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Coup de cœur : Archives

(2010-2016)

 

Une escale à la rubrique "Coup de cœur" :
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur.

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(un tableau de Bruno Aimetti)

À Francopolis,
l
a rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes,
d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poème Coup de Cœur du Comité

 

AVRIL 2017

Anthony Phelps, choix François Minod

Jean-Baptiste Cilio, choix Éliette Vialle

Dana Shishmanian, choix Dominique Zinenberg

Ara Alexandre Shishmanian, choix Gertrude Millaire

Denis Emorine, choix Dana Shishmanian


ANTHONY PHELPS

choix François Minod

Lorsque le ciel se met au féminin

Ma mémoire incendiée

Reprend langue avec la nuit.

J’entre dans le poème

par ses coutures

musarde entre les marges.

Moments privilégiés

dans l’amitié tranquille du texte.

                                                                                            *

Dans la tendresse

des petits matins de l’écriture

phantasmes de modestes divinités.

Aucune cloche ne marque le temps.

Le jour se contente de lui-même.

Tel oiseau reprend en boucle

la même trille.

Propos feutrés du paysage.

Au loin

Le lac et sa mémoire enfouie.

 

*

Parfois elle rit

la mer

elle rit de ses dents de pèlerin

de ses vagues repues

dévoreuses de silence.

Invasion de bulles

écumes et tourbillons

elle rit la mer

lape et râpe et régurgite

roule et fait son matador.

Tueuse la mer.

                                                                                            *

Anthony Phels, in  Je veille incorrigible féticheur,  Editions Bruno Doucey, 2016

Extrait de la quatrième de couverture :

Anthony Phelps est né à Haïti en août 1928. Au début des années 1960, il prend part à la création du groupe Haïti littérature, avant de connaître les prisons de Duvalier et d’être contraint à l’exil. Établi à Montréal, il se tourne vers le théâtre, devient journaliste à Radio-Canada et livre une œuvre de premier ordre qui fait de lui l’une des grandes voix de la littérature haïtienne.

 

 

JEAN-BAPTISTE CILIO

choix Éliette Vialle

La première odeur de toi

La première odeur de toi s'imprimera

printanière

ma racine

ma fenêtre

 

Et mes ramures lanceront

la toile de ton visage

Elle sera griffe d'orgue

l'abandon sûr à tes lèvres

 

Rien ne sera jamais branche

plus serrée que tes deux mains

où me tenir

à tes fruits mûrs

 

Ah ! Pitié ! Je triomphe de ces haillons qu'étaient mes rêves avant que tu ne sois,

les blessures anciennes ont ces saveurs qui doucement s'écaillent

aplanies

tôt lâchées

et sans voix

 

L'Eau des sens

respire l'ondoiement

de nos embrasements

à vivre et nous suffire

 


Saveurs singulières

Et cette

lumière crémeuse

me donnait

d'avaler l'ombre noire

de frais

 

La cuisine claire de mes obscurs appétits

 

Silence des nourritures

venu au printemps exquis

tendre coucher ma tête

sur l'oreiller des fraîcheurs

d'herbes juvéniles

 

Goût de saison

crépine lustrée de l'aurore

estampes gustatives

le sentiment de la première succulence

ancrée dans la texture de l'être

était

Jean- Baptiste Cilio né à Lyon, habite en Alsace près de Strasbourg, il est venu à la poésie avec X-Matinaux, son ami et professeur, il nous sera présenté en Juin au SALON…

 

DANA SHISHMANIAN

choix Dominique Zinenberg

La perte

Je ne cesse de te perdre encore et encore

tu étais à nouveau dans mon rêve cette nuit

tu es resté un peu derrière

tu es passé un peu devant

je marchais près de toi

je te parlais

et puis plus rien

j’ai eu beau refaire le trajet dans les deux sens

il y avait une dévastation

des trous dans la terre

des gens hagards

mais aucune trace de toi

encore heureux

que tu m’aies envoyé ce rêve

pour raviver l’absence

qui seule me ramène encore

près de toi

 

Elle a largué les amarres

à Nadine Lefebure

le 12 octobre 2016

Il était temps pour elle de nous quitter…

Elle avait trop tardé près de nous, enfants de la peur

elle la Dame de la pleine mer

elle devait regagner le large

en finir avec cette cage même si dorée d’amour…

Le souffle du vide enfle ses voiles déploie ses ailes

un regard bleu nous fixe toujours

une voix nous agrippe nous empoigne l’esprit

une voix de tempête de lumière claire

une voix de vent et de paroles volantes

qui ne se retiennent pas sur cette terre

ne se clouent pas au sol

elles sont engendrées pour durer

par-delà les naufrages

qui nous attendent

elles portent le germe du Verbe

que nous ne connaîtrons pas

mais qui peut-être nous ensemencera ailleurs

à notre insu

 

Du recueil Le fruit obscur, Éditions du Cygne, janvier 2017

 

 

ARA ALEXANDRE SHISHMANIAN

choix Gertrude Millaire

 

Endormissement au lac

Et si nous nous endormions dans un oubli intermédiaire
tel un hamac se balançant entre deux arbres
et si nous glissions le pied entre – sans trop savoir
entre quoi et quoi…
nous devrions considérer cette amnésie
comme un ressouvenir – ou seulement,
le suicide que les grands prêtres craignent -
c’est vrai, les rêves souffrent de la manie de la contradiction,
car les rêves ne nous aiment pas ou sinon
ils projettent l’antipathie de quelqu’un qui tient à rester caché

parfois, quand le vide caresse mon front de l’intérieur
je sens que je suis trop lourd pour les bascules du monde,
que mon pas est trop droit pour les sentiers tordus -
de mes blessures, le mésonge me chuchote des pensées
et la grâce de la vision descend de ma nausée,
les regards de la contemplation sont fanés -
la mystique nous remplit l’éphémère d’automne
écrire, marcher, rêver, cela revient au même -
tes pas remplissent un lac
dont tu comprends qu’en l’écrivant, tu le rêves,
limpide est le lac ou les mots se fondent
les uns dans les autres – oui, transparent est le lieu
ou, par une marche de rêves, nous cessons enfin

vidés de pensées, les regards ont quelque chose d’apnéique,
je bois le couchant épais aux lèvres absentes -
le mésonge orange – le songe entre en moi
tel un train aux compartiments de souffle,
un train dont l’unique passager est en suspens
en de tels instants de sommeil et non-sommeil
ma tête est trop étroite pour le souffle du mésonge,
je dors à l’abri de hauts plafonds -
désir absorbé à l’ascenseur -
à travers la cheminée sans fin du vide
je retombe en arrière, morceau par morceau,
ressoudé au gré de ma chute,
contrefait dans un corps aux sens inversés,
aux lettres mélangées en des textes méconnus

quand tu bois le couchant tu bois un soleil enflé d’extinction
pareil à celui qui se couchera définitivement
dans cinq milliards d’années,
les autres montent par des tuyaux écaillés du moi -
labyrinthe qui les appelle
avec des complots odieux et mortifères,
des complicités oniriques – une initiation démoniaque -
de l’inconscient, peut-être…

le plus difficile pourtant c’est quand l’éphémère
se décolle du nom de grâce auquel nous le reconnaissons
et nous montre ses visages d’abîme inconnaissable,
la poussière du mésonge nous égare
dans un désert aux dunes infinies
… je m’appelle alors moi-même sans répondre
car je ne sais pas qui je suis.


Tiré du Recueil, Le sang de la ville (traduction du roumain par Dana Shishmanian. Éd. L’Harmattan, 2016)

 

DENIS EMORINE

choix Dana Shishmanian

 

Le poème est beaucoup trop lourd

Pour tes épaules

Tu aimerais t’en débarrasser discrètement au bord de la route

Ou le piétiner après l’avoir écrit

Tes mains sont en sang et ta tête éclate

Mais qui en est conscient?

Souvent

Tu traînes les pieds

En évitant les balles distraitement

Personne ne te tend la main

Tu sors du cimetière

En faisant grincer la porte rouillée

Tu voudrais faire des ricochets dans

L’eau de ton enfance

 

*** 

 

La cible

Attend toujours

La flèche qui la pourfendra

Mais où est l’arc

S’il n’est pas dans ta main?

 

***

 

J’ai enterré mes poèmes

Derrière la maison

Depuis plus rien ne pousse

La terre est stérile

J’espère que

Personne ne m’a vu

J’ai tellement peur des conséquences

Ils ont s’enfoncer dans la terre

Et tout dévaster

Je savais que

Ma poésie était dangereuse

J’en concevais même de l’orgueil

J’irai bientôt les retrouver

Lorsqu’ils me feront signe

 

Extraits de Fertilité de l’abîme. Poèmes d'amour et de mort à déchirer avant la guerre, dernier recueil de poèmes de Denis Emorine, paru aux éditions Unicité, février 2017.

Profitons pour annoncer aussi la parution de son premier roman, La mort en berne aux éditions 5 Sens, et une interview consacrée à cette œuvre.

 

 

Coup de cœur 

François Minod, Éliette Vialle,

Dominique Zinenberg,

Gertrude Millaire, Dana Shishmanian

Francopolis mars 2017