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alternatif de Francis Dannemark, entre septembre et l'éternité.
Sous mes yeux, en librairie, deux livres de l’auteur belge
Francis Dannemark. Deux livres fort différents, à
priori, l’un de l’autre. "L'homme de septembre",
un petit roman dans une nouvelle collection, « Carnets littéraires
» dont la présentation vaut à elle seul l’intérêt
des lecteurs. Et un recueil de poésies, "Une fraction
d'éternité", agrémentées de courtes
proses mettant « en situation » les textes en vers
libres. L’occasion d’explorer deux facettes intimes
d’une même personne.
Francis Dannemark, je ne connaissais pas. J’aborde la littérature
par sursaut boulimique. Un auteur est « tasté »,
si le cru est bon, alors j’achète quelques boîtes
de bouteilles en stock et tous les millésimes à
venir ;-)
L’heure est venue, me dis-je de goûter à cet
auteur et quelle meilleure manière de procéder par
une double approche ?
Petits livres, ils sont lus l’un à l’aller
du métro, l’autre au retour. Deux semaines et quelques
poussières de jours après, que me reste-t-il d’eux
? Des impressions, des ambiances, une atmosphère. Il est
des auteurs, ainsi qui valent par ce qu’ils instillent.
Dannemarck en fait partie.
Un roman d’été
hors des sentiers battus

Peu de ressort à l’imaginaire, une littérature
de la simplicité et du réel. Le roman, l’homme
de septembre, se passe, à contrario du titre, en pleine
canicule d’été. La torpeur est le principal
invité de ce livre. Le prétexte à une parenthèse
de vie, une lenteur voulue comme une chrysalide dont sortira changé
le narrateur. Le héros ? Un éditeur d’âge
moyen, en transit sentimental, en faillite annoncé de son
entreprise, en séparation pour les vacances d’avec
sa fille chérie, en doute sur sa capacité d’auteur.
Un homme en pré-dépression, qui montre tous les
signes d’une descente vers l’enfer dont les écrasantes
ardeurs de l’été lui donne un reflet réaliste.
Le cadre ? une maison d’ami à garder durant leur
vacances avec une contrainte vespérale : arroser les végétaux
et nourrir les animaux. La trame ? Rien, ou presque, un changement
d’état subtil entre un homme qui descend et un homme
qui remonte. Entre les deux ? La rencontre d’un voisin d’abord,
Charles, retraité, éternel amoureux d’une
cantatrice, marié à une femme pianiste hospitalisée
pour quelques jours. Un homme accueillant et sage, habitant de
l’autre côté d’un bosquet impénétrable,
au bout d’un sentier initiatique où le narrateur
se perd et que la musique et un chien, ( un ange ?) viennent guider
à chaque fois. Une jeune femme ensuite, elle aussi en balance
de vie, de passage dans le coin, dont l’auteur fera le portrait
sur commande, renouant avec lui-même malgré lui.
Histoire d’amour escamotée du récit dont on
comprend qu’elle ne devait pas être racontée
mais suggérée comme un élément parmi
d’autres à ce salutaire répit où l’homme
d’août se redécouvre.
« Dans le très léger
murmure du jardin endormi, il repensa à ce que Charles
savait de lui, à la « photo » de sa vie. Il
y manquait le plus important : mille moments indicibles de bonheur
à l’état pur. Il le luit dit et Charles fit
oui de la tête et malgré l’obscurité,
il vit son sourire. C’était l’heure d’aller
dormir. Charles Brughman lui demanda s’il voulait que le
chien l’accompagne, pour éviter qu’il se perde
dans le labyrinthe. Ainsi retrouva-t-il la maison »
Le voisin et son entourage viennent d’en dehors du temps
extirper cet homme de sa torpeur morale, de ce marais stupéfié
qui l’ankylosait de tout désir. Il repartira en homme
de septembre, différent, homme d’une autre saison,
d’un autre livre.
L’homme de septembre est écrit sans éclat
mais avec justesse, dans une intelligente et esthétique
présentation qui mêle exergue de citations extraites
du texte, dessins en filigrane et illustrations de Chris de Beker
et photos de yves Fonck . La curiosité est aiguisée
pour mieux connaître l’auteur qui a visiblement autre
chose à dire que de grands messages. Des choses aussi simples
que le cours des jours. Que l’épaisseur réelle
d’un homme, son poids de vie et de choix.
Regret peut-être que ce goût de trop peu. Minimalisme
de la trame, des effets, minimalisme aussi du sens généré.
Un récit juste mais trop peu marquant à mon goût.
Un recueil recto-verso

Paru aux éditions « Le Castor Astral » (colection
« Escale du Nord » ), « Une fraction d’éternité
» ose aborder la poésie avec un manuel intégré.
C’est rare, Ca vaut la peine d’être signalé.
Souvent la poésie est livrée crue aux lecteurs.
On ne sait rien du contexte d’écriture ( à
défaut de quelques indications biographiques, l’intime
nous restera toujours inconnu), il faut deviner et souvent faire
une route différentes. Ce n’est pas grave, toute
lecture est génératrice de sens. Mais c’est
parfois perdre la saveur d’un texte plutôt que se
perdre soi.
Démarche intéressante car elle pourrait réconcilier
d’aucuns avec la poésie souvent peu populaire. Page
impaire : la prose courte où l’auteur parle «
je », journal fragmentaire mais révélateur
d’une pensée. Page paire : le déroulement
des vers libres et le surgissement d’images, de rythmes,
de couleurs. Pas d’unité entre ces textes semble-t-il
glanés de ci de là. Souvent titrés, toujours
sans suite. Fractions d’éternité.
On y côtoie des perles cueillies parmi les petites proses
dont une que je retranscris pour sa justesse qui a rencontré
mon sentiment :
« J’ai souvent l’impression que nous sommes
gênés ou blessés par certains défauts
d’autrui que dans la mesure où nous avons les mêmes.
(…) Pour parler des gens, pour écrire à leur
propos, et c’est vrai pour soi-même aussi, il faut
accepter d’être injuste – et essayer de ne pas
l’être trop »
Alors il me faut être injuste : parlons des pages paires.
Sans doute la poésie qui me fait vibrer habituellement
est autre que celle-ci, et je ne peux me déclarer emballée.
Pourtant, il est des accents, parmi ces quelques textes et comptines
sans prétention, qui écartent des ombres ou en révèlent
sans trop en ajouter. Des textes tantôt nostalgiques lorsqu’ils
touchent aux relations humaines, tantôt courtoisement révoltés
à l’encontre d’un monde de sang, de profit
et de feu. Un petit goût de pas assez creusé. Mais,
c’est vrai, comment ne pas aimer ce tout simple texte qui
a raison en nous :
Le chien qui parle
C’est
un peu agaçant, disait-elle :
tu as encore, tu as toujours
raison. Et je disais non, non mais
j’aimerais bien avoir tort plus souvent,
car avoir raison, ça veut dire simplement
qu’on a vu venir de loin
quelque chose que les autres n’ont pas vu
et qu’on est resté seul, longtemps seul,
comme le chien qui a senti de loin
le retrour du voyageur,
comme l’enfant qui comprend parfois
ce que dit le chien.
Oui,
derrière cette évidente simplicité de la
forme, derrière ces amusantes comptines qui jouent sur
les mots (« Je bois du thym, je
teins du bois ; c’est si proche et pourtant/pas vraiment
la même chose. J’offre des roses, je prends des poses/C’est
si proche et pourtant/… »), derrière
la révolte puisant dans le puits non encore refermé
de nos quinze ans (« C’était
des jours en forme de fourchettes sans dents, en forme de mensonges
affichés, c’étaient des jours en forme de
fête permanente et de folie meurtrière, en forme
de 100% en forme, de vitesse pure et dure, en forme de fermeture
pour cause de fatigue fébrile et de désespoir »),
derrrière tout cela, il y a une nudité qu’on
admire, un dénuement plutôt, dans les effets, un
cœur qui ose parler sans apprêt qui par là touche
et nous offre souvent, très souvent, comme dans ses proses,
une formule qui nous cueille un peu pantois. De ces fractions
d’éternité (titre d’un des textes) j’aurais
plutôt choisi le « menu alternatif » pour titrer
le recueil… ; beaucoup des ingrédients de cette plume
y sont présents: humour, tendresse, critique, intelligence
et sensibilité fine. Je vous laisse sur cette recette d’un
auteur marginal à découvrir en toute douceur :
Menu alternatif
Au rayon des certitudes, dit le boucher,
il y a la viande, rien que la viande,
belle mais froide au toucher.
Je serais vous, ajoute la bouchère,
j’irais voir au rayon des incertitudes,
on n’y trouve que de l’incertain, d’habitude,
mais ça vit, et c’est doux sous la main.
les livres présentés
:
L'homme
de septembre, édition estuaire, collection "carnets
littéraires", 2005
Une
fraction d'éternité, édition le castor Astral,
2005
juin,
Florence Noël
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