choix Dominique Zinenberg
Dans l’âtre du silence
(2004)
La montée du soir :
une odeur de sable dans les pins,
avec ce peu qu’il faut de souffle
pour dire le silence.
Et la nuit maintenant cerne le regard,
l’enfant te donne la main
pour traverser sa mémoire ;
il manque la voix pour creuser le visage,
le visage sans retour,
la rive, trop évidente.
***
Super-8
-ces morts de trente ans,
avec eux,
aussi mort, ce presque toi
où rescapé de toi-même,
avec eux
tu te revois sourire.
***
Une brume basse
ouate le nord et le silence.
Des flaques de gel aux ornières.
À quelles voix répondre,
de la nuit à peine divisées ?
Vers quel horizon,
quel amont de rumeur ?
Dis-moi si je délire
pour d’impossibles déserts,
visité
non d’harmonie mais de vide,
avec ce rien
qui prend son vol au-dedans,
ce chant,
sa douceur d’âme.
***
Le temps t’aveugle d’images
de reflets, de regards.
Que cherches-tu
sinon ta parole d’ombre ?
Un seuil est là
qu’il te faut déceler,
la demeure de la voix,
le sombre où luira ton silence.
***
A-t-on dormi
dans cette maison de cendre,
dans l’âtre de silence
où la nuit s’est consumée ?
Une dernière charpente
effondre sa poussière.
Un rêve de feu s’étonne :
quel réveil de forêt craquante
à cette aube comme un brûlot
de sèves sous la brume ?
Nous connaissions la nuit.
Nous étions de la nuit,
de sa flamme lente et sombre,
non de ces vents levés matin,
de ces ciels maintenant déchirés,
non du feu rapide et blanc
que souffle la lumière.
Extraits de L’Entretien
devant la nuit. Poèmes 1968-2013, Les Hommes sans Épaules éditions, 2014.
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choix François Minod
Je pense à cette marche
à ce pas de marcheur
de grimpeur
à cet éloignement
à l'absence de temps
à la marche immobile
de lui que je ne vois
qui échappe en paroles
inutiles bouffantes
corolles de broussailles
que la main n'atteint pas
Je pense à eux
de dos
immobiles
et pour l'éternité de quelques vie sur terre
mais la terre se brise
à la nuit
y avait-il du vent devant la roche rouille
y avait-il un rire un regard
Je la vois dans ses éclats d'enfance
elle
un peu trop
mais d'elle à moi un barbelé
déjà de discordance
à un bras elle suspend sa
confiance
ils marchent ne marchent
elle marche ne marche
ciel mauve
et aux hoquets du soir ne cède
ambre la mer
violet le ciel
la folie purpurine avance
gicle mémoire
sur le thorax mine de plomb
grenaille pluie de feu avalanche
ne se retourne
ne se retournent
à la pointe de nuit
cette goutte de sang
sur mes yeux

Catherine Jarrett, Ni absence, ni
ombre,
numéro 35 de la revue Choisi
de J. Renou,
linogravure de Floriane Fagot
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choix Mireille Diaz-Florian
Depuis l’enfance il ne renonce
pas à l’écriture car elle est le trésor perdu qui parle et qui raconte.
C’est une créature, une personne. C’est une fable, une épopée, une fresque
anonyme du rêve sans nom mais dont la force éponyme élève des frissons. Les
pommes reinette qui tombent dans l’herbe, le coucou, sa gorge close et sans
nid, la pie et ses solutions bavardes, la calèche et les figurants noirs du
silence dans le miroir poli d’ébène. C’est la stèle diamantaire du lac où
plongent les enfants, les galets bleuis par les eaux, l’ibis et la magie
lente des fleurs inconcevables quand il voit le rose et le parme des
lagunes se poser doucement aux pieds des blancheurs de grève dans la matité
intacte du souffle des étoiles et de la commotion digitale de l’herbe.
C’est une étoffe de chair qui parle.
C’est aussi l’air qui parle.
Quelque chose de banni, tombe, diaphane, irrémédiable, en un cri muet
rageur d’étincelle. C’est la vieille maison en ruine sous les arbres et la
chair déchirée à faire peur quand on voit en rêve la peau cristal ou
porcelaine des habitants du siècle d’avant. On s’initie à l’écriture comme
on sort des ténèbres. Un lourd bagage dans le cartable, du chagrin, des
feuilles étoilées blanches. C’est une vie dont on se dit à regret qu’on ne
l’écrira sans doute pas. Trop loin, trop lent, trop dur, trop difficile. Et
puis tellement de passage à côté du corps affolé qui creuse un trou pour se
taire ou ignorer. Et pourtant, malgré les doubles, railleurs, violents,
désinvoltes, cette passion dévore à merci. Elle blanchit qui l’ignore. Elle
noircit la digue et les empreintes. Jusqu’à la preuve du son et du sans
nom. (…)
Je rêvais d’écrire comme on
parle, feuilles cathédrales de jours, petites voix, brindilles qui
irradient, parfums de merisiers et ombres de cavaleries légères dans la
ronde des peupliers. J’aimais les débris retenus dans la profondeur d’eau
verte de l’écluse, les remous acides et le brou de noix dans l’air, les
saisonniers d’arbres qui finissent dans le grand vent. J’aimais lieux
communs, variations, style, l’hélice centrée au dedans, l’astre
insaisissable, le charme et la volupté incorruptible d’images corporelles
qui frôlent la pâleur centaurée d’ivoire du vieil or noir des soleils qu’on
a rêvé longtemps dans le puits réel des souffrances. Je voulais des phrases
de résurrection indemnes dans la magie du silence.
Extrait
de Ravins, Editions La rumeur libre, 2013
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choix Dana Shishmanian
Poèmes en l'honneur du
printemps…
N'enlevez
pas aux murs
leur
peau de lumière
même
si celle-ci
forme
des angles aigus !
Laissez-là
bien collée
à
leur surface nue
par
escaliers, par blocs
laissez-là
adhérer.
Laissez-là
jeter ses
puits
blancs aveuglants,
grésillants
dans
les cours,
offrez-lui
vos
yeux,
tant
pis s'ils sont brûlés :
un
jour,
tout
sera nuit.
FB,
6/02/2019
Je hume le bleu du ciel
neuf, diaphane et lumineux :
une fraîche et compacte
odeur,
dure tel un premier bourgeon
qui dit le jour encore intact
et les sèves
qui se réveillent,
et le soleil qui s'adoucit;
un parfum franc un parfum
net,
un bloc cubique de senteur
et de couleur
qui crée le choc.
FB, 17/02/2019
Les
champs parfois viennent me manger dans la main
lorsque leur marée s'arrête juste à mon seuil ;
ils ressemblent
à une bête apprivoisée
géante qui draine en son mouvement
tout l'air.
Et c'est alors que je caresse leurs longs plis
un à un, que leur houle
entre dans ma maison
pour en repousser les murs
et l'illuminer.
FB, 24/02/2019

Photo par l’auteure (FS,
6/02/2019)
Merci à Patricia de m’avoir permis de faire partager ces
beaux poèmes cueillis sur Facebook, en ce printemps précoce de février…
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choix Michel
Ostertag
Arrête de te plaindre
Répondit le grand mage
Il est grand temps pour toi
De vivre au lieu de craindre
Et dire et faire et croire
Voilà ce que tu dois
Pour aller sur les traces
De celui que tu es
Dire ce qui est beau
Pour que tout le devienne
Et faire ce que tu dois
Pour enfin être libre
Puis croire en ce destin
Qui n’existe qu’en toi
Et implore l’entends-tu
Que tu le réalises
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Coup
de cœur
Paul Farellier, choix Dominique Zinenberg
Catherine Jarrett, choix François Minod
Patrick Laupin, choix Mireille Diaz-Florian
Patricia Laranco, choix Dana Shishmanian
Laurent Vivat,
choix Michel Ostertag
Francopolis
janvier-février 2019
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