LECTURE  CHRONIQUE


Revues papiers,
revues électroniques,
critiques et coup de coeur du livre.


ACCUEIL

________________________________________________________


ARCHIVES:  LECTURE CHRONIQUE

Regard sur l'écriture - Soleil et Cendres - Au coeur du cri... et plus

LECTURE -CHRONIQUE

     
Petite étude sur " Une poignée de feuilles"  de Jean Pichet.

présentée  par
Dominique Zinenberg




  Il est des recueils qui disent le rien ou tout du moins le minuscule, l'imperceptible, le secret du passage avec je ne sais quelle ineffable grâce. Une poignée de feuilles en est un exemple remarquable. On y perçoit des murmures, des frémissements, le furtif et l'infime dans ce qu'il a d'infiniment humble et sacré. Le « toujours » est un écoulement sans fin ni commencement, il est ce qui dans le changement même ne bouge pas, persiste, est, se présente. « Si bref, le toujours... » est le dernier souffle, le dernier vers du poème intitulé « Le toujours » (p.19) et dans l'oxymore qu'il constitue, ce vers saisit le paradoxe absolu du Temps qui tout à la fois passe et demeure.

  Comment s'y prendre pour capter ce qui fuit, ce qui ne fait que passer, ce qui, déjà a disparu, laissant sa mystérieuse empreinte? Le cadre du poème, comme l'encadrement fixe de la fenêtre, qui en est quasi une métaphore, permettent d'épingler (comme on le ferait d'un papillon emprisonné) sur le vif et en plein vol, dans leur fuite même les nuages, la pluie, les songes, les ombres – l'éphémère qui est à la fois surprise et manque:
«  De grands nuages passent,
Des ombres, des songes,
Des silences aux yeux clos,
Et tout ce qui nous manque,
Tout ce qui nous laisse
Démunis en plein vent.
» (p.15)


  Le terreau mélancolique qui façonne les vers de Jean Pichet vient en grande partie du fait qu'il fait vivre à chaque instant dans sa poésie le moment précis où Orphée voit s'évanouir à jamais Eurydice. La disparition est à tout moment à l'œuvre, elle fore la vie de toute part, elle l'endeuille inexorablement mais sans pour autant la rendre invivable, lugubre, absurde, elle est juste agissante, active et de ce fait, par un renversement énigmatique, elle n'en finit pas d'exiger du poète qu'il en décline de subtiles nuances.
« La lumière se consacre
À l'immense lointain de silence
Où vivent les absents. »
(p. 50)


  Par touches légères, par la mise en lumière de détails auxquels on pourrait ne prêter aucune attention, Jean Pichet rend compte de l'infiniment petit en faisant vibrer les mots soit dans un enveloppement de relatives qui accapare toute une strophe – juste pour un brin d'herbe -

«  Parmi les pierres qui restent

D'un vieux mur vit un brin
D'herbe dont la finesse a retenu
Quelques gouttes de pluie/ Où brillent d'innombrables soleils.
»,

soit par la magie des allitérations mimant le passage du vent dans le feuillage, le filtre de la poussière du temps, le vol insaisissable de l'oiseau. L'exemple peut-être le plus virtuose se trouve dans le poème « Une voix » dont le rythme s'apparente à une virevolte légère et endiablée et dont les allitérations en « f » et « p » laissent ouïr le fourmillement de la vie dans les interstices du temporel. On ne saurait mieux saisir l'insaisissable miracle de la force vitale et du Désir. Et faire éclater les mille et une réflexions de toutes les lumières du « ciel parfait ».



****




 " Une poignée de feuilles"  de Jean Pichet.
janvier 2016
&
Voir aussi , La suite sur Henri Michaux
 (Œuvres complètes, Pléiade)
&
Poésie réflexive de Dominique Zinenberg

Francopolis janvier 2016

 

Créé le 1 mars 2002

A visionner avec Internet Explorer