mouvement

                                            de la vague

 

             tu écoutes

                           le cri de la nuit

                                         qui t’appelle

 

                                 qu’es-tu d’autre

                                    qu’un ancien écho

                                            de toi-même ? (p. 18)

 

  Le travail poétique consiste, parallèlement à l’évocation de la mer, comme ci-dessus, de mimer le rythme de la vague, de le rappeler pour  faire surgir au cœur de l’interrogation existentielle la vague concrète comme si on l’avait devant soi.

  Avec Gérard Mottet le questionnement philosophique est concomitant à la contemplation : l’un s’aimante de l’autre ou se nourrit de l’autre.

 Et voici pour clore cette ébauche d’analyse, deux exemples dans la partie « Portraits sans visages » :

 

Transparente la nuit

 

Transparente la nuit    les disques traversent

l’aurore des paupières  l’amour   l’espace

noyés les rêves    les torrents étoilés.

 

Crevasses du temps    l’espoir gercé de sang

écrira sur nos lèvres les paraboles

fleurs astrales   fluorescence des neiges

nous deviendrons transparents dans la nuit.

 

Ardente sur nos corps d’exil passera

l’avalanche des lunes échevelées

cris révolus d’insomnieuses blessures

les mers   les récifs   la mouvance est en nous.

 

Corail d’oiseaux   presqu’île blanche   à travers

les algues du ciel et les métamorphoses

rougeoie l’éclat des soleils triangulaires. (p. 69)

 

 

 

Certitude d’être soi-même

 

Certitude d’être soi-même                 ici en son enclos

           ou bien         errance au gré des vents de nulle part

pourquoi               te faudrait-il choisir

 

ici        là-bas                     dans cette quête de toi-même

                entre même et autre             toujours te guette

l’exténuement      de    l’être

 

maison                        que tu croyais refuge de ton âme

            fragile hutte  aux murs de paille    au toit d’écume

n’entends-tu pas ce vent d’autan  qui cogne à ta fenêtre

 

et quand ton âme                                  à marée basse

           barque en latence             aux voiles repliées

sera               comme enlisée    dans les sables du temps

gisante                         abandonnée                        alors

             comme un sursaut          que tu n’attendais plus

te reprendront bientôt                     les vagues de la mer. (p.76)

 

Créé le 1 mars 2002A visionner avec Internet Explorer

Petites études de 

Dominique Zinenberg 

 

Francopolis, janvier-février 2019