Nuit, penser
Roger des Roches
J’aime
les rencontres, surtout lorsqu’elles sont riches et
remplissent d’émotion. Une amie du Québec,
pas inconnue d’ici car il s’agit de Gertrude Millaire,
membre du comité de Francopolis est venue à
ma rencontre en mai dernier. Une rencontre jusqu’ici
virtuelle et qui d’un coup d’avion devient réelle,
palpable et agréable à l’oreille (ah l’accent
québécois !). Une rencontre en entraînant
une autre, celle de Roger des Roches, poète québécois
dont le recueil Nuit, penser, paru
aux éditions Les herbes rouges, m’est offert
par Gertrude. Je la remercie infiniment ! Le choix ne pouvait
mieux tomber ! Exactement le style de lecture qui me convient
en ce moment.
Nuit, penser c’est aussi
une histoire de rencontres. Roger des Roches offre à
lire, au cours de ces 56 pages, de brefs poèmes, jamais
plus de dix lignes. Mais guère besoin de plus pour
écrire, penser la nuit. Car c’est la nuit que
le poète fait des rencontres. Car la nuit, le poète
ne dort pas. Alors la nuit, que fait-il ? Il regarde la nuit,
jamais seule, il y voit la lune, il y voit la femme :
Ciel plat.
Lune accrochée au ciel plat,
pendule en chair de femme.
Et que fait-il encore s’il ne dort pas ? Il écrit,
il fume à se demander s’il ressemble à
son père. La nuit « rien ne bat ici, / sauf
le cœur du sombre et du clair », la nuit «
Matin n’existe pas » « J’écoute
les autres qui dorment. / Les autres dorment sans moi »
« Me dis veilleur, éveilleur »
J’apprécie tout particulièrement le procédé
de Roger des Roches. Il commence par planter le décor
: ciel plat, lune, femme, « les miroirs s’élèvent
du lac ombre et air », « le vent indique
la direction que prendra le regard dans le noir »
et puis petit à petit de ces petites touches de nuit,
arrive ce qui doit arriver :
VIII
Ce qui tremble attend, dehors.
Ce qui attend va entrer,
garni de chair, sans doute.
Trembler est acte de naissance.
IX
Ma chambre est ici.
Et derrière le vent tordu,
ma chambre est là.
Deux quatre six huit miroirs,
de ma chambre ici à ma chambre là.
Je ne sais pas vous, mais moi ces mots m’ont à
la première lecture inquiétée…
Qu’est-ce qui tremble, attend, va entrer… Qu’est-ce
qui va entrer dans cette chambre, cette chambre qui n’est
finalement à l’abri de rien avec ce vent tordu
?
Finalement c’est le passé, les souvenirs qui
s’installent. Souvenir d’une femme, des nuits
passées avec cette femme.
X
Les mains à la place du cœur.
Je me souviens, parce que nuit fait tout,
elle était nue, je me souviens, elle était belle,
mais j’allais bientôt la quitter ; elle disait
:
« jamais je n’ai tant désiré. »
Oh ! viens voir la lune !
Elle parle, je lui réponds.
Et de nouveau la solitude, le silence « la nuit,
solution au silence », « plus de vent
que d’étoiles, la chambre reste vide »,
de temps à autre des souvenirs « j’ouvre
mes paupières de pain, moi, / je fais apparaître
ceci, et celle-ci. / Pas peur du vide, moi, peur des signes.
» et le temps qui passe, de nuit en nuit «
il n’y a plus rien d’autre, moi, / que vieillir
sans hurler »
XXV
Regarde.
Ciel, peint à grands coups de poing.
Les nuages, méchants, divisibles,
tout ce que je vais voir.
Solitude tenace,
matin n’existe pas,
délicieuse.
Ici, l’Ecorché, je ne dors jamais.
Tu ne vois pas ces souvenirs-là
en forme de bêtes ?
XXXIV
La lune attaque.
La lune ronde, puis sifflante, puis la lune.
Les années passent cette nuit.
Une voix chuchote à mon oreille :
« ne ferme pas les yeux, je peux te voir. »
XLI
Dix mille nuits sans dormir, mais sans crier.
Air arraché, grandes et petites heures.
Des yeux bons plein les murs.
Je veux être, répète, oublie, je suis.
La nuit, la chambre, souvenirs délicieux et poids
pour celui qui ne peut plus dormir, celui qui reste éveillé
alors que tous les autres dorment. Au fil des pages, la nuit
devient pesante, remplie de fumée. Une poésie
pour ceux qui pensent la nuit. Une poésie d’une
grande délicatesse et d’une grande sincérité.
Chaque mot est pesé, chaque poème entre en nous
profondément. Ce n’est pas pour rien que Roger
des Roches a reçu le grand prix du festival international
de la poésie avec ce recueil.
XLIII
J’habite la sentinelle qui regarde au loin.
Un à la fois.
Semblable à mon corps gonflé par la petite pensée.
Douleur n’a jamais commencé : elle éblouit
le passé.
Le site de l'auteur : http://www.rogerdesroches.com/
Cécile Guivarch
pour Francopolis
Juin 2007
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