LECTURE - CHRONIQUE
Revues papier ou électroniques, critiques, notes de
lecture, et coup de cœur de livres... |
|
LECTURES –CHRONIQUES
Notes de lecture de
Monique W. Labidoire :
Riverains infimes de Jean-Louis Bernard,
Éditions Les lieux-Dits, avril 2020.
***
La table d’attente de Frédéric
Tison,
Librairie-Galerie-Racine
– novembre 2019
Riverains infimes de Jean-Louis Bernard, Éditions Les lieux-Dits, avril 2020 (7 €) La
grande interrogation de l’Être est désormais bien visible dans la poésie de
Jean-Louis Bernard. Elle s’appuie, comme dans ses précédents recueils sur la
mémoire de ce qui fût qui même archaïque
jamais ne s’endort. L’être est ici humain dans sa chair et dans sa
parole, une parole fracassée mais qui devra trouver son futur possible. Les
poèmes identifient leur appel à l’indéfini qui comprend la globalité du nous
pluriel « Nous/riverains
infimes/prononçons des pluies/et leur son est énigme » mais aussi
quand le locuteur nomme le médiateur «
Tourné/ vers l’essentiel ailleurs/ le poète attend », le lecteur est
lui aussi en attente. Quand Jean-Louis Bernard nous parle clair, que le poète
et l’homme ne sont plus que ce « Je
(qui) vous parle/du pays
d’ailleurs » nous nous trouvons dans une respiration partagée et les
mots prennent leur sens profond. Le
poète tente de formuler la pensée d’un monde souvent inexplicable par la
raison seule et le poème de Jean-Louis Bernard donne en miroir cette
incompréhension, il resserre les liens entre les mots et les poèmes comme
pour garder en lui un secret, il parle plutôt d’énigme à résoudre dont nous
ne trouvons pas toujours la solution. « Au
centre de nous/cette peur/omniprésente/ Dans l’obscur tremblement/de chaque
mot ». C’est bien le paradoxe de l’art poétique qui utilise un
matériau de sens alors que l’art musical anime nos émotions par ses sons, ses
rythmes et son vibrato. On ne dira
jamais assez que le poème est lui aussi une beauté intrinsèque que nous ne
devons pas oublier de lire pour ses gammes mélodiques. Quand
l’énigme est résolue, que les sons des mots partagent leur sens et que nous
avons compris que nous sommes dans la vérité du questionnement existentiel,
alors les poèmes de Jean-Louis Bernard nous permettent de nous rapprocher de
nous-mêmes, d’écouter notre voix intérieure pour mieux franchir les
frontières de cet ailleurs que nous attendons avec lui et qui serait,
peut-être, d’accepter l’incompréhension de ce qu’est ce temps de vie
poétique. Continuer, ensemble à cheminer sans trêve, riverains infimes d’un univers possible. |
La table d’attente de
Frédéric Tison, Librairie-Galerie-Racine, Collection
Les Hommes sans Épaules – novembre 2019 (15 €) L’attente
serait donc le mot clé d’une vie et de son poème. L’attente d’un ailleurs,
d’une révélation, d’une rencontre. L’espérance pourrait-elle se substituer à
l’attente. Dès les premiers poèmes du recueil, Frédéric Tison semble
substituer l’attente à l’accompli puisqu’il écrit dès les premiers
vers : « Je suis ici le vent
d’un autre port, d’un autre pays, d’une autre fois » Le poème lui
donne le pouvoir de revenir sur ses attentes passées qui se déclinent en état
d’être et fixent des lieux, des sensations, des sentiments aussi. Les lieux
ainsi nommés font resurgir un vécu réel ou rêvé, une ville portuaire, la mer
et toujours beaucoup d’oiseaux. Les
lieux nous confient les sentiments du poète, sentiments du passé et d’âge volontairement
livrés au lecteur qui rythment les séquences dans une sorte de regard sur
soi-même. J’avais dix-sept
ans » avec Rimbaud et tous les espoirs de la poésie et d’ailleurs, lorsque j’aurai quarante-cinq ans,
avec un poète qui ne serait pas un fantôme. Frédéric Tison déambule dans
Paris, du boulevard Sébastopol au passage de la Main d’or qui évoque sans
doute ses lectures d’André Breton et de Nadja, ses galeries parisiennes
chères aux surréalistes et dans lesquelles se trouvent aujourd’hui encore des
sources mystérieuses. Le
temps, cet espace qui ne peut réellement couvrir les heures d’une façon
régulière vit sa vie selon les ressentis et la patience du poète « Je m’ouvre à l’attente – je ne confonds
plus ma béance avec toute l’absence » profitant de cet état d’être
plus lent plus attentif pour mieux regarder les êtres et les choses,
éclairant son regard d’une autre lumière : « Les passants marchent dans le ciel : leurs têtes sont pleines de
soleils et d’anges. Les arbres frissonnent. L’horloge n’est pas à
l’heure ». Pour
le poète devenu « maître des
marges » après en avoir
été l’apprenti depuis plusieurs recueils, l’expérience est bien de fiancer la
neige et le feu, le ciel et la terre et de relier poétiquement, « habiter
poétiquement le monde ». Il nous appelle à « Regarder mieux, après les larmes de murs,
de grottes et de sommeil » et si nous voyons toujours mal il se
destine à changer l’image : « Je
serai là, l’image qui manque, la ressouvenance, la pleine fenêtre et
l’innombrable passant » (*). (*)
Je vous recommande l’étude approfondie
de Jean-Louis Bernard dans le n° 77 de DIÉRÈSE sur Frédéric Tison et le
rapprochement que l’on peut faire de ces deux poètes concernant l’attente et
l’absence entre autres thèmes. Monique W. LABIDOIRE |
Notes de lecture
de
Monique W. Labidoire
Francopolis, mai-juin 2020