« Nous ne sommes
que trop éloignés déjà de la
source… »
Nous ne nous
sommes que trop éloignés déjà de la source
disposant devant
le regard toute chose en son éclat
Nous voulions
davantage, mieux. Nous eûmes
moins. Davantage
que le tout de l’être cela
ne se peut.
Battu des mains
devant
les nappes
blanches après la fête
Les convives en
petits groupes vont
dans la grande
prairie
En mai, les
rhododendrons brûlent comme des
flammes. les
enfants se poursuivent à la lisière du
bois.
Davantage que le
don de cette douceur cela
ne se peut
C’était mal croire
mal vouloir savoir comprendre aimer bénir
Qu’imposer à la
langue la herse
d’une angoisse
jusqu’à perdre et
par là perdre
le tout de l’être
en sa fraîche présence offerte quand
on le chassait du
seul gîte où il peut
reposer, briller
de son éclat complexe
évident de lumière
donnée.
Pour valoir
parfaitement un poème
doit atteindre à
la haute objectivité sensible d’un visage
des effets de la
lumière dans
un feuillage en
mai. Non pas donner à entendre la plainte
d’un malheureux
séparé de soi mais
la parole dans
laquelle bondissent en échos justes
ce qui exactement,
bat
comme un cœur au
cœur de tant
de beautés données
et
resplendit
Tout est là. il
suffit de prendre.
Un être
intermittent, voilà ce que procurent
le mauvais
vouloir, l’angoisse mais
par chance
chaque être
nouveau venu reçoit
toute beauté avec
l’absence
de justification
qui la baigne,
sans malheur dès
lors que, d’un cœur d’enfant chacun,
d’abord,
l’accueille
Les poèmes dont
s’est perdue la source
s’ils gardent, des
choses qui sont, la surprise,
la perte du
souvenir de leur occasion humaine les augmente.
Ils tombent à leur
heure dans
la déclinaison des
éclats, allument
des feux dans les
profonds de
l’inconnu
Puissè-je aller
maintenant dans la douceur
d’une langue re
connue chance-
après tant de
malheurs avoir
erré, fouillant
jusqu’aux entrailles l ‘acte
béni de nommer
renaître !
Car tout advient à
nouveau
pour chaque homme
nouveau venu
entier, pur, riche
de ses mille destins éclatants
Rien ne s’use,
corrompt, perd
des feux du soleil
des ombres de
l’insondable
alentour
Non. Le poème les
conserve intacts
inentamés baigne
de grâce l’épreuve
de dire
sans crainte
Chaque hôte à
nouveau prend place. On tend la nappe
blanche. Les mais
se pressent à l’heure.
La joie
d’accueillir et d’être reçu, de donner,
les plus pauvres
même la connaissent. Elle
suffit
L’excès de l’être
ne peut se dire par du défaut.
Bondisse la
cascade du poème Ô qu’elle
sacre d’embruns
dans la lumière toute chose
nommée !
Rien n’est perdu.
Viendront de véridiques joueurs
très hauts
Ils feront bondir
en cascade
ce qui est
Une autre fois ce
qui fut
demeure. Apaisé tu
souris
11 mai 95
Extrait de : Je
ne voudrais rien qui mente, dans un livre,
Poésie/Flammarion, 2010
Cette proposition est fondée sur une re-lecture
de poèmes de Jean Paul Michel. Je connaissais les très beaux ouvrages des éditions William Blake and CO.
J’ignorais tout de son fondateur et a fortiori du poète.
J’assistai il y a quelques années à une
rencontre à la Maison d’Amérique latine avec pour seule intention d’y
écouter l’intervention
Yves Bonnefoy. J’y découvris Jean Paul Michel.
Entrer dans l’œuvre de Jean Paul Michel suppose d’accepter une résistance,
de rester parfois sur le seuil avent d’entrer. Mais le geste même de
recopier le texte que je vous propose pour le coup de cœur, permet d’en
mesurer la puissance et peut-être de s’installer à lire d’autres pages. Le
lire à haute voix lui donne toute sa résonance : celle de tenter
d’aborder le sens de l’écriture poétique.
Vous trouverez ici un extrait d’un entretien au salon du livre qui
dit assez sur quel chemin sont engagés l’éditeur et le poète.
Salon
du livre 2016
Parlez-nous en quelques mots des éditions William Blake
and Co. bien connues du monde de l’édition aquitain
« Créées en 1976, les éditions William
Blake and Co. ont toujours été depuis lors le « radeau pour quelques
solitudes violentes » qu’elles étaient à l’origine. Notre goût nous porte
vers des textes intenses, non moins soucieux de leur forme que de leur
force, tournés vers le réel avec loyauté, chargés de la mémoire sensible de
sa rencontre. En présence de textes qui nous touchent, notre désir est de leur
donner la lisibilité qu’ils réclament. De là notre souci de la qualité, et
même de l’élégance que nous apportons à tous les stades de la
production. »
Jean Paul Michel est né en Corrèze. Il
est agrégé de philosophie. Son premier ouvrage C'est une grave erreur
que d'avoir des ancêtres forbans (1975) est remarqué par Roland Barthes
et Michel Foucault. Il fonde en 1976, les éditions William Blake and
Co dont il est le directeur littéraire. Il collabore durant plusieurs années à la NRF. Ses poèmes et écrits sur
la poésie sont rassemblés en quatre volumes chez Flammarion.
Il a publié une dizaine de titres de Yves Bonnefoy avec qui il a gardé des
relations de travail et d’amitié. En 2019, lui est consacré un colloque à
Cerisy.
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