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« LE SILENCE ET LA PAROLE »  de
 A. Heddachi

par
Hha Oudadess (Rabat)

Cela fait quelques mois que je lis, compulse et relis «  Memmis n Ifesti d Awal » de A. Heddachi, afin de livrer mes impressions sur cette œuvre. L’auteur m’a laissé entendre qu’il serait curieux de savoir ce que j’en pensais. A chaque fois je découvre quelque chose de nouveau. Si je me laissais aller, je n’en finirais pas d’ajouter des remarques et commentaires. J’ai donc décidé de m’arrêter, tout en sachant qu’il y a encore beaucoup à faire. J’ai dû même laisser de côté des remarques non développées. Disons d’abord qu’il est très difficile de classer ce livre dans un genre littéraire donné. On a l’impression qu’il court plusieurs lièvres à la fois. Et c’est naturel : Les Imazighen ont commencé à parler d’eux-mêmes et en Tamazight ; il n’est donc pas étonnant qu’ils veuillent tout dire à la fois. Cependant, ce pourrait être, sous forme de dialogues, un essai qui ne dit pas son nom. Je propose d’en traduire le titre par « La parole, c’est l’enfant du silence » ou « La parole émane du silence. » Encore faut-il savoir de quel silence il s’agit. L’auteur parle en passant du silence de la mort, de celui d’avant et d’après la parole, de celui qui consiste à taire quelque chose et même d’un silence qu’on peut étrangler de ses propres mains (Tzêlgem ifesti s ifassen nnun ; p. 168) Toutefois, il me semble que la leçon est, peut être, qu’il faut un temps de réflexion (profonde) avant de parler. Mais il y a aussi que la parole, en Tamazight, peut signifier la brouille, la bagarre, etc.

S’agissant du style, le lecteur non averti pourrait croire que Haddachi veut impressionner par un vocabulaire recherché. D’abord, ce même lecteur n’aurait, sans doute, jamais eu cette idée à propos d’un écrit en français ou en arabe par exemple. Il aurait eu, naturellement, recours à un dictionnaire ! Ensuite, il est vrai qu’un certain vocabulaire est méconnu par beaucoup de locuteurs de notre langue. Mais il faut aussi rappeler que Haddachi est l’auteur d’un dictionnaire de Tamazight. Encore faut-il préciser qu’il affirme que, pour tout ce qui concerne la vie courante, on n’a absolument pas besoin de néologisme ni d’emprunts. Il y a aussi que l’auteur est poète. Dans sa prose, il garde la tendance à faire de belles phrases et à user de jeux de mots. De plus, il renforce cet aspect en émaillant son texte de proverbes, d’expressions consacrées, de réparties reconnues, d’izlan (distiques amazighs), etc. . Il donne l’impression de vouloir, à bout de souffle, livrer tous les aspects, de la sagesse amazighe, dont il a connaissance.

A signaler aussi une idée de l’auteur. Je ne sais pas si elle est nouvelle mais je la trouve intéressante. Le premier qui prend la parole est anonyme. Trois points de suspension le signalent et tiennent lieu de nom. Est-ce à dire qu’il s’agit d’une discussion perpétuelle à laquelle l’auteur prend part, à un moment donné, par l’entremise de différents personnages ? Ceci semble justifié par le fait que le dernier interlocuteur est également anonyme et aussi désigné par trois points.
A noter aussi que certains personnages sont présents du début jusqu’à la fin à savoir Acal, Aseklu et Iselli. Ils représentent, en quelque sorte, la permanence. Alors que d’autres apparaissent au cours d’un chapitre ou deux puis disparaissent ; il en est ainsi de Aghyul, Agdid, Anzare, Asif, etc. . Ils correspondent aux phénomènes passagers. Acal a toutes les réponses. Il est celui qui semble porter le fardeau le plus lourd. En fait, il ne s’agit même pas d’un fardeau. Il dit simplement les choses comme elles sont. Mais il ne parle jamais beaucoup. Il en a vu d’autres. C’est en maître qu’il participe au débat, rappelant telle chose, clarifiant telle autre ou indiquant même le devenir soit clairement soit par allusion. Il a toujours le dernier mot. Aseklu est d’une grande sagesse. C’est lui qui comprend le mieux Acal et parfois même l’anticipe. C’est comme si chez la sagesse acquise et qui aussi dénote la conceptualisation alors que chez Acal c’est la connaissance innée et éternelle. Le discours de Acal est noble, sans dérision, ni agressivité, ni longueur. Alors que Aseklu tente des explications. Les assertions du premier sont toujours d’un niveau plus élevé ; elles sont plus profondes que toutes celles qui les précèdent et qui, elles-mêmes, sont déjà très bonnes. A ce propos, Acal n’ouvre jamais le débat.

L’analyse littéraire, dont je ne possède d’ailleurs pas les instruments, n’a même pas été entamée dans ce qui précède. Je vais maintenant indiquer quelques messages qu’il m’ait semblé reconnaître dans cet essai ; tâche à la portée de n’importe lecteur.


Commençons par ce qui concerne le silence. Il apparaît dans le titre. Il est semé, à tout va,  à travers les pages. La courte introduction, de l’auteur, en p. 8, est révélatrice. J’en comprends que tout est noté par écrit. Je dis donc qu’il sera ressorti le jour du jugement ; sur terre et non dans l’au-delà. Que l’adversaire ou l’ennemi ne croit pas avoir, en face de lui, des moutons. Le silence ne signifie pas l’acceptation et encore moins la résignation. Peut être que les assertions de Insi, Iselli et Aseklu, à la fin de la page 119,  ainsi que de Insi au début de la page 120 vont-elles dans ce sens. Elles ne parlent pas d’elles-mêmes. Haddachi est-il trop pusillanime ? On peut le penser. En tout cas on peut en comprendre que Ifesti c’est l’Amazigh et que le réveil viendra de la femme ; sa mère.
Le message majeur concerne évidemment l’authenticité (l’amazighité). Elle est bien assise sur l’histoire et la tradition mais elle n’est pas du tout archaïque, ni figée, ni refermée sur elle-même. Elle est ouverte sur le monde. Il n’est pas seulement question des sentences de nos imgharen, des poèmes de nos imedyazen ou des histoires de nos grands-mères. Il est aussi fait référence à Socrate, en Californie, à Pavlov, à Seattle (comme chef indien), Tom et Jerry, etc. . L’authenticité est soulevée, en particulier par une courte phrase, de Aseklu : Ar nettettu allig nettu mayd nems (p. 107) c’est à dire « Nous nous sommes mis à oublier au point d’oublier qui nous sommes. » Et à propos de la Californie, elle souvent citée et à chaque fois dans un but précis. Il y’en a qui y voit le paradis rêvé sans penser jamais y arriver. Il y’en a qui savent comment faire : Ils envoient leurs femmes y accoucher afin que leurs enfants (et peut-être eux-mêmes) bénéficient de la nationalité américaine. Mais l’auteur, fils du terroir, nous fait dire (p. 168) par un personnage anonyme –un quelconque Marocain qui se sent bien Marocain- que cette Californie pourrait, elle,  venir à nous, en silence, si on le voulait.

Chez les Imazighen, le changement et l’évolution sont tout naturels ; à l’image, probablement, des phénomènes naturels. L’immobilisme n’est pas de mise. La supériorité ne peut durer. Dès la page 10, Acal nous assène « Ghas addja tt ard t i tawy.» C’est l’expression, répandue chez Imazighen, de la conviction atavique et profonde en le changement des temps. Et c’est bien Acal, l’éternel, qui l’énonce. Mais on retrouve aussi cet état d’esprit dans l’intervention de Iselli au début de la page 123.
L’écrit et son importance ne pouvaient être passés sous silence. Il y en a même qui vont jusqu’à considérer comme négligeables des peuples sans écrit. Par la voix d’Islli (p. 116), après une intervention d’Insi (p. 115), l’auteur nous rappelle  qu’il y a une autre écriture indélébile -avec laquelle on vient au monde- à savoir la mémoire historique qui retient sous forme de tatouages douloureux toutes les maltraitances subies. Et celle-là ne contient pas du tout de mensonge. Quant à l’autre, Insi, dans une longue intervention (pp. 153-154) attire notre attention sur le fait qu’elle peut dire vrai comme elle peut dire faux.
Un fait, à première vue, étonnant est que Haddachi utilise, comme c’était courant au Maroc, le mot Uday (Tudayt au féminin) pour désigner un peureux (se.) Il l’utilise bien dans ce sens et à plusieurs reprises. Ceci m’a d’abord intrigué. Il se trouve que ce vocable renvoie aussi à la malice ou à l’ingéniosité. Il peut désigner quelqu’un qui arrive à se sortir de -ou à démêler des- situations apparemment inextricables ; et, dans ce sens, celui qui connaît des choses obscures. Par ailleurs, il y a un autre surnom, de la vipère et qui utilisé par l’auteur ; c’est Âetti Sefiyya. Alors, pourquoi Uday et Tudayt ? Je pense que ce n’est ni une maladresse, ni une inattention. D’après moi Haddachi s’est voulu provocateur afin d’inviter certains lecteurs à extirper les derniers relents d’un mépris grossier du juif ; au cas où il y’en aurait encore.
Toutes les spécificités de la culture amazighe sont importantes à relever. Mais il y’en a une qui m’est vraiment chère. En page 49, Iselli a juré pour soutenir une affirmation. Il à noter –et c’est le cas dans la tradition amazighe- qu’il ne mêle pas Dieu à ses affaires quotidiennes. Il ne jure pas, non plus, par un Sidi ou un Moulay. Il jure sur l’honneur. En cas de mensonge, son serment (son témoignage) ne serait plus valable. C’est un indice, parmi d’autres, de la responsabilité entière encas d’engagement.
Une question et une brève réponse de Iselli, en page 57, méritent également attention. Il y est dit que l’homme sort (du ventre) de la femme. Ce n’est donc pas la femme qui sort d’une côte d’Adam, comme le veut le mythe.
 Au début de cette conclusion, je tiens à relever un fait curieux. Tous les personnages, sauf un, sont masculins ! Misogyne ? Haddachi est invité à s’expliquer. Seule la vipère est de sexe féminin. Bien sûr, il est question de la femme ; mais si peu. Et même si, à aucun moment, elle n’est diminuée -bien au contraire- l’on peut, tout de même, regretter son absence ; sous forme de Tamazirt, par exemple. Et elle en aurait à dire. Elle en gros sur le cœur. A ce propos, Acal ne peut être considéré comme bisexuel. C’est, bien sûr, la terre nourricière. Mais la maternité, chez Imazighen, se situe du côté de Tamazirt –ou Tamurt- qui englobe Acal et aussi tous les aspects ethnologiques. On ne dit pas Memmis n Acal mais Memmis n Tamazirt. Avis à Haddachi ; un autre chapitre est-il ouvert ?
Le dernier paragraphe, de la page 68, peut être considéré comme une conclusion momentanée d’un dialogue qui doit continuer. A ce propos, et pour chatouiller l’enseignant puis l’inspecteur de mathématiques qu’a été Haddachi, où sont les trois points de suspension qui l’attente de cette continuité ? Dans ce paragraphe, le locuteur appelle à s’en tenir au silence qui est le nôtre. Il ne s’agit pas de garder le silence. L’auteur ne dit pas « Ayd igan winnex ». Il dit « Nna igan winnex. » Il serait donc question d’ un silence positif. Du moins, me plait-il de le penser. L’expression « Da issidir ar ittidir » -il fait vivre et il vit- ne va-t-elle pas dans ce sens ? Et puis encore « Ur sar inni ad ifest ifesti » c’est à dire « Le silence ne se taira jamais » ! Je comprends donc que la parole éclairée prend ses racines dans le silence.
Une curiosité de cet essai est que c’est en page 64 que l’auteur, me semble-t-il, nous dit que le silence doit prendre fin. Il fait dire par Acal que celui dont le silence n’engendre pas la parole est en dehors d’e la vie ; il n’en fait plus partie. Il met aussi, dans la bouche de l’arbre, un distique, du poète vivant Lesieur, à savoir que celui qui parle (ou qui réagit) vaut mieux que celui qui baisse son capuchon ; et qui donc se tait.
Enfin, en ces temps d’idéologies et d’extrémismes, je choisis de clore mes remarques et commentaires par un proverbe, rapporté par Insi à la fin de la page 109, à savoir : Si le manche était intelligent, il n’armerait pas la hache contre sa mère et sa fratrie.



par  Hha Oudadess
pour francopolis avril 2007 

 

Créé le 1 mars 2002

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