La rubrique coup de cœur convient parfaitement
à ces premières pages des Trois Epiphanies de Pierre Landry. Il s’agit ici de vous
faire partager un texte inscrit dans une amitié. Il s’agit d’un extrait
inscrit au cœur d’une vie dédiée à la littérature.
Pierre Landry venu du Québec a fondé à Tulle,
la librairie Préférences, lieu qui m’est précieux.
A la demande de Jean Paul Michel, directeur des
éditions William Blake and Co, il rend compte de ces moments fondateurs qui
orientent nos vies.
Tulle
10 juillet 2016
Mon cher Jean Paul,
Oui, j’ai sans doute « voué ma
vie à des signes ».
Je tâcherai ici de t’expliquer un peu
et t’en feras ce que tu voudras, ce que tu pourras.
Mais voilà, n’ai-je jamais disposé
d’autre chose que de signes ? Lorsque, petit gars, puis grand garçon
puis jeune homme j’ai commencé, souvent fébrilement, à coller les bouts de
mes débuts, me semble-t-il effilochés, se sont graduellement imposées avec
une constance entêtée, trois solides épiphanies.
Commençons par la
deuxième
- Quelques mois avant mes six ans,
aux jours de la plus grande luminosité sous nos latitudes, maman a
entrepris de me donner les moyens de lire. L’alphabet, puis les premières
syllabes, puis encore, doucement, en me servant du lait chaud et des
tartines de miel doux-beurre-salé sur son extraordinaire pain juste sorti
du fourneau. Je me souviens parfaitement d’appétit de comprendre et de
difficultés qui me décourageaient.
Alors vint un matin miracle. Le bout
de phrase compris, l’adéquation entre une image et quelques mots que je
suivais du bout du doigt, m’ont à la fois explosé et submergé.
J’étais alors assez pur pour ignorer la
prouesse ; non j’ai juste compris que je comprenais, que le monde
m’était offert.
Extrême intensité émotionnelle.
Maman ! Maman !
Depuis je continue d’apprendre,
doucement et aussi, parfois violemment. La normale.
Ce matin-là, les signes m’avaient
définitivement fait signe. Je tenais dans ma petite main le gros outil. La
clé. Il ne m’est tout simplement jamais arrivé d’avoir à en douter.
Je savais bien déjà quelques dangers,
les sentais, plutôt. Existaient, existent toujours les antériorités.
Savoirs antérieurs qui, j’estime, m’ont finalement gardé en-deçà de la
ligne ultime de démarcation de ce qui m’était promis : devoir aller le
plus loin possible dans mes explorations. Abus physiques, diverses
ivrogneries et n’avoir jamais, même pas cinq minutes, trahi mon ouvrage.
Quelque trois ans auparavant, mon
premier souvenir absolument clair, net et précis. Première épiphanie.
A l’aube, dans les bras de maman qui
me l’avait annoncé la veille, au coucher, la toute-première de mes
premières neiges.
L’émerveillement que me fut cette
magie intense, cet univers sombre et rugueux de la veille transfiguré en
luminosité d’une extrême douceur de forme et de ton.
Trente centimètres d’éblouissement
blanc au sol, chapeau vingt centimètres
sur les piquets de clôture, deux-trois centimètres sur la broche entre les
piquets, et toute la haie de gadelliers sur tout un côté de la cour bordant
la route couverte plus ou moins en
décousu avec, perçant le blanc, des bribes de signes, en noir, les graphes
incompréhensibles mais que je sais quand même être différentes apparences
de ceux autrement, d’hier. Complètement étonné, les prunelles ouvertes
grand angle.
Je me souviens sans la moindre
altération de cette minute première. Je me tiens dans les bras de maman,
collé sur sein gauche, ma joue droite contre sa joue et son cou, bien callé
au creux de son bras, l’entendant me dire son amour, « regarde,
regarde ! », moi respirant sa peau de bonheur, qui venait, un
mois ou deux auparavant, de mettre son huitième enfant au monde, qui
venait, à l’instant précédant de sortit sa cuitée de pain et de baiser
bonne journée à papa.
Sa peau de courage qui barrerait sans
relâche sa maisonnée au fil de la quinzaine d’heures qui suivaient.
Je me souviens d’avoir su, là, et
compris, que cela était le donné ordinaire, une espèce « a
minima », Dieu permettant.
Trois Epiphanies, de Pierre Landry
William Blake and Co. Editions
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