choix Michel Ostertag
C'est une façon d'aimer
L'habileté à découvrir les
secrets
Ces voyants insolites cachés
est
l'éloge des épisodes délicieux
comme un
juste chemin noblesse
L'incarné immense des jouissances
- pourtant garder sa rigueur -
soulage
les jours
Les
ennuis gravent la terre
et les
intentions vastes s'écrivent labourées
Le prix
du rire
Ce quadrille enivrant
sur
lequel des felouques frissonnent
rares foisonnements
mord le
pouvoir où opèrent nos yeux
Grandes recherches
D'orientations et d'innocences les séquences
Exigences formelles
Stupéfiantes courses
jouent
comme une simple leçon les doutes poignants
La
nostalgie en silence mouvant descend la rivière
à sa façon en Beauté d'Amour
©Marie Mélisou,
janvier 1999
Hommage à Marie Mélisou,
disparue le 2 mars 2017.
Lire l’hommage-témoignage de son éditeur, Didier Debord: http://la-charte.fr/magazine/au-revoir/article/disparition-de-marie-melisou
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choix Dominique Zinenberg
Six hivers
1
Dans
l’hôtel noir un enfant dort.
Et
tout autour : la nuit d’hiver
où
roulent les dés aux yeux écarquillés.
2
Une
élite de morts pétrifiée
au
cimetière Sainte-Catherine
où
le vent frissonne dans son armure thuléenne.
3
Un
hiver de cette guerre où j’étais au lit malade
un
incroyable glaçon s’allongeait devant la fenêtre.
Voisin
et harpon, souvenir inexpliqué.
4
Glace
accrochée au bord du toit.
Glaçons :
le gothique renversé.
Abstraits
bestiaux, mamelles de verre.
5
Sur
une voie de garage un wagon vide.
Immobile.
Héraldique.
Des
voyages entre les griffes.
6
Ce
soir rideau de neige, clair de lune. La méduse lunaire qui
plane
devant nous. Nos sourires
sur
le chemin du retour. Allée ensorcelée.
Extraits de Baltiques, traduit du suédois,
Poésie/Gallimard, 2004.
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choix
Éliette Vialle
Cœur blessé
Par le fer tranchant
De l'oubli
Chaque nom
Se désagrège
Dans un dernier souffle de lumière
Le temps n'a plus
De visage ni de voix
Le silence creuse
Sa tanière dans l'ombre
Et le néant futur des choses
Ainsi qu'au creux de ta poitrine
Cœur blessé
Par le fer tranchant
De l'oubli
Chaque nom
Se désagrège
Dans un dernier souffle de lumière
***
Accepte la fatigue des jours
Et l'insouciance de la lumière
Le labeur des mots s'oppose
A la paresse oisive des nuages
Tu n'écris que pour survivre
Dans le sillage de cette barque
Qui t'emporte au fil de l'eau
Vers d'obscurs territoires de silence
Ta dernière demeure sur terre
Et dans tes songes tu la partageras avec ceux
Que l'oubli recouvrira bientôt de cendres
Sous son noir linceul de neige
***
Semences du soleil qui se déploient
Comme des oriflammes dans l'air
La terre féconde accordera
A ses moissons futures
Un grand ciel de lumière
Dans le battage des blés mûrs
Et les collines n'auront d'autres couleurs
Que celles que tes mains disperseront
Avec l'aide du vent sur les prés et les chemins
Assoiffés d'herbe humide et de rosée céleste
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choix François Minod
Je ne suis plus personne
Je connais ce couchant qui sommeille sur le dos d’un chien roux
Je connais ce nuage aguicheur comme les vêtements d’une
adolescente
Je connais les murs blancs de l’enfance
Je connais l’odeur de propreté qui se promène nue devant les
boutiques
Je connais la griffure du chat gravée sur le trottoir de
l’immeuble
C’est mon village
Mais où sont les pierres lavées par la fumée
Où est l’odeur de poudre si proche
Où est mon frère, je ne vous vois debout sur le balcon à attendre
les
égorgeurs
Où sont les doigts déchiquetés de
l’enfant
La bombe a-t-elle raté sa cible aujourd’hui
La balle du sniper a-t-elle atteint ma
mémoire
Je me frotte les yeux derrière le
balcon du temps
Je tends ma main vers la rose dans son
verre pour retrouver le
sens de la vie
Je le touche à peine qu’il redevient
sable
Et mes doigts pierre
Depuis un an je vis dans une banlieue
près de Paris
Mais elle est mon village
Mon village !
Peut-être le miroir du village qui est
en moi
Peut-être le miroir du village où je
suis toujours
Mais il a disparu
Peut-être, peut-être
Une seule certitude confirmée par le
couloir sombre devant
la porte de l’appartement :
Je ne suis plus personne
Extraits de La mort ne séduit pas les ivrognes,
L’oreille
du loup, 2014
Omar
Youssef Souleimane est un poète syrien né en 1987
à Qutayfeh sur les plateaux du Qalamoun, au nord de Damas. Après avoir étudié la
littérature arabe à Homs, il est correspondant pour la presse syrienne et
collabore à plusieurs journaux arabes. Il est l’auteur de plusieurs livres
de poésie, parmi lesquels Chansons de
saison, Je ferme les yeux et j’y
vais (prix koweitien Saad Al Sabbah), Il ne faut pas qu’ils meurent.
En 2016,
il obtient le prix Amélie-Murat pour La mort ne séduit pas les ivrognes.
Après
avoir participé aux manifestations pacifiques en mars 2011, il est
recherché par les services de renseignements syriens. Il entre en clandestinité et obtient
l’asile politique en France.
Dernière
parution : Le
petit terroriste, récit, Flammarion, 2017.
Récemment
publiés dans Recours
au poème (janvier 2018).
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choix Mireille Diaz-Florian
Avec vous ce partage d’un des
poèmes de mon recueil préféré de Saint-John-Perse extrait de AMERS que j’ai recopié et relu à haute voix avec ferveur.
…Or il y avait un si long temps que j’avais goût de ce poème, mêlant
à mes propos du jour toute cette alliance, au loin, d’un grand éclat de mer
– comme en bordure de forêt, entre les feuilles de laque noire, le gisement
soudain d’azur et de ciel gemme : écaille vive, entre les mailles,
d’un grand poisson pris par les ouïes !
Et qui donc m’eût surpris
dans mon propos secret ? gardé par le sourire et par la
courtoisie ; parlant, parlant langue d’aubain parmi les hommes de mon
sang – à l’angle peut-être d’un jardin public, ou bien aux grilles effilées
d’or de quelque Chancellerie ; la face peut-être de profil et le
regard au loin, entre mes phrases, à tel oiseau chantant son lai pur sur la
Capitainerie du Port.
Car il y avait si long temps
que j’avais goût de ce poème, et ce fut tel soutire en moi de lui garder ma
prévenance : tout envahi, tout investi, tout menacé du grand poème,
comme d’un lait de madrépore ; à son afflux, docile, comme à la quête
de minuit, dans un soulèvement très lent des grandes eaux du songe, quand
les pulsations du large tirent avec douceur sur les aussières et sur les
câbles.
Et comment il nous vint à
l’esprit d’engager ce poème, c’est ce qu’il faudrait dire. Mais n’est-ce
pas assez d’y trouver son plaisir ? Et bien fût-il, ô dieux, que j’en
prisse soin, avant qu’il ne nous fût repris…Va voir, enfant, au tournant de
la rue, comme les filles de Halley, les belles visiteuses célestes en habit
de Vestales, engagées dans la nuit à l’hameçon de verre, sont promptes à se
reprendre au tournant de l’ellipse.
Morganatique au loin l’Epouse, et l’alliance, clandestine…Chant d’épousailles,
ô mer, sera pour vous le chant : « Mon dernier chant ! mon
dernier chant ! et qui sera l’homme de mer… » Et si ce n’est ce
chant, je vous le demande, qu’est-ce qui témoignera en faveur de la Mer –
la Mer sans stèles ni portiques, sans Alyscamps
ni Propylées ; la mer sans dignitaires de pierre à ses terrasses
circulaires, ni rang de bêtes bâtées d’ailes à l’aplomb des
chaussées ?
Moi j’ai pris charge de l’écrit,
j’honorerai l’écrit. Comme à la fondation d’une grande œuvre votive, celui
qui s’est offert à rédiger le texte et la notice ; et fut prié par
l’Assemblée des Donateurs, y ayant seul vocation. Et nul n’a su comment il
s’est mis à l’ouvrage : dans un quartier, vous dira-t-on
d’équarisseurs ou de fondeurs – par temps d’émeute populaire – entre les
cloches du couvre-feu et les tambours d’une aube militaire…
Et au matin déjà la Mer
cérémonielle et neuve lui sourit au-dessus des corniches. Et voici qu’en sa
page se mire l’Étrangère…Car il y avait un si long temps qu’il avait goût
de ce poème ; y ayant telle vocation…Et ce fut telle douceur un soir
de lui marquer sa prévenance ; et d’y céder, telle impatience. Et le
sourire aussi fut tel, de lui prêter alliance… » Mon dernier
chant ! mon dernier chant !...et qui sera l’homme de mer… »
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choix Dana Shishmanian
Mais les
saisons du temps, les distances entre mers et terres qui nous éloignent
tant l’un de l’autre empêchent la
rose d’éclore et les marronniers d’embraser la forêt d’automne.
Pour toi les cerisiers d’avril raviront les rives du Pacifique et le sang
de l’érable affluera dans tes veines, quand à l’horizon, le Fuji-Yama se
couronnera de neiges éternelles. Les grues, les aigrettes, les canards
bleus pénétreront au-delà de nos regards sur de délicates estampes. Pour
moi les pluies de novembre inonderont toujours de larmes la tombes des
absents.
***
Tu
apprendras vite, on ne peut exiger du temps l’accord parfait. À l’approche
du sommeil, ton coucher sera toujours
mon lever. Quand pour toi la lune dessinera son croissant d’or, je
serai à l’aurore du soleil. Nous seront constamment en décalage temporel
aussi devrons-nous tenter de rapprocher nos mémoires. Toi, jeune enfant
vivant le seuil de ton existence et moi, vieille personne vivant au bout de
mon temps. Pour nous rencontrer il faudra faire bien des pirouettes,
devenir funambules, chausser les semelles de vent du jeune poète. Tu
pourras toujours lire mes poèmes un peu vieillis et à jamais couchés sur
des feuilles jaunies tandis qu’absente, je ne pourrai plus déchiffrer ta
page encore blanche.
***
D’une lune à l’autre, c’est de ce
temps-là que je voulais te parler, un temps qui n’est pas encore consumé,
un temps à sculpter finement dans le silence d’un possible égrégore et que
nous pouvons saisir, encore et toujours.
Extraits du recueil D’une lune
à l’autre, éditions Alcyone, 2017 (recueil dédié par l’auteure à son
petit-fils, né à Tokyo)
Lors du Mercredi du poète du 24 janvier à la
brasserie François Coppée, à Paris, Martine Morillon-Carreau a présenté
l'œuvre de Monique Labidoire, riche maintenant de plus de trente titres. Pour
l'écouter: https://www.youtube.com/watch?v=oXlQHcF2X0E
. Le texte de cette présentation sera publié dans le prochain numéro de la
revue Poésie/première.
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choix Gertrude Millaire
Sur son fauteuil de chimio
elle rêve
les yeux à demi-fermés,
des fentes obliques dont sort
une lame froide
parallèle à son ténu sourire
glissant d’entre ses lèvres comme de papier collé
tout en dormant elle fustige elle mord
pourtant c’est une brave femme
son fils étudiant l’attend dehors
(ou serait-ce son amant…)
elle doit cuisiner
elle sait danser et chanter
elle est pleine de vie
(alors je parie : assistante de
direction ?
commerciale ? pourquoi pas
DRH dans une grande entreprise d’informatique…)
en redressant sa perruque d’un geste coquet
elle s’éveille
et se remet à crocheter
en levant très haut ses sourcils dépoilés
comme les vieux messieurs quand ils regardent par
dessus
leurs lunettes
de quoi a-t-elle pu bien rêver
pendant que devant elle j’ai plongé
tout cet après-midi
dans ma nuit
Extrait du recueil Néant rose,
éditions L’Harmattan, 2017 (Accent tonique)
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Coup
de cœur
choix
Michel Ostertag
choix
Dominique Zinenberg
choix
Éliette Vialle
choix
François Minod
choix
Mireille Diaz-Florian
choix
Dana Shishmanian
choix
Gertrude Millaire
Francopolis janvier-février 2018
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