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 « Tahmiddoucht » de M. Elmanouar.
par Hha Oudadess
(Rabat)




Introduction.
Dans son livre Tahmiddoucht, Moha Elmanouar a eu une écoute patiente et sans préjugé aucun. Nous avons tous eu, à un moment ou à un autre, une véritable attitude d´écoute en présence d´un ancien que nous avons eu la chance de rencontrer. Mais juste après, ou parfois après un certain temps plus ou moins long, tout est oublié, sauf des réminiscences de plus en plus fugaces ; de plus en plus rares. Mais l´auteur a, je ne sais pour quelles raisons, senti la chance exceptionnelle qui lui est donnée. Il a estimé, à sa juste valeur, l´importance de l´événement : Sa rencontre avec Lalla Fadma Tahmiddoucht. Et c´est alors que commence le véritable travail ; qui a pris des années.
Moha a rencontré Tahmiddoucht, pour la première fois, en 2003. Le livre est paru en 2008. Cela fait donc cinq années de travail. Respectueux de la Grande Dame, craignant de trahir la pensée de celle-ci, il a effectué de nombreux déplacements afin d´être auprès d´elle dans la région d´Azilal ; et ce parfois même en hiver. Il m´est arrivé de l´appeler pour avoir sa compagnie à Rabat et de l´entendre me répondre « Ah, je suis au pied du mont Azurki auprès de Lalla Fadma ».

Et puis, le livre que nous avons entre les mains aujourd´hui, est la nième version du premier jet de l´auteur. Toujours soucieux de rendre justice à la Grande Dame, de rester aussi proche que possible de ses déclarations et témoignages, Il n´a laissé nulle place où la main ne passe et repasse, comme le conseille le laboureur à ses enfants, dans la fable de Lafontaine. J´ai d´abord lu un manuscrit d´une cinquantaine de pages ; nous en sommes maintenant à 129. En me présentant le premier manuscrit, il m´avait demandé d´écrire une préface. A ce moment, j´étais très occupé est lui très pressé, peut être, de faire partager son ébahissement à la découverte d´une telle personnalité dans un milieu démuni et dans des conditions en principe dégradantes. Le livre est paru des années après.
La préface, qui est très bien écrite, est de A. Bougrine. Je n´aurais pas pu l´écrire de cette manière. C´est un autre style. Ali Bougrine a également été séduit et captivé par Tahmiddoucht. D´ailleurs, il a un avantage sur moi. Il a effectué un voyage, avec El Mmanouar, et a eu l´occasion de s´asseoir auprès de la Grande Dame et de l´entendre parler.
Plus tard, El Mmanouar m´a demandé d´écrire quelque chose : Un préambule, une deuxième préface (pourquoi ne pas innover ; Bougrine n´aurait de toute façon pas rouspété), une présentation, un poème. Je me suis mis à relire afin de produire une présentation du livre. Un soir, alors que je prenais des notes, la fièvre me saisit et un poème sortit, tout fait, sous la plume. Il s´intitule `Le temple du Zen´.


Le Zen.
Pourquoi Le Zen, alors qu´il s´agit de Tahmiddoucht, une veille femme de chez nous ? Est-ce comparer l´incomparable ? Non. C´est ainsi que nos poètes sont seulement des Ineccaden, Imedyazn, dans notre conception moderne, déformée par des préjugés en nous incrustés par une formation - une déformation devrais-je dire ?- orientaliste ou occidentaliste. Dans notre tradition Amazighe, Imedyazen ce sont nos poètes au sens noble. Mais revenons au Zen. Pour bien comprendre le lien, permettez moi de vous rapporter ce que le premier maître de cette discipline a basé son enseignement sur quatre principes fondamentaux :
(1) Une transmission en dehors des écritures.
(2) Aucune dépendance aux écritures.
(3) Une recherche directe dans la nature profonde de l´être humain.
(4) L´atteinte de l´éveil par cette connaissance.

Et qu´est ce que donc Tahmiddoucht a fait d´autre, durant toute sa vie ?
(1) Elle ne sait ni lire ni écrire. Donc tout est en dehors des écritures.
(2) On pourrait dire que le deuxième point est sans objet, vu que elle-même ne sait ni lire, ni écrire.

 Mais, ce qui est merveilleux, c´est qu´elle n´a pas succombé aux enjolivures des gens du livre.
(3) C´est ce que Tahmiddoucht a fait toute sa vie.
(4) Et je dis qu´elle a obtenu l´éveil.


Selon l´histoire du Zen, le cinquième patriarche, an moment de choisir son successeur, demanda, comme épreuve, la composition d´un poème sur l´esprit du Zen. Il refusa celui du plus ancien et le plus érudit des moines, jugeant qu´il n´émanait pas d´une véritable inspiration. C´est un alphabète, chargé des petits travaux au monastère, qui eut sa préférence. Celui-ci, ayant entendu parler du refus du Patriarche, demanda à un moine de lui transcrire un poème qu´il avait alors composé.
Voici quelques affirmations, de Lalla, qui dénotent, sans ambages, une maturité Zen certaine.

`J´ai très peu d´histoire à raconter, car toute ma relation est du vécu. C´est ce que j´ai enduré qui ma fait dire ce que j´ai raconté en toute simplicité.´ (p. 74).
Ou encore
`Mais, on était tous, les gens de la montagne, dans cette grande école de la vie et de l´indigence qui nous a appris à travailler pour vivre, à lutter contre tous les aléas, à produire, nous-mêmes et seuls, l´essentiel de nos besoins et à limiter ces derniers au juste minimum.´ (p. 74-75).
Elle fait aussi sienne la sentence poétique d´un amedyaz, qu´elle appelle `notre poète´. Je me permets ici de revoir un peu la traduction de El Mmanouar.
`La parole non ajustée, va dévier ; mieux vaut se taire.
Oh ! Bouche qui la laisse, non apprêtée, en sortir.´
Evidemment, ce que je viens de vous dire est une analyse a posteriori. Je n´étais pas du tout conscient de tout cela au moment où le poème s´était imposé à moi.

Le contenu.
C´est une grande Lalla (Lal ne Akham=Lal Ukham ; La maîtresse de maison) qui nous parle. Née tout au début du 20ième siècle, elle aurait maintenant environ 108 ans. Elle livre, sans tabou aucun, son expérience, combien pénible mais riche en enseignements pour qui sait entendre. Tous les sujets sont abordés : dureté de la vie, amour, sorcellerie, djins, religion, etc. Mais donnons la parole à Lalla, par El Mmanouar interposé.
Dès le premier paragraphe, du premier chapitre, le ton est donné.

`Rares sont ceux et celles qui m´appellent encore Tahmiddoucht. Cette filiation disparaît de plus en plus avec celles de mes congénères qui se sont toutes tues par l´érosion du temps.´ (p. 17).
Elle se plaint de la mémoire qui commence à lui faire défaut. En fait, elle souffre beaucoup de ce handicap.
`L´oubli serait alors l´alibi pour la perte de mon identité. Et qu´est-ce qui me restera après l´avoir perdu ? Que du superflu, du factice (p. 17).
Et plus fort encore
`L´oubli est alors une seconde mort. Même douloureux, le souvenir a un charme. Il console.´ (p. 17).
Elle souffre car elle veut transmettre la culture des aïeux. En voici des adages, en exemples.

`Vaut mieux rester debout que de s´enfuir´
`Vaut mieux tout perdre que de quémander´
`Vaut mieux manger du laurier que d´avoir la boulimie´ (p. 17-18).
En ce qui concerne Dieu, la prière et l´au-delà, la sentence de Lalla est, on ne peut plus, nette.
`D´autres disent, m´a-t-on affirmé, que la seule langue du paradis est l´arabe. Quelle honte ! Alors, comment je puis m´en sortir, moi l´analphabète dans leur langue, mais croyante en Dieu, en son prophète et en ses saints ? Moi qui passe mon temps à prier en disant que cette colline est plus haute que l´autre et Dieu est le plus grand. Mécréants, ces telba !´ (p. 22).
Et encore
`Les telba et les igurramen ne viennent jusqu´à nous que pour nous piller, nous rendre encore plus misérables, comme si cet état, qui n´a jamais été le nôtre, ne leur suffit point. Et dire qu´ils sont de gens de paix. Qu´ils périssent !´ (p. 23).
De même
`Quelqu´un m´exhortait, sans conviction aucune, que je devais faire mes prières. Je lui répondais, dans ma perception stoïcienne de mon temps et de mon tempérament que, s´il advenait pour lui de partir au paradis, il n´a qu´à fermer les portes. Dieu est le seul maître de ces mondes. Qu´ils périssent ceux qui veulent vous enrôler dans une vie immature par des subterfuges qui ne sont pas nôtres.´ (p. 27).     
        

Au chapitre 2,
Tahmiddoucht fait le point sur le changement, de la société, depuis la colonisation. Elle commence par rejeter le vocable `Siba´
`C´est quoi ce nom de Siba, de l´anarchie? On nous a baptisé ainsi certainement parce que nous sommes bien obligés de gérer nos affaires nous-mêmes, en perpétuant, en conservant nos propres structures, notre gouvernance ancestrale.´ (p. 29).
Elle repense, avec nostalgie, aux régisseurs traditionnels
`Ah, ces Ijemmaâen [...], ces hommes de guerre et de paix, ces hommes qui donnaient du pain, ces hommes qui connaissaient nos coutumes et notre Azerf, notre droit coutumier, nos lois adaptées à toutes les circonstances, à nos particularismes. Ils étaient respectés par tous, car ils étaient l´émanation de tous ! [...]. D´ailleurs, les plus aptes à assurer une telle charge la refusaient. Et ce n´était qu´après des palabres, qui pouvaient durer des journées entières, que le pressenti cédait enfin. [...]. Aujourd´hui, l´argent, les alliances d´intérêt, les compromissions, les magouilles aux limites démesurées, ouvrent des chemins dans la mer.´ (pp. 29-30).
Ensuite, elle livre son appréciation sur l´époque présente.
`Nous avions le choix. Nous décidions de nos affaires. Nous étions les maîtres de notre destinée. Aujourd´hui, nous n´avons guère le choix. Les choix nous sont imposés. Nous les acteurs d´une farce concoctée ailleurs (p. 30).
Et aussi
`Maintenant, depuis que ceux qui portent ces sortes de couscoussiers sur les têtes ont mis de l´ordre que nous n´arrivons pas à comprendre et, de ce fait, est pour nous, un désordre puisque nous ne pouvons plus nous défendre en attaquant et en pourchassant ceux qui viennent nous voler, nous piller au grand jour ...Ah, quelle drôle de situation !´ (p. 31).

Le chapitre 5
est réservé à son métier de bergère. Elle dit avoir sillonné toute la contrée (monts, vallées, cols, pentes, ...), en donnant les noms de lieux, de villages, de familles. Elle avait commencé toute enfant

`Quelle vie, celle d´un berger et surtout d´une petite bergère que je fus, alors que j´avais à peine six ou sept ans. [...]. Nous n´avions pas eu d´enfance ni d´adolescence.´ (p. 45).
Il n´y a pas, chez elle, de place a posteriori pour un lyrisme exaltant. Elle sait qu´elle n´a pas vécu une vie enviable. Elle ne connaît pas le mensonge. Elle ne veut tromper personne.
`La vie du berger, ce n´est pas une vie. Il suit le troupeau, le ventre vide, sous le soleil, sous la pluie, dans le froid, pieds nus. Lorsqu´il neige, il doit aller couper des branches de chêne vert pour nourrir le bétail, et le propriétaire dit toujours qu´il ne travaille pas assez.´ (p. 46).
`Si quelques bêtes arrivaient à mourir, c´est toi seul qui en es responsable.´ (p. 46).
Le contact est direct, total, naturel, intuitif et réciproque avec les animaux (Chiens, moutons, vaches et surtout les chèvres). L´auteur a été amené à réserver le chapitre 6 à ces dernières. Il commence par
`La chèvre est ma raison d´être (expression qui apparaît dans le titre même du chapitre). Elle est la raison d´être ce que je suis.´ (p. 53).
Quand Lalla parle des chèvres c´est de `mes chèvres´ qu´elle parle, comme si elles étaient toujours les mêmes, en sa compagnie. Elle dit même `mes chèvres chéries´ (p. 51). Elle exprime la réciprocité des services rendus, comme suit:
`Pendant les période difficiles, je peine pour les nourrir, les maintenir en vie au détriment de ma santé, de ma survie. Je me prive pour elles. Et, quand les temps sont plus cléments, elles me sont d´un grand réconfort.´ (p. 53).
Et puis, elle leur fait confiance
`On passait par la montagne et on descendait le col, toujours derrière nos chèvres. Au fait, ce sont nos chèvres qui nous montraient le chemin. Elles étaient et sont toujours nos guides infaillibles.´ (p. 55).
En lisant attentivement, le lecteur s´apercevra que les chèvres de Tahmiddoucht sont bel et bien maternées, évidemment selon les moyens disponibles .
`A nos chèvres, nous donnions de l´orge, de l´herbe après chaque retour. Celles qui allaitent sont les premières à être servies. Rien de plus normal. Une poignée quotidienne, mais constante, leur suffit à survivre, dans les temps qui courent.´
Quant aux chevreaux
`Tawraght, l´autre chèvre a mis bas un très petit chevreau maigre. Je le prends toujours avec moi. Après avoir tété, je le fais dormir à mes côtés jusqu´au matin.´ (p. 90).
Par ailleurs, voici comment Tahmiddoucht estime les services rendus par une représentante de la race canine
`Ma chienne Taja veille sur nous. Elle est mes yeux.´ (p. 25).

Le chapitre 11
traite de l´amour. Bien rares, les romans qui feraient l´impasse sur l´amour, qu´il soit doux, violent, dévastateur ou autre. Mais ici, il s´agit d´autre chose. Il s´agit de l´Amour. L´Amour universel qui contient tous les autres amours. Le premier paragraphe commence par
`Â tayri ! Tayri ! ! Tayri ! Ad agh ur iss isghous Rebbi, Ula agh tte ikkes ge ul.´
Que je me permets de traduire différemment
`Ô Amour ! Amour ! Amour ! Que Dieu ne nous en brûle pas, ni nous le retire du coeur.´
Voici maintenant d´autres appréciations de Lalla, sur l´Amour. Elle commence par des généralités, certainement puisées dans la mémoire collective amazighe.
`[...]. Nous, Imazighen, nous n´avons cesse d´aimer. Point, pour nous autres, n´est haine, rancune ou rapine. L´amour implique le bonheur et l´aisance, l´équilibre et l´épanouissement.´ (p. 87).
Puis, elle en vient à ses propres propos qui, naturellement, ne peuvent qu´être empreints de l´amour de la nature, de l´Amour universel.
`
Avez-vous déjà vu une bergère ayant vécu ce que j´ai enduré, se sentir aujourd´hui heureuse ? Je ne le pense pas. [...] . Moi, j´aime tout ce qui m´entoure. J´aime mes montagnes, mes collines, mes chèvres, mes enfants, mes voisines. Toute ma vie, je l´ai passée à aimer. J´aime la bonne parole, le beau poème. J´aime le lever du soleil, son coucher, la nature. [...]. D´ailleurs, je ne serais enterrée que dans cette terre. [...]. Je suis née pour aimer.´(p. 87).
Bien sûr, elle ne se considère pas comme parfaite
`Nombreux sont aussi les êtres et les choses pour lesquels j´éprouve une aversion irrésistible. [...]. Ils veulent m´amputer de ce que je suis. [...]. Je ne puis renier ma substance, mes origines profondes [...]. Tamazight je suis, je ne suis pas la meule qui tourne au gré de la main, des mains qui la manipulent. [...]. Nos Isaffen, nos fleuves finissent dans des barrages qui irriguent nos terres confisquées, [...].´ (pp. 87-88).
En ce qui concerne l´amour individuel
`Dans un couple, l´amour est tout autre. Il est égoïste, physique et, de ce fait, illusoire et changeant.´ (p. 88).
Et voici l´origine de l´expression `L´amour véritable ne peut se payer que par l´amour´, de l´auteur
`S´il n´a pas d´amour mutuel, il n´y a rien, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Qui les fait rencontrer et qui peut les unir ? C´est ce qu´ils ont chacun dans leur tête. Les voies de l´amour sont impénétrables.´ (p. 88).
Mais elle sait qu´elle n´est pas le bon exemple
`Quant à moi, ma destinée est différente. Mon orgueil, ma liberté, mon sens de l´honneur ne m´ont créé que trop de surprises, de supplices, avec ceux et celles qui ont croisé mon chemin.´ (p. 88).
`Qu´est-ce que tu veux que je fasse ? Echine courbée, je ne pouvais être. Point de remède contre le destin.´ (p. 88).
Le sujet de la sorcellerie et des démons est traité aux chapitres 12 et 13. L´attitude de Lalla est celle d´une personne nette, saine d´esprit, qui n´a nul besoin d´intermédiaires entre elle et la nature. Elle ne vit pas dans la crainte maladive d´un coupable. Sont alors pris à partie les telba, et autres, qui vivent de cette peur endémique.
`Souvent elles (de nombreuses femmes) n´ont cesse de croire en ces choses infâmes, à la magie, en ces charlatans qui leur prennent le peu d´argent qu´elles arrivent parcimonieusement à économiser en vendant une poule ou quelques oeufs. Quand à moi, je ne leur accorde aucun crédit. [...]. Moi, je n´attendrais jamais que ces charlatans me dictent leur volonté, me dire ce que je fais, ce que je suis, ce que je dois faire. [...]. Je ne fais aucune confiance à un ahergui, un sorcier qui vient me proposer ses soi-disant services. Je ne peux jamais les croire. Je ne peux, même forcée, leur adresser la parole.´ (p. 93).
Elle rapporte alors de nombreux subterfuges dont elle a été témoin et qu´elle met à nu par un raisonnement limpide, d´une simplicité aveuglante. Et quand il s´agit d´écrit, elle rejette la chose, tout en reconnaissant qu´elle n´y comprend rien. C´est l´aversion saine et atavique contre ce qui est insaisissable et qui ne fait pas partie de la cosmogonie amazighe.
`Les pauvres femmes se complaisent à ne retenir que ce qui leur convient, ce qui compatit à leur sort. Moi, je ne comprends pas leurs tours maléfiques. Ils prennent un livre et disent voilà ceci, voilà cela. Moi, j´ignore ce dont ils parlent. Je ne suis pas instruite.´ (p. 95).
En parlant des djins, elle insiste sur le fait qu´elle n´en ait jamais vu. Elle persiste et signe en reprenant plusieurs fois cette affirmation. Cependant, elle sait évidemment tout ce qui se dit sur eux. Et elle le rapporte fidèlement. Mais c´est toujours avec des `il parait que´, `on dit que´, `on raconte´, etc. Et de sa part avec des `je n´en sais rien´, `je ne sais pas si c´est vrai ou faux´, etc. Elle finit pourtant par l´expression `que Dieu nous en garde´.

Conclusion.
El Manouar, qui a toujours maintenu le cordon avec ses racines, s´est immédiatement senti à l´aise. Mais tout en caressant sa corde lyrique, il a pu garder l´attitude de l´observateur objectif. Comment a-t-il pu naviguer avec, aisance, entre deux mondes qui, pour beaucoup, semblent inconciliables ?
El Manouar ne veut pas du tout écrire sur une femme âgée, excentrique, an vue d´un succès de librairie. C´est avec égard qu´il écoute attentivement et rapporte avec fidélité les propos -les dits et les non-dits- de la Grande Dame qui est l´héroïne de ce roman. Des séquences de la vie quotidienne sont rapportées, dans le détail, avec leur cruauté ou leur douceur. Il ne s´agit nullement de fictions que se seraient forgées des intellectuels vivant dans des mondes virtuels. Alors, attention à certaines chutes qui pourraient en surprendre plus d´un.
Il y a d´abord cette photo, en première de page. Ce n´est pas pour aguicher le lecteur, en particulier étranger, féru d´archaïsme. Il s´agit de présenter, simplement, une personnalité qui impose le respect. A ce propos, le vocable `Dinosaure´ apparaît dans mon poème `Le Temple du Zen´. Mais c´est l´auteur qui l´a utilisé en premier. Cela m´a d´abord dérangé, mais j´ai fini par l´accepter, vu toute la grandeur, au sens le plus noble, qui lui est associée.
Tout au long du roman, le calme et le ton du discours de nos anciens, sont très bien rendus. Et ce qui est merveilleux, en français. L´auteur nous livre une prose fluide et captivante. Elle est émaillée de mots en tamazight, dans le texte même ? A noter aussi des proverbes, des vers, des adages et des expressions donnés en tamazight et traduits en français. Ainsi, avec ce livre, El Manouar entame, peut être, une carrière de romancier. Il s´est fait la main, dirions-nous, sur des sujets intéressants
-`Tamazight, la constitutionnalisation ou la mort´[1] est même capital- mais ils ne laissent pas de place au sentiment et au lyrisme. Plusieurs passages, de ce roman, m´ont rappelé la belle plume du regretté Moha Abehri dans `Etre ou ne plus être´.[2]

Epilogue
.
Durant une longue période El Manouar ne cessait de nous parler, de se parler, de Tahmiddoucht. Nous avons visionné, chez lui, le film de Ivan Boccara. Mais c´est en regardant une photo, une seule photo -celle en première de page-, que je fus saisi. Le visage tout en rides. La main parcheminée, posée à plat sur la tête. Le tricot élimé. Un être d´un autre temps, perdu dans l´immensité de l´univers. Mais les yeux, le regard ?

Le Temple du Zen

Tahmiddoucht ?
Dinosaure, peau parcheminée !
Une hère plus que vieille.
Une carcasse à jeter à la poubelle !
Bergère inculte des monts de l´à haut.
Vie sans saveur,
De quelque femme sans demeure.
Sentence nulle,
De piètres maestri.
Voilà-t-il, ses yeux perçants,
Son regard,
Sa posture altière,
Et sa maître-leçon !
Tel l´Atlas,
Elle écrase, de son âge,
Un siècle et un autre.
Quand et comment,
Sublimissime dénuement,
A-t-elle pu la Bergère,
Dompter le Temple du Zen ?
L´intello bat de l´aile ;
Myope, il va, dans ses grimoires,
Loin chercher,
Ce que, elle, de la main, elle peut toucher.
Tahmiddoucht, la perle,
En Tamazgha, n´est pas rare.
Tihmiddouchin, moult il y en a.
Muettes,
Il faut leur donner la parole !
C´est la Mère, la grand-Mère ;
C´est L´Aïeul,
De temps oubliés,
De temps inconnus ;
C´est Tamazight.
Hha Oudadess
(Rabat, Janv. 2009)

[1] Moha El Manouar , Tamazight, la constitutionnalisation ou la mort, Edit. Imp. Bouregreg, Rabat (2006).
[2] Moha Abehri, Etre ou ne plus être : Séquences de vie de petites gens exilés dans leur peau, Centre Tarik Ibn Zyad,, Rabat (2002).

   

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Hha Oudadess 
       pour Francopolis
mars 2009
recherche Ali Iken


Créé le 1 mars 2002

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