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________________________________________________________ Anthologie de la poésie française - Les aimants - Mots comme la route... et plus
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Timitar ne Dda Azayku (Les signes de Dda Azayku) par Hha Oudadess (Rabat)
Timitar
est, à ma connaissance, le premier recueil moderne clairement
militant, en faveur de Tamazight. Il est bien mûri, profond et
d’une finesse exceptionnelle. Il s’étale de 1967 (Amarg, p. 77) à 1980 (Astara, p.96 ; Ijddigen iqqoren, p. 115 ; …).
C’est donc une production sur 14 ans. De plus, ces années font toutes partie de la période de plomb au Maroc. Le recueil est sans introduction, sans préface. Ce qui en tient lieu, c’est une dédicace, poétique elle-même, qui porte des messages très forts. Là voici Dédicace. [Cette gerbe de fleurs, je l’ai rêvée pour Maman qui n’a point tué, en moi, le flambeau de Tamazight même s’il la tuée elle-même, elle est encore vivante. Je l’ai rêvée pour les muets qui m’ont donné la parole en des temps sourds .. Ils m’ont dit Ensemence la graine .. de la parole [La Langue]]. Timitar (Les Signes), titre du recueil. Mais les signes de quoi ? Le mot apparaît en page 39, dans le poème Takwetbit (La Koutoubia). Takwetbit biddent Debout est la Koutoubia
Ara x takka timitar Aussi, nous donnant des signes Ne willi zrinin. Des anciens disparus. Le poète parle à
Takwetbit, il l’imagine pleine de lumière, la tête dans le
ciel, telle la fumée mais brisant le soc du temps et scrutant,
de haut, l’atmosphère. Il rappelle la grandeur de ses
bâtisseurs.
Les tombeurs d’obstacles
Nés dans les monts Entre les mains, le flambeau Clair le chemin, aussi bien l’esprit Le cœur plein de verve Puis, il plaint l’état piteux du symbole.
Telle qu’elle, lasse est Takwetbit …………………………………… Le pied de souillure
couvert ……………………………… Comme si non issue De cette terre sa
racine. Désire, pour de vrai, être
couverte Par le temps de ses propres
ténèbres Comme jadis, ses bâtisseurs, il
ensevelît Qui allèrent sous terre. Il
apprend à la tour que seules les étoiles maintenant la
connaissent elle et ses sœurs [à Rabat, à
Séville]. Puis
Quant à ceux-là qui t’entourent
Ô, rien ils ne valent. Il l’implore alors de rester debout et que son cœur ne soit pas chagriné. Puis La racine du passé est encore, en nous, vivante,
Certes, celui qui vit Encore parler, il pourra Même si les autres désirent Que l’oublie la parole. Il
la prend comme témoin de son discours, déclare que c’est
sa hauteur qui sema ces pensées dans son cœur et qu’elle est la
semence et la pluie avec des araires dans les mains. Il finit par
S’il y a sillon
Les charrues, ensemble, le labourent Je te prie Takwetbit, debout, reste Et sur nous, soit témoin. Je
tiens aussi à remettre en question la dénomination
Koutoubia. L’idée reçue renvoie au fait qu’on aurait eu
l’habitude de vendre des livres au pied de cette tour. Je propose une
autre version. Il n’est pas déraisonnable de penser qu’il
s’agirait de Tagweddimt (devenu Tagwedmit), féminin de Agweddim.
Ce dernier vocable désignant n’importe quelle tour ou poste
élevé) de guet. Il y en a encore d’innombrables dans le
Sud-Est marocain. Par ailleurs, cela n’est-il pas compatible avec le
nom Amur-Akkuc (La terre de dieu) du lieu-dit Marrakech où se
trouve justement Tagwedmit? Aurait-on oublié que Yousef Ou
Tachfin ne parlait que Tamazight ?
Les
poèmes ne sont pas donnés dans un ordre chronologique. Il
semble que l’auteur ait opté pour un autre critère,
à savoir d’alterner les thèmes et les messages. En tout
cas, le premier poème: Awal (La langue)
est de 1978. Il donne la note et le ton de tout le recueil. C’est
l’identité qui est ainsi, dès le début,
annoncée. Vu son importance, nous le donnons dans son
intégralité. Signalons que la traduction, ainsi que
toutes celles de cette lecture, sont de moi-même.
Awal (La langue).
Est Amazighe, Ma langue, Personne ne la connaît ; En elle, elle porte tant, Qui peut-il à elle se mesurer ? C’est moi qui, suspendu, je suis toujours; Notre langue suspendue, Les cordes au coup, Ma langue-organe à peine vivante Ne fait que parler, Parmi les sourds, non lassée. La parole assoiffée, sûrement, En finir des grandes soifs. Est Amazighe, Ma langue, Personne qui en veut. De qui, c’est un rêve, dit-il ; S’en va, nous délaisse. En outre, assène-t-il : Jamais, le jour, elle ne verra. De qui dit Votre langue, de beaucoup se souvient. Les gens ne veulent point Malades être, autant que vous l’êtes. Est Amazighe, Ma langue ; Encore, elle brisera Le temps du silence ; Attisera le foyer dans les cœurs ; Qu’astres ils deviendront, Se rejoindront Dans nos cieux. Le jardin secret du poète.
Azayku le militant amazigh, l’historien fin et méticuleux, est
aussi un être humain. Il est porté par l’Amour. Nous en
viendrons à l’amour maternel, à la compassion pour les
moins nantis ; ce qui n’est autre que l’amour du prochain. Mais il y a
aussi l’amour non partagé avec les autres, l’amour qu’on
éprouve pour un être en particulier, qui ne s’explique pas
et demeure en général dans le jardin secret –et bien
clos- de chacun. Le poète nous en ouvre la porte et laisse libre
cours à ses sentiments.
Ghassad ma yufa
(Aujourd’hui, qu’a-t-il trouvé ?) Aujourd’hui, qu’a-t-il trouvé ? N’est pas tels les autres jours ! Sont-ce les terres qui, Sous les cieux, ne sont plus? Sont-ce les eaux où sont mortes les vagues ? Est-ce toi le vent Qui, plus, ne ressens Que nostalgies ? Souffrance, sans toi, mon œil, Ma Kheddouj, à moi, Ne perçoit que la nuit. De mon cœur, tant est tranché. Cet amour auquel je pense ; Je sais, c’est mon remède, Mais je ne le vois pas. Lointain, même auprès de moi. Est-il, votre cœur, Tout de pierre fait, Mon cher; Ne t’ai-je point retourné ? Te voyant, j’ai goûté De la vie, la douceur. Centaine, sans toi, j’en ai vu. A toi, nulle autre pareille. Kheddouj, la beauté que tu portes Qu’une seule fois ne put naître. Sont-ce des yeux de gazelles, Des crinières d’étalons, Sont-ce des fleurs écloses Dans un visage de lune
Est-ce la royale gelée, coulant Entre de telles dents. Le canon de beauté, Ô Kheddouj, sans toi, Dans les cieux, existe-t-il vraiment ? Je ne pense pas cela. Janbiyyi (Genvillier). En 1969,
étudiant de 3ième cycle à Paris, le poète réalise les conditions
pénibles de nos travailleurs immigrés. L’idée qu’il s’en fait est loin de la
fausse image idyllique qui régnait dans l’esprit de tout un chacun. Il compatit
et nous offre un poème poignant que voici:
Genvillier, de brume
couverte ; Qu’y couvre-t-elle ? De la bravoure, De la misère Et de la peine dans les
cœurs. Les enfants de mon pays, en
elle, Non habitués ; Par le soleil enfantés, A la brume, non
accoutumés. L’amour du terroir, Les siens, Des immigrés, en ont fait
… Les jours, ils font
périr, Des années ; Le jour tant attendu, N’est point arrivé. Secoue la
brume, Genvillier; Le soleil, le voici. Laisse tomber le stress; Entre tes mains, tiens la
liesse, Parmi nos jours, n’est pas
lointain Le grand jour.
L’amour maternel. Ce sentiment est merveilleusement exprimé dans
la dédicace. Il apparaît ensuite
clairement dans trois poèmes : Immi (Maman), p. 30 ; Immi dax (Encore Maman), p.
80 ; Immi de Baba (Maman et Papa), p. 43. Mais plus encore, le mot Immi (Maman)
est repris dans d’autres poèmes ; le
recueil en est ainsi émaillé. La mère apparaît comme la source, le cours porteur
et aussi le lac, ou la mer paisible, dont la largesse et la tranquillité nous
reposent. On peut lui parler, se confier , sans risque de mésentente. On est
même presque sûr d’être compris et reçu à bras ouverts. A signaler aussi le
poème Akkweffay ne Immi (Le lait de Maman), p. 61 du recueil Izmulen. Quelques
vers magnifiques en seront donnés et commentés dans la conclusion. Dans les deux
recueils, l’amour maternel est le
substratum de l’équilibre et de la
stabilité. C’est l’essence de la patience et de l’espoir. Et c’est aussi le
catalyseur de l’action et de l’effort.
Dans Immi (p. 30), le poète donne à la mère
–notre mère- le rôle qui lui sied. C’est l’origine de la vie et du beau. Elle se
sacrifie entièrement pour que perdure la continuité et la beauté. C’est aussi le
symbole, par excellence, de la
générosité sans attente de retour. Maman, toi le jardin Où nos fleurs sont
écloses Celles par
les nôtres plantées Laissées, de terre, non sorties
La clôture, tu en es Gardienne ; que pied ne
piétine. De tes larmes, tu puises de
l’eau Afin qu’elles ne
périssent. ……………………………… Maman, tendre tu es J’ai pris, n’oublie pas, De tes fleurs la vie …………………… Peu j’en ai pris A l’océan, me suis
servis Tinmel nnex (Notre tinmel, p. 53). Le
mot Immi est invoqué cinq fois dans ce
poème. Il est écrit à Rabat, en 1977.
Mais on comprend, qu’en fait, il a été conçu alors
que l’auteur avait à séjourner à
l’étranger, car on y trouve le mot Agwemmedê (de l’autre côté ; de la
mer). Il est donc sur les bancs de l’école française proprement dite, après
avoir fréquenté l’école marocaine officielle. Il se pose alors le problème de la
véritable école, de la sienne. Lui vient alors à l’esprit Tinmel, la mosquée
école, et son rôle crucial dans l’histoire du Maroc. Non satisfait, il se tourne
vers sa mère, comme refuge et, respectueusement, lui soumet ses questionnements
et sa conclusion. Il déclare qu’il est la mosquée de sa mère ( !), déserté par
l’étudiant ; qu’il ne peut partir et délaisser la mosquée de sa mère ; qu’il ne peut se prendre des ailes et
oublier la terre. Il pose ensuite le problème capital.
D’où nous sommes, nous ne
savons Ne savons que nous avons
quitté Notre terre, prise par les
autres Autour d’elle, nous
tournons. Et puis, c’est le retour aux sources qui sont les seules à lever l’ambiguïté sur tous les maux dont nous souffrons. Maman, je désire la mosquée
De ceux-là qui m’ont
enfanté. C’est elle qui dira ce qui nous entrave et
nous délaisse C’est elle qui indiquera Notre Tinmel Notre joie.
La lassitude. Bien sûr, le recueil est plein de mots, d’adjectifs, qui indiquent nettement la situation pour le moins inconfortable du poète et de son peuple. C’est le cas de ‘Sécheresse’, ‘Larmes’, ‘Grande Soif’, ‘Ténèbres’, etc. Il y a en fait des vers, parfois même des poèmes entiers, chargés d’une souffrance et d’une tristesse accablantes. Cela peut même aller jusqu’au découragement. Certaines chutes sont sans appel. Eh oui, on peut bien comprendre que le grand Azayku puisse lui aussi avoir ses moments de lassitude. En effet, nous sommes entourés de qui se dit arabiste, islamiste, progressiste, etc. Le qualificatif commun pouvant être ‘ignorantiste’. C’est l’ignorance et la fuite de la réalité qui font que certains –malheureusement trop nombreux- se complaisent dans des discours creux qu’ils rabâchent à tout vent. Dans Imula (p. 25), est exprimée la malédiction des cieux qui n’arrosent plus la terre. La terre, jamais plus, ne sera gorgée
d’eau Les cieux nous
délaissent. Dans Una ne Irafan (p. 46), l’auteur donne une image poignante de la paralysie intellectuelle qui fait suite à des dialogues de sourds-muets. La question du muet Captée par le sourd L’esprit s’arrête Suspendu Aux racines de la soif …
Tanekra (p. 47) véhicule un sentiment
d’échec qui peut conduire au désespoir. L’attente de jours meilleurs semble
illusoire, au point que le poète reconnaît l’usure et exprime clairement sa
fatigue.
Les lumières que je
recherche Absorbées par les
ténèbres Les maux en mon cœur Ont sectionné, de mon cœur, les racines Le sang des autres En nous, l’audace, a
tué. …………………………. Sèche la moelle, des mauvais
jours, A mâté les poitrines ………………………… Fatigué, je suis
d’attendre ………………………….. Oublié par la montagne, L’honneur, des vagues, n’y fait
plus. Igwlifen (p. 50) de 1975, comme le poème précédent, porte également le message de déception et de fatigue. Le dernier vers en est ‘Je suis las’. En voici d’autres. Les premiers dénoncent le manque de combativité, ou en quelque sorte la démission. Les troupes fuient les
maisons S’engagent dans les
forêts Dans les bois demeurent ……………………………… Ont émigré, les sourds Je suis las. Nous nous contenterons de ces exemples. Il y’en a d’autres. Nous ferons de même avec l’espoir, dans ce qui suit. L’espoir. L’on peut dire qu le recueil
n’est pas gai. Cependant, malgré le constat sans appel sur l’état piteux du
peuple amazigh, le poète nous surprend souvent par son espoir en de meilleurs
lendemains. Comme premiers exemples, nous avons les chutes des poèmes Awal et Genvillier qui ont été intégralement
donnés dans ce qui précède Qu’ai-je à ne pouvoir
assurer, Quand je parle, mes
propos. Puis Moissonnons, prenons de notre
champ Depuis tant, n’avons labouré …
.
Notre semence, à nouveau
poussera Vers elle, l’eau,
dirigeons Plus jamais, ne séchera.
Ô Maman, les avons toutes
labourées Nos terres Avons fait, selon tes
désirs. Et voici, sur nous, de la
pluie. La langue amazighe. Dda Azayku a fait revivre beaucoup de mots qu’on avait tendance à utiliser de moins en moins ou à carrément oublier. Et le fait que ce soit par la poésie permet de les retenir plus facilement. En effet, ils ne sont pas isolés. Mieux, ils sont dans un contexte qui leur donne plus de force. Ils sont enrobés dans des images, des métaphores et/ou dans des chutes percutantes. Je donne ci-après des mots qui ont retenu mon attention. Ils ne pourraient, peut être, que donner une idée de ma propre ignorance de Tamazight. En tout cas, il y a, à la fin de chacun des recueils, une liste de mots dont l’auteur a donné les équivalents en arabe. Adghar (Place, Lieu) : Vocable bien connu au Maroc central ; Dda Azayku l’a adopté, en remplacement de Amkan et Lmoudaâ, en usage dans Le Sous et région. Ifezê : rumination ; De Fezzê (Mâcher). Assergem (honte); de Rgem (insulter) ; Andaru : Lieu de couvage, Nid ; De Anda (Où) et Arew (Enfanter). Wazzê (Particulier, singulier). Arugi (Rebèle) : De Ar (Jusqu’à) et Agwey (Refuser). Tarragt (Dédicace) : C’est l’ensemble des cadeaux offerts à la mariée. Taddanga (Une vague) : Dite aussi Taneggiyt, dans le Sud-Est ; certainement en relation avec le verbe Ngey (Inonder). Hêrboub : Peureux. Aghad (Brasier): On dit Irrig dans le Sud-Est ; en relation avec Tirregin (braises). Tiggas (Coups): On dit Titiwin (de Wwet ; frapper) dans le Sud-Est. Igum : Il est suffisant.
La poésie de Dda Azayku est riche, fine, fluide et laisse toujours un impact indélébile sur tout lecteur attentif.
Dans Akkweffay ne
Immi (Le lait de Maman, du
deuxième recueil Izmulen), c’est l’hommage à la
mère qui est identifiée à Tamazight
(l’amazighité). En fait, ce n’est pas seulement un hommage au
sens classique, quelle que soit sa grandeur et sa
sincérité. C’est la sublimation d’un état
d’âme – l’état d’âme étant déjà
sublime- qui naturellement relie tout être humain à la maternité, à sa
mère ; à notre mère. C’est le sentiment profond qui, consciemment ou
inconsciemment, gère, dicte, induit, les actions de tout amazigh tant qu’il vit
et assume son amazighité. Voici quelques vers de ce poème. Ils ont déjà été
donnés dans la lecture d’Izmulen.
C’est Tamazight qui l’éleva Sur les genoux de sa mère. Du nouveau-né, Orna-t-elle les paupières. C’est elle qu’en rime il parla, Lorsque son cœur ils incendièrent. Il la parla, Aux fleurs écloses dans les yeux de sa mère.
***
- Timitar ((Les Signes) de 1989 : Manchourat Okad, Rabat, 1989.
Timitar ne Dda Azayku
Francopolis avril 2010 par Hha Oudadess recherche Ali Iken
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Créé le 1 mars 2002
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