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Coup de cœur : Archives

(2010-2017)

Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur

 

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(un tableau de Bruno Aimetti)

 

À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes,
d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poème Coup de Cœur du Comité

DÉCEMBRE 2017

 

Jean Barbé, choix Michel Ostertag

Luc-André Rey, choix Dominique Zinenberg

Robert Villemus, choix Éliette Vialle

J.A.S Lopito Feijjóo K, choix François Minod

Pierre Landry, choix Mireille Diaz-Florian

Patrice Desbiens, choix Gertrude Millaire

André-Louis Aliamet, choix Dana Shishmanian

 

 

 

 

Jean BARBÉ

choix Michel Ostertag

Alzheimer

 

Où va-t-il ton bateau qui écume une mer

 Inconnue froide et bleue sans horizon ni vent

 Est-ce vers une Chine où la tête à l’envers

 Tu sais voir le soleil se lever autrement

 

Où vas-tu dans ce train qu’on n’a pas vu pas pris

 Avec son ventre plein d’étrangers en errance

 Avec sa voix de fer qui éraille mes nuits

 Part-il pour un Pérou pour l’enfer ou Byzance

 

Sans cesse où s’en va-t-il l’essaim des sauvagines

 Qui traverse l’azur de tes yeux en hiver

 Où vont ces étoiles filantes qui ruginent

 Lentement mon espoir entre l’os et la chair

 

Et tous mes mots d’amour pour toi dans des chansons

 Où sont-ils désormais perdus à l’unisson

 Où vont-ils nos amours

 Chacun de son côté jardin et côté cour

 

Où t’en vas-tu sans bruit

 Où t’en vas-tu sans moi

 Où irai-je demain sans savoir où tu vas

 

 

 

 

 

Luc-André REY

choix Dominique Zinenberg

 

 

[ je travaille avec l’amer ]

 

Je travaille avec l’amer                                            et le limpide

 

 

           J’embrasse la souffrance

                     Jusqu’à ce qu’elle se libère

                                 du cercle de la peur

                          de l’abîme incendiaire

 

 

                                             je n’écris pas

                                                    je vis

 

 

         dans l’instant cru des mots

                               j’allume des brasiers

                     je féconde des mondes

        silence le premier cri pour ne pas l’oublier

 

dans l’instant  cru des mots                           je me dissous d’aimer

 

 

 

ce qui nous dépasse …

 

 

au-dessus de nous

au-dessus de tout

 

ce que j’aime en toi

c’est quand tu es

 

 

au-dessus de moi

              … ou petit exercice

              de métaphysique appliquée

 

la vie donne des réponses à toutes nos questions,

encore faut-il cesser de poser des questions

 

 

 

[tout me traverse]

 

 

tout me traverse

 

 

rien ne reste

 

 

ne reste là

 

où rien ne reste

 

 

que cela qui traverse tout

 

 

 

Extraits de Palimpsestes (recueil posthume),

Échappée belle édition,  2016.

 

 

 

Robert VILLEMUS

choix Éliette Vialle

 

TESTAMENT

Ici,
il y a des rêves dans l'air léger
ici, les yeux bleus de la mer me fixent

Regarde-moi
Je suis debout
Sous le soleil
Mais la vie m'échappe
J'ai besoin d'une main amie

Regarde-moi encore
Je suis debout
Sous le soleil
La vie m'échappe complètement
J'ai besoin d'une amie

Mais demain
Je serai dix pieds sous terre
Dans la nuit éternelle
Je n'aurai besoin ni de voir
Ni de penser
Ni d'avoir ni d'être

Regarde-moi
Je suis debout
Sous le soleil
Demain je serai dix pieds sous terre
Loin du monde

 

 

 

J.A.S LOPITO FEIJJÓO K

choix François Minod

 

Petit bâton en uniforme

(anonyme enfant soldat)

Garçon gredin
Décapé de l'esprit
sans moi sans père
sans pain sans mère ni mains

sans soleil sans lune sans rien
sans mer sans sel sans sort
sans rue sans rivière sans rire sans raison
petit narcisse, pure semence prise au piège!
                     

                                                                                         *

Constatation Haïku

Pas de frontières à la patrie du poète
ma patrie c'est notre maison.
  - C'est ma tombe (il faut le dire) mbilia iami (1)

Elle s'appellerait Lucrèce, Monde
ou Poésie, si je n'étais un apatride!

(1)  Mbilia iami en Kimbundo, langue maternelle d'Angola, signifie "ma sépulture".

                                                                                         *

Érotique aficaine


1

Noir l'or que tu portes au cou
                              est à moi.
Aqueux le liquide dont le jaillissement
                              est à toi.
Nègre le sang dont je m'enivre
                              est à toi.
Vert le bouillon de mon espoir
                              est à toi.

2

Le scintillant diamant du malheur pur
                              est à moi.
Le vent du Sahara qui insuffle la folie
                              est à moi.
Le regard de pointe aigüe du jeune Massaï
                              est à toi.
La spirale secrète de qui entre et qui sort
                              est à moi.

3

[le mystère oraculaire
        dès autre ancêtres
                        est à nous ?]

4

Dans le monde de ton et de mon    AMOUR
seule la vieille interrogation dont l'Afrique se représente
      EST À NOUS !

 

                                                                                         *

 J.A.S Lopito Feijjóo K  in Cœur tellurique,  Féderop, collection Paul Froment,  2014, traduit du portugais par Patrick Quillier

 

Extrait de la 4ème de couverture :

Héritière de la parole ancestrale des griots, mais aussi des grandes voix africaines du siècle dernier, la poésie de J.A.S Lopito Feijjóo K. est, comme le dit Gabriel Okundji dans sa préface « un chant qui résonne gravement sur les territoires de l’Angola, s’indigne, interpelle, pointe du doigt l’évidence que l’œil peine à voir, témoigne avec vigueur et élan du mystère de la faune et de la flore que délivre la forêt touffu du Bassin du Congo, invoque à voix nue les bruissements qui détournent le murmure de l’homme »

 

 

Pierre LANDRY

choix Mireille Diaz-Florian

 

La rubrique coup de cœur convient parfaitement à ces premières pages des Trois Epiphanies de Pierre Landry. Il s’agit ici de vous faire partager un texte inscrit dans une amitié. Il s’agit d’un extrait inscrit au cœur d’une vie dédiée à la littérature.

Pierre Landry venu du Québec a fondé à Tulle, la librairie Préférences, lieu qui m’est précieux.

A la demande de Jean Paul Michel, directeur des éditions William Blake and Co, il rend compte de ces moments fondateurs qui orientent nos vies. 

 

 

       Tulle 10 juillet 2016

 

Mon cher Jean Paul,

 

       Oui, j’ai sans doute « voué ma vie à des signes ».

       Je tâcherai ici de t’expliquer un peu et t’en feras ce que tu voudras, ce que tu pourras.

 

       Mais voilà, n’ai-je jamais disposé d’autre chose que de signes ? Lorsque, petit gars, puis grand garçon puis jeune homme j’ai commencé, souvent fébrilement, à coller les bouts de mes débuts, me semble-t-il effilochés, se sont graduellement imposées avec une constance entêtée, trois solides épiphanies.

 

       Commençons par la deuxième

 

       - Quelques mois avant mes six ans, aux jours de la plus grande luminosité sous nos latitudes, maman a entrepris de me donner les moyens de lire. L’alphabet, puis les premières syllabes, puis encore, doucement, en me servant du lait chaud et des tartines de miel doux-beurre-salé sur son extraordinaire pain juste sorti du fourneau. Je me souviens parfaitement d’appétit de comprendre et de difficultés qui me décourageaient.

       Alors vint un matin miracle. Le bout de phrase compris, l’adéquation entre une image et quelques mots que je suivais du bout du doigt, m’ont à la fois explosé et submergé.

       J’étais alors assez pur pour ignorer la prouesse ; non j’ai juste compris que je comprenais, que le monde m’était offert.

       Extrême intensité émotionnelle. Maman ! Maman !

       Depuis je continue d’apprendre, doucement et aussi, parfois violemment. La normale.

       Ce matin-là, les signes m’avaient définitivement fait signe. Je tenais dans ma petite main le gros outil. La clé. Il ne m’est tout simplement jamais arrivé d’avoir à en douter.

       Je savais bien déjà quelques dangers, les sentais, plutôt. Existaient, existent toujours les antériorités. Savoirs antérieurs qui, j’estime, m’ont finalement gardé en-deçà de la ligne ultime de démarcation de ce qui m’était promis : devoir aller le plus loin possible dans mes explorations. Abus physiques, diverses ivrogneries et n’avoir jamais, même pas cinq minutes, trahi mon ouvrage.

 

       Quelque trois ans auparavant, mon premier souvenir absolument clair, net et précis. Première épiphanie.

       A l’aube, dans les bras de maman qui me l’avait annoncé la veille, au coucher, la toute-première de mes premières neiges.

       L’émerveillement que me fut cette magie intense, cet univers sombre et rugueux de la veille transfiguré en luminosité d’une extrême douceur de forme et de ton.

       Trente centimètres d’éblouissement blanc au sol, chapeau  vingt centimètres sur les piquets de clôture, deux-trois centimètres sur la broche entre les piquets, et toute la haie de gadelliers sur tout un côté de la cour bordant la route couverte  plus ou moins en décousu avec, perçant le blanc, des bribes de signes, en noir, les graphes incompréhensibles mais que je sais quand même être différentes apparences de ceux autrement, d’hier. Complètement étonné, les prunelles ouvertes grand angle.

       Je me souviens sans la moindre altération de cette minute première. Je me tiens dans les bras de maman, collé sur sein gauche, ma joue droite contre sa joue et son cou, bien callé au creux de son bras, l’entendant me dire son amour, « regarde, regarde ! », moi respirant sa peau de bonheur, qui venait, un mois ou deux auparavant, de mettre son huitième enfant au monde, qui venait, à l’instant précédant de sortit sa cuitée de pain et de baiser bonne journée à papa.

       Sa peau de courage qui barrerait sans relâche sa maisonnée au fil de la quinzaine d’heures qui suivaient.

       Je me souviens d’avoir su, là, et compris, que cela était le donné ordinaire, une espèce « a minima », Dieu permettant.

 

Trois Epiphanies, de Pierre Landry

William Blake and Co. Editions

 

 

Patrice DESBIENS

choix Gertrude Millaire

 

(pour Jean Marc et Brigitte)

 

Je me réveille au son d'une pelle qui gratte la neige.

Je me réveille au son de cloches qui sonnent contre les fenêtres endormies.

Je me réveille au son des voitures qui se glissent dans le delta des rues.

Je me réveille au son des camions qui charrient le papier pour les poèmes que je n'ai pas encore écrits.

Je me réveille au son des souvenirs qui écrasent le silence.

Je me réveille au son de ma pensée.

Le gris du ciel et le gris du cerveau.

Le café m'attend.

Le téléphone m'attend.

Le miroir m'attend.

L'appartement m'attend.

L'amour m'attend.

La vie m'attend.

Je me réveille au son de Sudbury.

Je me réveille au son de ta voix qui vient du fond de mon amnésie.

Je me réveille au son de ma voix qui soupire ton nom dans l'oreiller sale de l'aube.

Je me réveille au creux de la distance, je me réveille à Sudbury, dans la lumière de ton absence.

Je me réveille au son d'une pelle qui gratte la neige

et tout recommence.

 

Patrice Desbiens  poète québécois

 

 

 

André-Louis ALIAMET

choix Dana Shishmanian

 

 Les yeux

La ville est remplie d’yeux.

 

Braises plus que flammes, cendres plus que braises,

ils brûlent sous de minces paupières.

Dans les nervures de l’air montent

leurs regards, cyclopes du vent, minces vrilles

de verre dans l’immensité plate.

Blessant la vue, ils s’allument puis s’éteignent

comme une lampe privée d’huile.

Yeux toujours clairs, gisant glacés,

Que reste-t-il pour peupler tête et corps ?

Vide est la cruelle balance.

Parole d’ombre creusant l’évidence

D’une vérité absente.

 

Sommeil noir

La grande phrase qui porte en nous

ses syllabes s’entoure des mêmes mots

que ces nuits où Vénus file avec l’aube,

lorsqu’au plaisir suprême succèdent le silence,

les hanches devenues collines,

les rasantes comètes qui divisent le ciel

comme un aimant sépare les deux pôles.

Une simple touche fait du monde le jardin

d’une absence  qui rôde dans tes pas.

Au cœur de chaque maison, enfouis

dans son sommeil noir, vieillissent

nos portraits. Mais notre accord persiste

en un règne qui jour après jour

garde le mystère de la Fête.

 

Ces poèmes sont extraits de la dernière édition de la revue de poésie Arpa (N° 120-121, octobre 2017, p. 92).

Présentation et bibliographie de l’auteur : http://maisondelapoesie.com/index.php?page=aliamet-andre-louis.

 

 



Coup de cœur

choix François Minod

choix Dominique Zinenberg

choix Mireille Diaz-Florian

choix Dana Shishmanian

choix Gertrude Millaire

choix Éliette Vialle

choix Michel Ostertag

 

Francopolis décembre 2017