Il
est des recueils qui disent le rien ou tout du moins le minuscule,
l'imperceptible, le secret du passage avec je ne sais quelle ineffable
grâce. Une poignée de feuilles en est un exemple
remarquable. On y perçoit des murmures, des
frémissements, le furtif et l'infime dans ce qu'il a
d'infiniment humble et sacré. Le « toujours
» est un écoulement sans fin ni commencement, il est ce
qui dans le changement même ne bouge pas, persiste, est, se
présente. « Si bref, le toujours... » est le
dernier souffle, le dernier vers du poème intitulé
« Le toujours » (p.19) et dans l'oxymore qu'il
constitue, ce vers saisit le paradoxe absolu du Temps qui tout à
la fois passe et demeure.
Comment s'y prendre pour capter ce qui fuit, ce qui ne fait que passer,
ce qui, déjà a disparu, laissant sa mystérieuse
empreinte? Le cadre du poème, comme l'encadrement fixe de la
fenêtre, qui en est quasi une métaphore, permettent
d'épingler (comme on le ferait d'un papillon emprisonné)
sur le vif et en plein vol, dans leur fuite même les nuages, la
pluie, les songes, les ombres – l'éphémère qui est
à la fois surprise et manque:
« De grands nuages
passent,
Des ombres, des songes,
Des silences aux yeux clos,
Et tout
ce qui nous manque,
Tout ce qui nous laisse
Démunis en plein
vent. » (p.15)
Le terreau mélancolique qui façonne les vers de Jean
Pichet vient en grande partie du fait qu'il fait vivre à chaque
instant dans sa poésie le moment précis où
Orphée voit s'évanouir à jamais Eurydice. La
disparition est à tout moment à l'œuvre, elle fore la vie
de toute part, elle l'endeuille inexorablement mais sans pour autant la
rendre invivable, lugubre, absurde, elle est juste agissante, active et
de ce fait, par un renversement énigmatique, elle n'en finit
pas d'exiger du poète qu'il en décline de subtiles
nuances.
« La lumière se consacre
À l'immense
lointain de silence
Où vivent les absents. » (p. 50)
Par touches légères, par la mise en lumière
de détails auxquels on pourrait ne prêter aucune
attention, Jean Pichet rend compte de l'infiniment petit en faisant
vibrer les mots soit dans un enveloppement de relatives qui accapare
toute une strophe – juste pour un brin d'herbe -
« Parmi les pierres qui restent
D'un vieux mur vit
un
brin
D'herbe dont la finesse a retenu
Quelques gouttes de pluie/
Où brillent d'innombrables soleils. »,
soit
par la
magie des allitérations mimant le passage du vent dans le
feuillage, le filtre de la poussière du temps, le vol
insaisissable de l'oiseau. L'exemple peut-être le plus virtuose
se trouve dans le poème « Une voix »
dont le rythme s'apparente à une virevolte légère
et endiablée et dont les allitérations en « f
» et « p » laissent ouïr le fourmillement de la
vie dans les interstices du temporel. On ne saurait mieux saisir
l'insaisissable miracle de la force vitale et du Désir. Et faire
éclater les mille et une réflexions de toutes les
lumières du « ciel parfait ».
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