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Coup de cœur : Archives

(2010-2017)

Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur

 

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(un tableau de Bruno Aimetti)

 

À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes,
d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poème Coup de Cœur du Comité

JANVIER – FÉVRIER 2018

 

Marie Mélisou, choix Michel Ostertag

Tomas Tranströmer, choix Dominique Zinenberg

François Teyssandier, choix Éliette Vialle

Omar Youssef Souleimane, choix François Minod

Saint-John-Perse, choix Mireille Diaz-Florian

Monique W. Labidoire, choix Dana Shishmanian

Dana Shishmanian, choix Gertrude Millaire

 

 

 

 

Marie MÉLISOU

choix Michel Ostertag

C'est une façon d'aimer


           
L'habileté à découvrir les secrets
                            Ces voyants insolites cachés
            est l'éloge des épisodes délicieux
            comme un juste chemin noblesse

            L'incarné immense des jouissances
                        - pourtant garder sa rigueur -
            soulage les jours
 
            Les ennuis gravent la terre
            et les intentions vastes s'écrivent labourées

            Le prix du rire
                      Ce quadrille enivrant
            sur lequel des felouques frissonnent
                                    rares foisonnements
            mord le pouvoir où opèrent nos yeux
                 Grandes recherches

            D'orientations et d'innocences les séquences
                                     Exigences formelles
                     Stupéfiantes courses
            jouent comme une simple leçon les doutes poignants


            La nostalgie en silence mouvant descend la rivière
                             à sa façon en Beauté d'Amour
                                 

©Marie Mélisou, janvier 1999

 

Hommage à Marie Mélisou, disparue le 2 mars 2017.

Lire l’hommage-témoignage de son éditeur, Didier Debord: http://la-charte.fr/magazine/au-revoir/article/disparition-de-marie-melisou

 

 

 

 

Tomas TRANSTRÖMER

choix Dominique Zinenberg

 

 

Six hivers

 

 

1

 

Dans l’hôtel noir un enfant dort.

Et tout autour : la nuit d’hiver

où roulent les dés aux yeux écarquillés.

 

 

2

 

Une élite de morts pétrifiée

au cimetière Sainte-Catherine

où le vent frissonne dans son armure thuléenne.

 

3

 

Un hiver de cette guerre où j’étais au lit malade

un incroyable glaçon s’allongeait devant la fenêtre.

Voisin et harpon, souvenir inexpliqué.

 

4

 

Glace accrochée au bord du toit.

Glaçons : le gothique renversé.

Abstraits bestiaux, mamelles de verre.

 

 

5

 

Sur une voie de garage un wagon vide.

Immobile. Héraldique.

Des voyages entre les griffes.

 

 

6                                        

 

Ce soir rideau de neige, clair de lune. La méduse lunaire qui

plane devant nous. Nos sourires

sur le chemin du retour. Allée ensorcelée.

 

 

Extraits de Baltiques, traduit du suédois,

Poésie/Gallimard, 2004.

 

 

 

François TEYSSANDIER

choix Éliette Vialle

 

Cœur blessé
Par le fer tranchant
De l'oubli

Chaque nom
Se désagrège
Dans un dernier souffle de lumière

Le temps n'a plus
De visage ni de voix
Le silence creuse

Sa tanière dans l'ombre
Et le néant futur des choses
Ainsi qu'au creux de ta poitrine
Cœur blessé
Par le fer tranchant
De l'oubli

Chaque nom
Se désagrège
Dans un dernier souffle de lumière

*** 

 

Accepte la fatigue des jours
Et l'insouciance de la lumière

Le labeur des mots s'oppose
A la paresse oisive des nuages

Tu n'écris que pour survivre
Dans le sillage de cette barque

Qui t'emporte au fil de l'eau
Vers d'obscurs territoires de silence

Ta dernière demeure sur terre
Et dans tes songes tu la partageras avec ceux

Que l'oubli recouvrira bientôt de cendres
Sous son noir linceul de neige

*** 

 

Semences du soleil qui se déploient
Comme des oriflammes dans l'air

La terre féconde accordera
A ses moissons futures

Un grand ciel de lumière
Dans le battage des blés mûrs

Et les collines n'auront d'autres couleurs
Que celles que tes mains disperseront

Avec l'aide du vent sur les prés et les chemins
Assoiffés d'herbe humide et de rosée céleste

 

 

 

Omar Youssef SOULEIMANE

choix François Minod

 


Je ne suis plus personne

 

Je connais ce couchant qui sommeille sur le dos d’un chien roux

Je connais ce nuage aguicheur comme les vêtements d’une

   adolescente

Je connais les murs blancs de l’enfance

Je connais l’odeur de propreté qui se promène nue devant les

   boutiques

Je connais la griffure du chat gravée sur le trottoir de l’immeuble

C’est mon village

Mais où sont les pierres lavées par la fumée

Où est l’odeur de poudre si proche

Où est mon frère, je ne vous vois debout sur le balcon à attendre les

  égorgeurs

Où sont les doigts déchiquetés de l’enfant

La bombe a-t-elle raté sa cible aujourd’hui

La balle du sniper a-t-elle atteint ma mémoire

Je me frotte les yeux derrière le balcon du temps

Je tends ma main vers la rose dans son verre pour retrouver le

    sens de la vie

Je le touche à peine qu’il redevient sable

Et mes doigts pierre

Depuis un an je vis dans une banlieue près de Paris

Mais elle est mon village

Mon village !

Peut-être le miroir du village qui est en moi

Peut-être le miroir du village où je suis toujours

Mais il a disparu

 

Peut-être, peut-être

Une seule certitude confirmée par le couloir sombre devant

    la porte de l’appartement :

Je ne suis plus personne

 

Extraits de La mort ne séduit pas les ivrognes,

L’oreille du loup, 2014

Omar Youssef Souleimane est un poète syrien né en 1987 à Qutayfeh sur les plateaux du Qalamoun, au nord de Damas. Après avoir étudié la littérature arabe à Homs, il est correspondant pour la presse syrienne et collabore à plusieurs journaux arabes. Il est l’auteur de plusieurs livres de poésie, parmi lesquels Chansons de saison, Je ferme les yeux et j’y vais (prix koweitien Saad Al Sabbah), Il ne faut pas qu’ils meurent.

En 2016, il obtient le prix Amélie-Murat pour La mort ne séduit pas les ivrognes.

Après avoir participé aux manifestations pacifiques en mars 2011, il est recherché par les services de renseignements syriens.  Il entre en clandestinité et obtient l’asile politique en France.

Dernière parution : Le petit terroriste, récit, Flammarion, 2017.

Récemment publiés dans Recours au poème (janvier 2018).

 

 

 

SAINT-JOHN-PERSE

choix Mireille Diaz-Florian

 

Avec vous ce partage d’un des poèmes de mon recueil préféré de Saint-John-Perse extrait de AMERS que j’ai recopié et relu à haute voix avec ferveur.

 

…Or il y avait un si long temps que j’avais goût de ce poème, mêlant à mes propos du jour toute cette alliance, au loin, d’un grand éclat de mer – comme en bordure de forêt, entre les feuilles de laque noire, le gisement soudain d’azur et de ciel gemme : écaille vive, entre les mailles, d’un grand poisson pris par les ouïes !

 

  Et qui donc m’eût surpris dans mon propos secret ? gardé par le sourire et par la courtoisie ; parlant, parlant langue d’aubain parmi les hommes de mon sang – à l’angle peut-être d’un jardin public, ou bien aux grilles effilées d’or de quelque Chancellerie ; la face peut-être de profil et le regard au loin, entre mes phrases, à tel oiseau chantant son lai pur sur la Capitainerie du Port.

 

  Car il y avait si long temps que j’avais goût de ce poème, et ce fut tel soutire en moi de lui garder ma prévenance : tout envahi, tout investi, tout menacé du grand poème, comme d’un lait de madrépore ; à son afflux, docile, comme à la quête de minuit, dans un soulèvement très lent des grandes eaux du songe, quand les pulsations du large tirent avec douceur sur les aussières et sur les câbles.

 

  Et comment il nous vint à l’esprit d’engager ce poème, c’est ce qu’il faudrait dire. Mais n’est-ce pas assez d’y trouver son plaisir ? Et bien fût-il, ô dieux, que j’en prisse soin, avant qu’il ne nous fût repris…Va voir, enfant, au tournant de la rue, comme les filles de Halley, les belles visiteuses célestes en habit de Vestales, engagées dans la nuit à l’hameçon de verre, sont promptes à se reprendre au tournant de l’ellipse.

 

  Morganatique au loin l’Epouse, et l’alliance, clandestine…Chant d’épousailles, ô mer, sera pour vous le chant : « Mon dernier chant ! mon dernier chant ! et qui sera l’homme de mer… » Et si ce n’est ce chant, je vous le demande, qu’est-ce qui témoignera en faveur de la Mer – la Mer sans stèles ni portiques, sans Alyscamps ni Propylées ; la mer sans dignitaires de pierre à ses terrasses circulaires, ni rang de bêtes bâtées d’ailes à l’aplomb des chaussées ?

 

  Moi j’ai pris charge de l’écrit, j’honorerai l’écrit. Comme à la fondation d’une grande œuvre votive, celui qui s’est offert à rédiger le texte et la notice ; et fut prié par l’Assemblée des Donateurs, y ayant seul vocation. Et nul n’a su comment il s’est mis à l’ouvrage : dans un quartier, vous dira-t-on d’équarisseurs ou de fondeurs – par temps d’émeute populaire – entre les cloches du couvre-feu et les tambours d’une aube militaire…

 

  Et au matin déjà la Mer cérémonielle et neuve lui sourit au-dessus des corniches. Et voici qu’en sa page se mire l’Étrangère…Car il y avait un si long temps qu’il avait goût de ce poème ; y ayant telle vocation…Et ce fut telle douceur un soir de lui marquer sa prévenance ; et d’y céder, telle impatience. Et le sourire aussi fut tel, de lui prêter alliance… » Mon dernier chant ! mon dernier chant !...et qui sera l’homme de mer… »

 

 

 

 

Monique W. LABIDOIRE

choix Dana Shishmanian

 

Mais les saisons du temps, les distances entre mers et terres qui nous éloignent tant l’un de l’autre empêchent la rose d’éclore et les marronniers  d’embraser la forêt d’automne. Pour toi les cerisiers d’avril raviront les rives du Pacifique et le sang de l’érable affluera dans tes veines, quand à l’horizon, le Fuji-Yama se couronnera de neiges éternelles. Les grues, les aigrettes, les canards bleus pénétreront au-delà de nos regards sur de délicates estampes. Pour moi les pluies de novembre inonderont toujours de larmes la tombes des absents.

***

Tu apprendras vite, on ne peut exiger du temps l’accord parfait. À l’approche du sommeil, ton coucher sera toujours mon lever. Quand pour toi la lune dessinera son croissant d’or, je serai à l’aurore du soleil. Nous seront constamment en décalage temporel aussi devrons-nous tenter de rapprocher nos mémoires. Toi, jeune enfant vivant le seuil de ton existence et moi, vieille personne vivant au bout de mon temps. Pour nous rencontrer il faudra faire bien des pirouettes, devenir funambules, chausser les semelles de vent du jeune poète. Tu pourras toujours lire mes poèmes un peu vieillis et à jamais couchés sur des feuilles jaunies tandis qu’absente, je ne pourrai plus déchiffrer ta page encore blanche.

***

D’une lune à l’autre, c’est de ce temps-là que je voulais te parler, un temps qui n’est pas encore consumé, un temps à sculpter finement dans le silence d’un possible égrégore et que nous pouvons saisir, encore et toujours.

 

Extraits du recueil D’une lune à l’autre, éditions Alcyone, 2017 (recueil dédié par l’auteure à son petit-fils, né à Tokyo)

Lors du Mercredi du poète du 24 janvier à la brasserie François Coppée, à Paris, Martine Morillon-Carreau a présenté l'œuvre de Monique Labidoire, riche maintenant de plus de trente titres. Pour l'écouter: https://www.youtube.com/watch?v=oXlQHcF2X0E . Le texte de cette présentation sera publié dans le prochain numéro de la revue Poésie/première.



 

Dana SHISHMANIAN

choix Gertrude Millaire

 

Femme couchée

Sur son fauteuil de chimio

elle rêve

les yeux à demi-fermés,

des fentes obliques dont sort

une lame froide 

parallèle à son ténu sourire

glissant d’entre ses lèvres comme de papier collé

tout en dormant elle fustige elle mord

pourtant c’est une brave femme

son fils étudiant l’attend dehors

(ou serait-ce son amant…)

elle doit cuisiner

elle sait danser et chanter

elle est pleine de vie

(alors je parie : assistante de direction ?

commerciale ? pourquoi pas

DRH dans une grande entreprise d’informatique…)

en redressant sa perruque d’un geste coquet

elle s’éveille

et se remet à crocheter

en levant très haut ses sourcils dépoilés

comme les vieux messieurs quand ils regardent par dessus

leurs lunettes

de quoi a-t-elle pu bien rêver

pendant que devant elle j’ai plongé

tout cet après-midi

dans ma nuit 

 

Extrait du recueil Néant rose,

éditions L’Harmattan, 2017 (Accent tonique)

 

 


Coup de cœur

choix Michel Ostertag

choix Dominique Zinenberg

choix Éliette Vialle

choix François Minod

choix Mireille Diaz-Florian

choix Dana Shishmanian

choix Gertrude Millaire

 

Francopolis janvier-février 2018