Mots de neige, de sable et
d’océan est un incontournable pour qui aime voyager dans
les
mots sans frontière, à la rencontre de poètes
différents par leur culture. Auteurs autochtones, bien que
menacées, leur tradition orale s’est perpétuée
jusqu’à nos jours.
Ce livre commence par une préface de
Thomas Highway qui
différencie la littérature autochtone des autres langues,
du fait que cette langue n’a pas perdu son contact fondamental avec la
nature. La terre est toujours un jardin de beauté, de joie et de
plaisir. La littérature autochtone est une langue
viscérale et non cérébrale, qui est par le fait
même pas toujours facile de traduire en français,
certaines expressions ne trouvant pas leur équivalent en une
autre langue. Ici c’est le français qui sert de pont entre les
Wendat, Innu, Aatikamekw, Anishnabe,Wabanaki, Amazigh, Kabyle, Ma’ohi,
Kanak; entre les Amérindiens du Québec, les
Berbères du Maroc et de l’Algérie, les Polynésiens
et les Kanak de la Nouvelle Calédonie.
Mots de neige, de sable et
d’océan, regroupe une trentaine
d’auteurs autochtones que francopolis ne peut passer sous silence.
C’est une première dans le monde de l’édition et un bel
exemple de ce que la venue d’internet peut rapprocher les peuples. Dans
ce livre, on retrouve plusieurs genres littéraires :
poésie - haïkus - conte - roman - théâtre -
récit de vie. De plus une note biographique de chaque auteur et
une brève présentation précède leurs textes.
Rassembler les textes de ces auteurs est une chose mais donner en plus
à ces auteurs,
la possibilité de se rencontrer à
Wendake au Québec, lors des fêtes du 400ième est un
exploit. Il n’y a pas meilleure façon de tisser des liens
solides entres ces cultures. Le lancement a donc eu lieu à
Québec, en septembre en présence d’une grande
majorité de ces auteurs.
On peut lire dans l’introduction :
“
L’ensemble de ces écrivains
partagent des histoires coloniales
semblables même si elles s’étalent sur des époques
différentes. Leur langue est interdite".
Plusieurs thèmes se
regroupent dans ces différents
corpus:
“Tadebbuzt ( La Matraque” de Salem Zénia, né
à
Fréha (Algérie)
La matraque
me montre
me poursuit
me frappe
....
Mon mal s’appelle silence
je ne peux crier que
caché
...
et “le gourdin” de
Louis-Karl Picard-Sioui, originaire de Wendake
(Québec)
À mon sein
s’abreuve un gourdin
son ombre est triste
nostalgique de la guerre,
de la misère
du combat de nos
pères
Un gourdin lourd de peines
Il s’est faufilé
Pour pleurer dans mes bras
l’attachement au
territoire est viscéral pour Mohamed Agoujil,
né à Tagrirt (Maroc)
Tes mots sèchent
au feu des départs
infinis
rivière traversant
un désert
pour une goutte de vie
aux pas des caravanes
qui errent avec les
mirages...
partagé aussi par
Jean Siou, né à Wendake (Québec)
...
Une famille de chevreuil
qui l’observent
lui disent d’un ton
gêné
oublie le rire des
trembles
et nous t’accompagnerons
chante encore aux
rivières
et nous danserons...
alors que l’exploitation
minière, forestière,
hydro-électrique ou nucléaire est fermement
pointée du doigt par Waixen Wayewol, né à
Maré (Nouvelle Calédonie)
...
Inlassablement,
méthodiquement, tel le ver dans son fruit, la
machine grignotait puis déchiquetait la montagne, qui ne put
résister que par un dernier murmure
...
La civilisation de la
machine, du pot de fer, eut le dernier mot, dans
ce combat inégal, sur celle du pot de terre. Dans un dernier
soupir, ma montagne expira longuement pour lâcher son
étreinte...
ainsi que chez
Geneviève McKenzie-Sioui, née à
Matimekush (Nord du Québec)
qui a écrit ce
poème inspiré des pleurs de sa
mère devant le refus d’une compagnie étatsunienne de
cesser l’exploitation de leur territoire de
chasse traditionnelle.
Nitassinan (Notre Terre)
Pendant longtemps, tout
près de la nature,
l’homme innu était
là, présent à la vie
La terre était
pour nous, une mère attendrie,
faisant pousser la plus
petite graine voulant naître au soleil
Mais voilà que
lui-même a failli en dessous d’un
épais nuage...
D’autres mettent en
scène des personnages qui aspirent non
seulement à survivre mais à s’épanouir pleinement
en tant qu’êtres humains libres et maître de leur avenir,
Jacynthe Connolly, innu au Québec dans son texte Dialogue
pour
la vie.
Certains expriment la
souffrance tel que NadiaChafik née
à Casablanca (Maroc)
Cerné par les
nuits filantes
ton regard mouvant
engloutit
les murmures d’une image
bègue
effritement d’un alibi
mille fois
recomposé
bâillonné
par la révolte
des vides granulés
....
D’autres encore dégagent
une profonde sensualité,
tel Rai Chaze, né Papeeti (Tahiti)
La mer était
présente ce jour là
dans la chambre des amants
...
Il ferme les yeux
et met son corps contre
le sien
Tout bas il lui dit qu’il
s’est mis à l’aimer
...
Elle ne l’entend pas
elle entend seulement
le bruit de la mer dans
la chambre.....
ou encore la vie rurale et
pastorale des Amazighs par Ali
Iken, né à Almou Ayt Aissa (Maroc), oui c’est bien
notre cher Ali qui fait partie de l’équipe de francopolis et que
j’ai eu la chance de rencontrer lors de son séjour au
Québec dans le cadre du lancement de ce livre.
Quand le silence nous
enchaîne
dans sa voix lisse de
quête
d’évasion
mes doigts
se cherchent un exil
dans l’oeil bleu de ta
source
où se consume ma
mort
en petits bouts de regard
comme des dards d’abeille
Ou encore la
révolte chez Ali Khadaoui, né au Maroc
ainsi que l’ironie et
l’humour chez Sylvie Anne Siou-Trudel, d’origine
Wendat (Québec).
ou la
spiritualité selon la tradition que Charles Cooko,
originaire de Wemotaci (Québec) nous partage dans ce recueil.
et le rêve que
Jean-Louis Lafontaine, innu du Québec nous
partage dans ces légendes :
Le
hibou et la chute,
L’étranger
et
La montagne de l’aigle.
Luc Camoui,
né à Pouébo ( Nouvelle
Calédonie) nous donne deux poèmes
Le silence de l’Océanie et
L’étranger,
silence chargé
d’émotions et de
contraintes, une écriture engagée et militante.
Et plusieurs nous offre
leur mots en langue originale et
française tel que Devatine Flora, originaire de la
presqu’île de Tahiti.
Pirogue en pierre
Hou te patura’a ‘a ‘ai a
te mau oripo
Te taman’a ‘au a te tamau
‘a ‘au
Hou te va ‘ a vaevae e te va’ a mata ‘
eina ‘a
Bien avant les
récits des promeneurs de nuit et la
mémorisation des conteurs
Bien avant les
propriétaires terriens, pirogues aux yeux
d’alevins
Les voyageurs de la terre
ferme, pirogues aux pieds rameurs....
Et surprise de découvrir un auteur de ma région,
Michel Noël,
d’origine algonguine, né à Messines
(Québec), il a publié, au cours des trente
dernières années, plus de cinquante livres dont
quelques-uns sont traduits en plusieurs langues et diffusés en
Europe.
Et bien d’autres à découvrir.
Bonne lecture et belles découvertes !
*
Ce recueil: Des mots de
neige, de sable et d’océan est disponible sur
Internet à la
Coopérative
de l’Université Laval.
**
Et voici
quelques liens sur ce
qui se jase autour de ce recueil.
-
Association
des écrivains de la Nouvelle Calédonie.
-
Site personnel du
journaliste québécois Patrick White, couvrant la
scène culturelle au Québec et ailleurs..
-
Journal
Québec-Hebdo