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Coup de cœur : Archives

(2010-2017)

Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur.

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(un tableau de Bruno Aimetti)

À Francopolis,
l
a rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes,
d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poème Coup de Cœur du Comité

 

Mai 2017

Nimrod, choix Dominique Zinenberg

Guy Jean, choix Gertrude Millaire

Guy Allix, choix Dana Shishmanian

Philippe Jaccottet, choix Mireille Diaz-Florian

Marie Huot, choix François Minod


NIMROD

choix Dominique Zinenberg

Ciels errants

 

Le ciel sa voilure les nuages

aussi et ce vent à qui l’océan

s’accorde sans ride sans biffure

 

L’azur soutient la transparence.

Le marais les roses liserons tendus

vers le ciel où monte notre louange

en verre pilé

 

J’aurais un royaume tout à moi

en bois flottés. Une rivière de

diamants en désespoir de cause

 

Dans le chambranle de la

lumière, je ravauderai la

porte

 

Il y a la fille d’eau, la pluie

la gorge d’espoir, elle qui

est à peine plus forte qu’un

entêtement loyal. Tu n’oses

la regarder, pourtant le désir

la cartographie à hauteur

de ciel

 

L’espace est entré dans son

âge tendre. Ce n’est plus

qu’une ligne. Il a sabordé

la forêt, les arbustes, les

rampants. Il court vers une

inertie parfaite.

 

Pour essuyer l’oripeau

pour taire l’éclat

        l’océan à portée de main

                     un enfant

        la plage de ses rêves

 

Tu n’attends pas l’été

ultime chose

 

tu flambes

tu n’es jamais chez toi

oublié

            dans le soleil

 

Ma route est sûre

entre l’inespérance

et la béatitude

 

 

Le grand troupeau

 

Il a contemplé le soleil

Les nuages aux couleurs sépia

Il a ouvert le portail

Au vent d’après-midi

Réserve des jours

Par-delà les murs

 

C’est ma mère

qui attend

son dos tourné

vers moi

telle une stèle

 

Semés avec les orages

nous avons grandi avec les éclairs

et le pays a fleuri

dans les ruisseaux ardents

 

Quoi que tu daignes

attendre du jardin

il t’offre les herbes folles

orphelines pensées

 

Souventes fois marchant

en ce pays aride

j’ai connu la surchauffe

j’abhorre le feu

j’aime la goutte

de larme qui me fait

croire à la fraîcheur

de la mère solitude

*
J’aurais un royaume en bois flottés,
anthologie personnelle 1989-2016, Poésie/ Gallimard.

 

 

Guy JEAN

choix Gertrude Millaire

Jacques Loussier Trio : Satie

Je glisse lentement sur le rire
de la fantaisie devenue toi


devant moi

Je glisse sur l’âme de tes yeux
cours, sautille, m’aveugle
tes cheveux murmurent
fleurs et vents, soirs d’insomnie

Ton corps m’arrache
aux battements de cœurs dociles
met au monde, j’adore
je contemple le rythme d’une cymbale brossée

J’abandonne les gestes appris
désarticule ma structure osseuse
me fonds comme encens sur la peau blanche
ne laisse que tatouage du rire

(tiré du recueil Les blanches feuilles ou dansent nos âmes, texte Guy Jean - illustration Edmond Baudoin, éditions Écrits des Hautes Terres, 2005)

 

***

Début mai il fait soleil
ving-cing degrés à Montréal
sur l’île aux Grues le fond de l’air demeure frais

Au nord à marée basse
les oies blanches picorent la batture
s’envolent liées les unes aux autres
                              comme une grande nappe au vent
se posent chacune recourbant les ailes en parachute
et séparément recherchent nourriture

Sur la côte sud
nous attendons dans une cache de chasseurs
les oies blanchissent les rives d’une baie au loin

Méfiantes
comme les insulaires
sortant
à peine de l’isolement hivernal.

(tiré du cartable L’obscurité a neigé, complicité et amitié entre l’artiste Baudoin (France) et le poète Guy Jean (Acadiens et québécois), éditions Neige-galerie, 2017) 

 

Guy ALLIX

choix Dana Shishmanian

Silencement

1

C’est quand tu n’as plus de mots

Que tu reviens au poème

Quand tu n’as plus que ce souffle vide

Qui murmure pourtant encore l’amour

EN dépit de sa défaite

Sur la page froissée

 

Ce souffle vide

Qui retrouve le geste essentiel

L’incorruptible dénouement

                   à l’œuvre de la voix

 

2

C’est quand tu n’es plus que poussières déjà

Quand tu ne peux plus dire

Que le poème s’insinue doucement en dépit de toi

Et de la vanité d’un nom

 

Comme à ton insu

Puisque tu ne sais ce qu’il sait

Puisqu’il sait peser la moindre des larmes

 

Bordure

1

Tu n’es que l’être peu

Qui marche dans la nuit

 

À ton pas accroché

Quelques fagots de mots

Prêts à la flamme

 

Il te fallait l’obscurité

Pour retrouver le jour

 

2

Oser n’être que ce rien

Et s’abîmer dans le gouffre silencieux

 

C’est parfois ton défi

Quand tu terrasses un instant la peur

 

Tu retrouves les échos lancinants

De la vie de la mort

Très loin au-dedans de toi

 

3

Et le silence

Lentement se décompose

Comme un fruit trop mûr

 

Tu as beau tenter

De colmater les brèches

La vie s’enfuit par tous les pores

 

***

 

Tu te rapproches de cela que tu ne connais pas.

Que tu connaîtras bientôt.

Sans plus rien connaître après.

 

 

Extraits du recueil Le sang du soir,

éditions Le nouvel Athanor, 2015.

 

 

Philippe JACCOTTET

choix Mireille Diaz-Florian

 

Poésie/ Gallimard (1946-1967)

 

La nuit est une grande cité endormie où le vent souffle…il est venu de loin jusqu’à

l’asile de ce lit. C’est le minuit de juin.

Tu dors, on m’a mené sur ces bords infinis,

le vent secoue le noisetier. Vient cet appel

qui se rapproche et se retire, on jurerait

une lueur fuyant à travers bois, ou bien

les ombres qui tournoient, dit-on, dans les enfers.

(Cet appel dans la nuit d’été, combien de choses

j’en pourrais dire, et de tes yeux…) Mais ce n’est que

l’oiseau nommé l’effraie, qui nous appelle au fond

de ces bois de banlieue. Et déjà notre odeur

est celle de la pourriture au petit jour,

déjà sous notre peau si chaude perce l’os,

tandis que sombrent les étoiles au coin des rues

 

 

L’effraie (1946-1950)

 

Images plus fugaces

que le passage du vent

bulles d’Iris où j’ai dormi !

 

Qu’est-ce qui se ferme et se rouvre

suscitant ce souffle incertain

ce bruit de papier ou de soie

et de lames de bois léger ?

 

Ce bruit d’outils si lointain

que l’on dirait à peine un éventail ?

 

Un instant la mort paraît vaine

le désir même est oublié

pour ce qui se plie et déplie

devant la bouche de l’aube.

 

 

Airs (1961-1964)

 

Je ne voudrais plus qu’éloigner

ce qui nous sépare du clair,

laisser seulement la place

à la bonté dédaignée.

 

J’écoute les hommes vieux

qui se sont allié le jour,

j’apprends à leurs pieds la patience

 

ils n’ont pas de pire écolier.

 

Leçons 1966 octobre-1967

 

 

 

Marie HUOT

choix François Minod

 

Gît mon cœur brûlé

Ma forêt ma douce cendre

Je t'apprends par le menu
La bouche à peine
Un ongle dans ta peau secrète
Pas touchée même pas

Une langue que je ne parle
Une langue dans ma bouche avec des mots
Mouillés
Inconnus et mouillés
Si je pouvais le dire avec ta langue

Gît mon cœur brûlé

Avec la cendre on dessine
Sur le visage
On se fait des peintures de guerre
On ne se reconnaît plus
Sinon les yeux la couleur

Avec la cendre on trempe son doigt dedans
On trouve que c'est chaud encore
On trouve que c'était belle forêt
Qu'il ne fallait pas
Pas tout brûler
Mais que c'est bon cette odeur
De bois de toi

Gît mon cœur brûlé

Je te prends feu
Et t'approche de ma douce
De ce qui douce me fait toute
Ta main sur la forêt qui prend
Il y a un loup rouge
À traverser dans le noir
Chaperon le beurre
C'est pour manger
Sur ta peau ton corps
Avec des cerises
Et un panier neuf
Pour tresser la langue
Avec la langue
                         

                                                                                          *

Gît blanc mon cœur
Et blanches mes mains
Femme prise dans la Bérézina
Ce que suis voilà
Transparente je suis et glace

On peut traverser
On voit à travers
A travers mon corps
On voit l'autre rive
On voit ce qui se trame là et tremble
Là à travers mon cœur de neige
Blanc mon cœur
Ma figure de carême

Gît blanc mon cœur

Au centre il y a ton pivot
Ta pie menteuse qui pirate
Qui pique la glace mon cœur
C'est pitié si c'est pas vrai

Le vois-tu comment j'avance
Vers toi très près
J'ai froid m'approche le serre
Le cœur blanc le sang qui bat
Ceux qui rient de rien
Qui toujours s'accommodent
Ne voient pas l'hiver où je suis prise

Gît blanc mon cœur

J'en ai pour une seconde encore
Je te prends la main dans le pull
Je te prends les yeux de loin
Tu n'iras pas plus
Et t'ajournes encore
Dans les yeux te le dis

Gît blanc mon cœur

Ma page de garde
Ma plaine neige tu la goûtes
Du bout des doigts
À pleines lèvres
C'est toi qui neiges maintenant
Tu crois que ça s'écrit facile
A la pointe du pied

Tu le prends tu le dis
Oui

Gît blanc mon cœur

Le printemps ça vient toujours
Un jour c'est aujourd'hui

 

* * *

 

Extraits de Gît le cœur, Ed. Le bruit des autres, 2012

 

Poète, Marie Huot a publié une dizaine de recueils ainsi que des poèmes dans des revues et anthologies. Elle collabore à des livres d’artistes avec des peintres et des graveurs. Elle a reçu le prix Max Jacob, 2007, pour Chants de l’éolienne.

 

 

 

Coup de cœur

Dominique Zinenberg,

Gertrude Millaire, Dana Shishmanian,

Mireille Diaz-Florian, François Minod

Francopolis mai 2017