LECTURE - CHRONIQUE 

 

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LECTURES –CHRONIQUES

 

Petites études 

par Dominique Zinenberg :

 

1.   En vue de naître de Jean Marc Sourdillon,

éditions L’Arrière-Pays, 2017. (9 euros)

Que faut-il pour naître ? Un paysage écrin-ancrage, une pulsation (un cheval lancé au galop venait droit sur nous), de l’amour pour une femme et un paysage, une langue sobre de poète et de conteur, la chaîne des générations, une distance (Paris), une géographie de prédilection (Les Cévennes), le lien secret avec les morts : « Ces deux tombes pourtant sont bien réelles, elles sont posées là, parallèles, devant le grand paysage ouvert et elles ne jurent pas dans ce paysage. » (p.20) et la subtilité d’une écriture qui livre le grand secret de la vie avec des mots simples et justes, un intime qui atteint d’emblée l’universel.

Le joli recueil est bref, de petit format, léger au poignet et en 37 pages, réparties en cinq temps, il fait accéder à la quintessence de la culture dans ce qu’elle a de plus humble et pourtant de plus noble. La plupart du temps les textes sont des proses, parfois en italiques mais il y a aussi quelques poèmes.

« L’enceinte » est composée de quatre textes qui forment une approche géographique et historique des Cévennes. Se dégagent un paysage et un climat qui s’avèrent terre d’accueil pour la vie et nid propice aux naissances. « Je me souviens ; là quelque chose vivait » (p. 9) et texte 3 « C’est un paysage en attente, tourné vers l’avenir. » (p.11) Mais terre d’accueil pour les morts puisque les guerres de religion ont eu au moins une conséquence bénéfique, celle d’établir « le droit de n’être pas enterré dans le cimetière communal, mais de reposer chez soi, près des siens, vivants et morts, dans ce paysage où l’on a vécu. » (p.12)

« Les deux tombes » rappellent ce fait historique, placent la mort dans la vie et le paysage, sont présentées comme des objets usuels « Deux sièges vide face au grand paysage de la vallée » (p.13) qui n’ont rien de terrifiant et annoncent l’amour « Deux petites tombes côte à côte/ comme si elles se donnaient la main. » Mieux même elles deviennent plus loin (p. 15) « Deux sentinelles en posture de guet/ comme si elles allaient renaître demain. »

 « Je ne suis que le témoin de tout cela, et pourtant tout se passe comme si c’était moi qui étais à leur place.

Je vois les tombes, je ne vois pas leurs occupants mais je vois ce qu’ils verraient s’ils en étaient sortis et s’étaient assis sur leurs sièges.

Je suis à leur place et j’ai leurs yeux.

C’est sans doute qu’entre eux et moi, il n’y a pas de solution de continuité.

Que quelque chose qu’ils abritent, qui continue de les habiter, brûle en moi, continue de se consumer ; quelque chose de vivant en eux, de mourant en moi qui s’allume et se met à brûler à l’instant où, non loin de leurs yeux fermés, les miens se sont ouverts. » (p.16)

 

Qu’est-ce que le feu, thématique amorcée ici, si ce n’est le passage possible du flambeau de la vie, du relais de la vie ?

Le huitième poème en prose introduit une réflexion sur le sens polysémique du mot « tombe » qui passe de l’acception « pierre tombale » à celle de « chute ». Jeu de mots qui permet au poète de dire : « Le mot « tombe » ne convient pas. Il n’y a pas de pierre tombale, ni couvercle, ni dalle. Il ne peut être question de chute. » et plus loin, raisonnant sur ce concept de chute et d’élévation, Jean Marc Sourdillon ajoute : « C’est le mot « ouvert » qui leur convient, le contraire de « tomber ». Les tombes n’auront pas besoin d’être ouvertes. Elles le sont déjà, comme on le dit d’un visage franc et souriant, comme on le dit d’un livre … »

Dans le dernier poème de cette partie, une nouvelle métamorphose des tombes est proposée. Ce sont les derniers mots du poème précédent qui l’ont permis : « Elles sont comme un livre ouvert, avec ses deux pages en regard l’une de l’autre… » Cependant les inscriptions ont disparu, « Les caractères se sont effacés à cause de la lumière, du vent, de la pluie et de l’oubli. » Ce qui fait que le livre ouvert reste à écrire, de nouveau, non pas comme si on eût fait table rase du passé, mais pour entrer dans le continuum palimpseste des générations.

 

Avec les cinq poèmes de « Transhumances », le poète atteint un lyrisme intime d’une beauté très pure, c’est un chant d’amour, un hymne au paysage aride, aux bergers, aux souvenirs de jeunesse, à la réalité érotique et intime de l’amour présent. Et ces strates se superposent ouvrant un dialogue avec l’aimée, qui tout à coup devient le centre de l’attention, le sens du poème :

« Je ne savais pas à qui parler dans mon poème.

Désormais je sais.

Bien sûr, c’est à toi que je parle, bien que tu n’aimes pas venir ici, dans les Cévennes. »  (p. 26)

 

Transhumances des bêtes bien sûr, mais transhumances du « je » qui fait des allers-retours Paris/les Cévennes en voiture. Plus finement on entend aussi le mot « humus » qui renvoie aussi fortement à la vie qu’à la mort, envisagée comme un cycle naturel, une transformation après tant d’autres transformations.

 

« Reposerons-nous ainsi quand il sera temps, l’un à côté de l’autre dans un grand sommeil de paille – une montagne transparente dans le dos ?

Nous tenant par la main comme aujourd’hui, le regard parallèle tourné vers les lointains, regarderons-nous avec calme s’approcher la vie par vagues à la vitesse des montagnes ?

Mais dès à présent, c’est la réponse : dans la vie convergente que nous menons tous les deux, jamais loin l’un de l’autre, chacun dans son temps mais dans la même maison, quand nous tournons les yeux là où naître s’accomplit peu à peu – un même regard déjà nous traverse. » (p.27)

 

« Sans appui et avec appui » est le quatrième temps du recueil. C’est un texte écrit en italique. Là encore le poème a été préparé en amont avec la thématique de l’oiseau. (« Où pourrai-je essayer mon aile ? » (p.23) ) Le poème est tout entier métaphorique, allégorique. L’image de l’oiseau qui s’envole enfin, c’est la métamorphose à laquelle aspirait le moi. Mais c’est aussi, ambiguïté et complexité obligent, la naissance de l’enfant, « Il est accueilli par un milieu nouveau, mélange de lumière et d’air, un peu pareil à l’eau. Il était admis lui-même un peu pareil à lui. Ne s’envolait pas, se coulait en lui. »

 

Vient enfin « En vue de naître » qui est doublement titre. L’enfant à naître apporte un message qu’il apporte en vain au grand galop de son cœur battant dans l’enceinte du ventre maternel. « Mais voilà, il n’avait pas de mots, seulement son rythme, il ne connaissait pas l’usage de la parole ni des signes que les hommes se font entre eux pour s’entendre. D’ici qu’il les apprenne, il aurait depuis longtemps oublié le message qu’il était venu si vite nous apporter. Pour lors, il n’avait pour nous parler que l’événement de sa naissance. » (p. 37)

 

Mutisme, mais flamboiement, message secret qui est paysage et mémoire immémoriale, naissance et mort se rejoignant dans le cercle continu de la vie, dans l’enchantement des mots qui les célèbrent si bien.

 

« Je me suis alors souvenu du premier geste quand j’ai su que nous allions avoir un enfant, du premier geste du commencement de tous les temps, quand j’ai su qu’il y allait avoir naissance dans l’enceinte de notre vie, qu’un enfant allait naître là entre nous, du dedans de nous vers l’avant, notre avenir – du seul geste que j’ai fait, spontanément, sans réfléchir : ouvrir la fenêtre à deux battants.

C’est à ce geste que j’ai pensé, devant cette image que je ne pouvais pas voir tout à fait, devant cette image qui fuyait. » (p. 34)

 

©Dominique Zinenberg

 

 

2.   Jours avec de Josette Ségura,

édinter poésie, 2017 (12 euros),

 

Quand un poète nous offre ses « jours avec », on sait d’emblée que c’est un véritable cadeau, un choix d’humeur positive, une sélection d’une grande élégance afin que le lecteur ne soit pas obligé de prendre en charge les « jours sans ». C’est un peu comme si, pour l’hôte qu’on reçoit, qui fait une halte chez soi, on laissait de côté le fardeau de la vie pour ne pas l’accabler, même si le fardeau peut ne pas être loin, les soucis bien réels, mais le parti pris de Josette Ségura c’est de tendre un miroir souriant, lumineux et discret quand l’amateur de poésie entre dans la lecture de ses poèmes.

L’intranquillité

apprend à trier, à recycler, à laisser décanter,

tout ceci, elle nous l’offre

comme si elle connaissait déjà son autre visage,

à lâcher

le fond sombre de chacun

toujours prêt à s’insinuer.(p. 21)

 

Visiter en recueillant la poésie des noms propres des sites, la beauté des paysages, la modestie superbe des églises dont on retient un détail émouvant, une sorte de présence bienfaisante, réconfortante, voilà un des moyens d’honorer les jours, de retrouver la saveur minimale du Livre d’heures. Et c’est ainsi que s’ouvre le recueil de la poète : une imprécision compensée par la description fine de l’impression qui est restée dans la rétine et dans le cœur après avoir passé le seuil de la petite église sans nom de village :

Tu ne sais plus dans quelle église était cette Vierge en bois,

elle ne peut plus ni donner, ni prendre, les mains sont cassées,

c’est de tout le corps, de tout son visage de bergère aux bonnes joues

qu’elle vient vers nous,

son regard demande,

ce coin de l’église est sombre et humide,

pas souvent ouverte,

on a posé un bouquet d’immortelles, de fougères et de blé,

on devine un silence

puis le bruit de la porte qui s’ouvre, se referme,

parfois un oiseau reste enfermé,

vole de vitrail en vitrail. (p.7)

 

Enchantement des noms de villages à prononcer, à énumérer et qui forment enfilade de visites courtoises, admiratives : Saint-Bernard-de-Comminges (p. 8), Carennac, Cadouin, Rocamadour, Conques (p. 9), Causse de Gramat, de Limogne (p.10), Bruniquel, Penne-de Tarn à la Terrasse, Roussergues (p. 11), Saint-Guilhem-le-Désert (p.12), Monfort (p.13), Carlucet, Gavaudun (p. 14), vallée de l’Aveyron, Montricoux (p.15), le Quercy, Bourg- de Visa (p.23), Tonneteau (p.29), les Landes(p. 33), les vergers d’Esclassan ou de Montesquieu (p. 34), Martigny (p. 36). Pur bonheur de la magie des noms de lieux éveillant le lieu dans ce qu’il a de plus mystérieux, parfois de plus familier pour les amis, le voisinage, les gens du cru et de plus abstrait pour tout lecteur ignorant mais quand même emporté par la grâce des lieux-dits.

Car ces lieux sont offerts lors de conversations où tout indique un ici et maintenant, une énonciation entre « je » et « tu » qui facilite l’échange et la possibilité au poème de se déployer, non dans une éloquence solennelle, mais dans un conciliabule intime, bon enfant, amical.

Ainsi une des tâches à laquelle se voue Josette Ségura c’est de restituer à l’aide de vers simples, de mots simples et clairs, les rituels des escapades dans les environs ou les petits riens du quotidien : jardinage, détail sur le temps qu’il fait, sur la couleur du ciel, la lumière du jour, les jeux des enfants, l’odeur des églises, l’envoi d’une lettre, la lecture du poème de Gaston …

 

Ce sont des vers au présent, dans le froissement presque imperceptible du temps qui passe, de la journée qui commence ou s’achève, des saisons qui défilent apportant chacune ses particularités modestes et reconnaissables.

Chemin du retour,

le silence de ce village est impressionnant,

vacances scolaires, Petit Casino fermé, pas un chat,

nous achetons de l’eau dans une épicerie,

mais comme si ici, c’est étrange,

de la pâte à pain levait. (p. 37)

 

En filigrane, une sagesse et un art poétique se dégagent de ces doux poèmes qui versent leur lumière tamisée sur toute chose. Une sagesse qui est présence à soi, aux autres, à l’instant, à ce que l’observation exacte contient de précieux et d’unique, de spirituel aussi :

Peut-être que chacun n’accueille la vérité de sa vie

que petit à petit,

chaque fois un pas de plus

grâce à ce roulis incontournable,

la vie de tous les jours, les événements. (p. 35)

 

Et un art poétique dont les racines profondes, essentielles, sont d’abord de vivre (« Des occasions d’écrire/ et puis non/ vivre plutôt/ cueillette de pommes … p. 34) sans la pose de l’écrivain ou du poète, comme si seul le vivre pouvait faire résonner « le ton juste », dans la saisie mystérieuse du réel par le biais d’une plume légère, frôlant les choses du monde avec délicatesse pour apporter le baume qui manque tant à nos jours pleins de bruit et de fureur.

 

Vivre, dire, mine de rien,

comme si cette façon pouvait donner le ton juste,

sans bruit, comme il faudra passer ici,

souvent à la recherche d’une légèreté, d’une brise

quand les tracas troublent la paix

avec laquelle pourtant nous allions. (p.39)

 

Une mission d’humaniste à l’écoute du secret simple de la vie qui va, et qui, à force d’attention, réussit à « faire respirer le jour » (p. 46).

 

 

 

 

Petites études
par Dominique Zinenberg

 

Francopolis décembre 2017

Créé le 1 mars 2002

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