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"Les paysages intérieurs" de Ludovic Degroote

d'après les recueils : La Digue, Ciels et Pensées des morts

 

Les 10 et 11 septembre dernier, avait lieu le festival Les poétiques à Abbaretz aux forges de la Jahotière (Loire Atlantique). Une occasion de réunir éditeurs et poètes. Le week-end a été rythmé par des expositions (« Poètes, vos images » - photographies de poètes d’aujourd’hui par Michel Durigneux, « Ecrits suspendus » - installation de mots brodés par Sophie Vinet, « Poésie et peinture » par le Chant des Mots (Angers)) mais aussi et surtout par des lectures publiques des six poètes invités. Parmi ces poètes : Hubbert Haddad, Philippe Longchamp, Florence Pazzottu, James Sacré, Magali Tuillier et Ludovic Degroote. Ce dernier a été une véritable découverte pour moi et c’est donc pour cette raison que je souhaite vous le présenter à travers cette chronique.

Samedi après-midi, entre deux rayons de soleil, les visiteurs s’installent pour écouter les poèmes de Ludovic Degroote. Beaucoup d’émotions non contenues dans la voix du poète. Dès les premières syllabes, le public est invité à entrer dans ses mots, son monde. Ca débute par une promenade sur La digue puis sur Barque bleue avant de regarder vers des Ciels et vers ceux qui s’y trouvent à travers Pensées des morts. Vers le milieu de la lecture, un temps est accordé au public pour échanger avec l’auteur à propos de son œuvre, de son évolution, de ses procédés d’écriture. Ce qui fascine les auditeurs, c’est la capacité de Ludovic Degroote à écrire en fragments, aussi bien qu’en vers. Mais aussi l’idée de continuité / discontinuité contenue dans l’ensemble de son œuvre.

J’ai donc eu envie de découvrir un peu plus les « paysages intérieurs » dessinés par Ludovic Degroote. Et je me suis laissée absorber par trois de ses recueils.

Le premier, La digue, paru aux éditions Unes en 1995 a été écrit entre Wimereux et La Madeleine entre 1990 et 1991. On marche d’un bout à l’autre de la digue, avec la mer sur le côté, les villas de l’autre côté, au bout la falaise. « ça n’engage à rien » et pourtant « on attend de recommencer ». Toujours la même promenade, les mêmes lieux mais le poète écrit : « C’est parce qu’on la connaît par cœur qu’on ne sait jamais où on va quand on est sur la digue ». Très vite « les paysages sont intérieurs ». La digue s’enroule autour de l’idée fixe, d’un va et vient incessant des pensées de l’homme gagné de solitude. Elle finit par être angoissante, par étouffer. A la fin du recueil, il est temps de regarder ailleurs, pour « quitter l’intérieur, vivre en surface, là où l’air ne pèse plus » et peut être regarder vers Ciels ?

Pas de bout, pas aux choses, pas à soi, peut-être pour ça qu’on va sur la digue, on regarder la mer, les falaises, les villas, à la fin on revient, on attend de recommencer, au milieu de la vie qui passe.

Page 7

 

Les paysages sont intérieurs. On ne connaît pas la souffrance des autres, on se contente de soi. Ce qui rend lourdes les choses s’est perdu au fond et ne pèse plus. Demeure le poids de notre présence face au monde, ce qu’on pèse soi-même sur ses propres épaules.

Page 9


On trouve parfois des choses à voir quand on regarde autour ; c’est à propos de soi que ça laisse le moins dire, on essaie pourtant de se tenir hors du reste : on a des passages en soi, d’autres à côté, et on tâche de s’en sortir comme ça, ou bien on se dit qu’on n’en sort pas – au fond d’ailleurs on n’est jamais sûr d’être entré quelque part.

Page 17

 

On voit tout de l’intérieur, de l’intérieur tout est faussé, on voit mieux, pas le temps de s’arrêter sur rien, ni sur cet arbre dont le feuillage, ni sur la mer dont les teintes, ni sur les falaises dont le mouvement, le temps qui passe arrête le regard, ça fait des émotions, quand on s’arrête on perd le sens du contact.

Page 47

 

Le monde est seul d’être à soi, réduit à rien, entre les villas à droite et la mer à gauche, on marche dans le même sens, on parle de revenir, seulement – à bien les observer, les maigres joies réduisent.

Page 63

 

A force d’écrire on a parfois l’impression d’étouffer, comme si les mots gonflaient dans la gorge, ou se serraient, ce qui dure d’eux c’est leur incapacité à se défaire.

Page 69

 

Le deuxième recueil, Ciels, paru aux éditions Unes en 2000 a été écrit entre 1997 à 1999, toujours entre Wimereux et La Madeleine, est différent de La digue pour la forme employée. Dans Ciels, Ludovic Degroote abandonne les fragments et utilise les vers. Certains sont isolés horizontalement et le poète utilise fréquemment des interlignes blanches, donnant ainsi aux vers une certaine aération comme pour leur imposer une autonomie. Le poète abandonne la digue et porte nos regards vers des ciels, cet espace qui nous entoure, tantôt bocal, tantôt vide. Subsiste toujours l’idée de l’homme qui se cherche, qui pense, s’interroge. L’intérieur et l’extérieur se rejoignent, circulent dans l’espace et le ciel finit par étouffer, on en revient toujours à la digue quelque part.

 

dans la place laissée vide
mais jamais abandonnée

ça revient.

page 85

 

dans ce paysage
le même ciel
sans cesse passe
au suivant

autre mer pareil

page 20

 

et derrière ce ciel
un autre ciel

lumière disent-ils

séparer les blancs

les mots c’est des ponts »


page 77

Ce dernier extrait introduit très bien le troisième recueil que je souhaite vous présenter Pensées des morts.


Dans ce troisième recueil, où vers en italique et fragments cohabitent, Ludovic Degroote nous mène sur les chemins des morts. Ces morts que l’on a connus mais aussi ceux que l’on n’a pas connus. Ceux auxquels on continue de penser car ils restent près de nous. Ceux qui pensent pour nous. Ceux qui nous obsèdent. Ceux pour lesquels on pense. Ceux qui nous attendent. Ceux sur lesquels nous déchargeons nos pensées comme pour ne pas s’en encombrer. Nous retrouvons une nouvelle fois dans ce recueil, paru aux éditions Tarabuste en 2002, cette idée de la fixation de la pensée autour d’idées fixes, obsessionnelles.

je pense à eux

qui ne pensent sans doute pas toujours moi

j’essaie de les suivre durablement dans leur histoire de mort

ça fait une vie pour soi comme toutes les histoires

en attendant nous de passer à l’histoire

on la précède un peu

page 31

 

leur silence donne l’impression
qu’ils brûlent de disparaître

s’il en est encore temps

j’ai peur pour eux

on a parfois du mal à se reconnaître

maintenant qu’on ne se voit plus

qui bouge à peine ils
le traversent de leur petite pluie
fine et pénétrante
et stabilisée.

Page 73

 

Ils parlent et c’est leur silence qui résonne, qu’est-ce qu’ils vont faire de toutes ces fleurs qu’ils ne voient même pas, n’ont pas la place de se retourner ni en auraient la force, attendent qu’on arrive pour attendre avec eux, silence sur la table de toile cirée jaune où j’écris ce matin à Wimereux

Page 80

 

Quelques liens

Une note de lecture sur La digue que j'ai rédigé sur le site Incertain Regard
Sur le site de
Boulogne-sur-mer, le prix des découvreurs, une présentation, des extraits...
Un extrait, une fiche d'auteur sur poezibao
On peut le retrouver sur le site Arbre de lune
Un portrait de l'écrivain par Dominique Houyet


Bibliographie

Ce qui nous sépare du poème, Ed. de, 1993
La digue, éditions Unes, 1995
Le mot feuille s’écrit sur l’arbre, livre d’artiste avec Gérard Duchêne, 1996
bleu sur bleu, Le Pré ‚ Carré, 1997
de longues plages de silence, éditions Unes, 1998
Barque bleue, éditions Unes, 1998
vent de face, livre d’artiste avec Gérard Duchêne, 1998
50 visages au lever le matin, livre d’artiste avec Sylvie Planche, 1999
venues, livre d’artiste avec Colette Deblé, éditions Peau&sie de l’Adour, 1999
ciel par ciel, livre d’artiste avec Bernadette Prédair, 1999
ciels, éditions Unes, 2000
sans se retourner, Le Pré ‚ Carré, 2000
Cinq, Le Pré ‚ Carré, 2000
langue trou, éditions des Sept dormants, avec des dessins de Scanreigh, 2001
pendant, éditions de l’Oiseau-noir, avec des dessins de Scanreigh, 2002
d’une main l’autre, livre d’artiste avec Bernadette Prédair, 2003
Pensées des morts, éditions Tarabuste, 2003
Le silence du haut, L’attentive, avec des dessins de Thierry Le Saëc, 2003
le reste du temps, L’attentive, avec des dessins de Magali Latil, 2004
ellipse/ellipse, livre d’artiste avec des dessins de Cédric Carré, 2005


Par Cécile Guivarch
pour francopolis
Novembre 2005 

 

Créé le 1 mars 2002

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