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Coup de cœur : Archives

(2010-2017)

Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur

 

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(un tableau de Bruno Aimetti)

 

À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes,
d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poème Coup de Cœur du Comité

NOVEMBRE 2017

 

Eliane POTIGUARA, choix François Minod

Pascal QUIGNARD, choix Dominique Zinenberg

Cristina CAMPO, choix Mireille Diaz-Florian

Catherine JARRETT, choix Dana Shishmanian

Randrianarivelo RUFIN, choix Éliette Vialle

Emile NELLIGAN, choix Gertrude Millaire

 

 

 

 

Eliane POTIGUARA

choix  François Minod

 

Que faire de cette face indienne?

De mes cheveux
De mes rides
De mon histoire
De mes secrets?

Que faire de ma face d'indienne?

 

De mes esprits
De la force
De mon Tupã*
De mes cercles?

Que faire de ma face d'indienne?

De mon Toré*
De mon sacré
De mes cabôcos*
De ma terre?

Que faire de ma face d'indienne?

De mon sang
De ma conscience
De ma lutte?
De nos enfants?

Brésil, que faire de ma face d'indienne?

Je ne suis pas violence
Ou stupre
Je suis histoire
Je suis cunhã*
Entrailles brésiliennes
Vent sacré
Peuple brésilien
Ventre qui a enfanté
Le peuple brésilien
Aujourd'hui, il est seul...
Le ventre de la mer féconde
Et les cantiques qu'autrefois elle chantait
Sont aujourd'hui des cris de guerre
Contre le massacre immonde



*Tupã : nom du tonnerre en tupi, entité divine de la mythologie tupi-guarani.
*Torée : danse sacrée des Potiguaras, ethnie tupi-guarani vivant principalement de nos jours dans l'État de Paraíba, au nord-est du Brésil.
*Cabôcos : variante des caboclos qui peut désigner les indigènes purs ayant des contacts avec les blancs, ou, la plupart du temps, les métisses, issus d'unions entre blancs et indigènes.
*Cunhã : en tupi-guarani signifie "langue déliée" ; désigne généralement la femelle des animaux ; en Amazonie, la femme du caboclos ; dans le Maranhão, une jeune fille métisse ; cela peut être une plante ou une petite tortue...


Eliane Potiguara, in Retendre la corde vocale, Anthologie de la poésie brésilienne vivante, organisée, traduite et présentée par Patrick Quillier, Bacchanales N°55, Revue de la maison de la poésie Rhône-Alpes, Le temps des cerises
.

 

 

 

 

Pascal QUIGNARD

choix Dominique Zinenberg

 

 

Parapluies, paletots, manteaux,

gabardines pâles du printemps,

gros pardessus d’hiver au col de martre ou bien de zibeline,

pèlerines au col de renard,

chapeaux haut de forme, casquettes de fourrure, gants de cuir,

grosses écharpes patiemment tricotées,

chacun de vous tous, vous avez votre chant.

C’est une susurration ou un frêle bruissement à chaque fois singulier qui se propagent dans le couloir et parviennent jusqu’au salon,

un son rapide qui se glisse entre les étoffes,

une dissonance particulière, chuintante, qui naît entre les laines et les feutres,

qui siffle sur les cirés noirs lisses, ou plus jaunes et huileux,

qu’étouffent les peaux des bêtes mortes et les dépouilles des lapins cousues et rapiécées les unes sur les autres. (p. 20)

 

 

Parfois ce sont les souvenirs qui interrompent la mémoire.

Parfois l’âme est plus vivante que les traces cruelles.

Parfois un cher visage mort grimpe sur les traits de notre propre visage

et s’attarde

et même se repose.

 

Une main gagne nos mains et on croit voir

les bagues anciennes qui brillent

entre les os des doigts où on les a glissées.

 

Une douleur saute, au-dessus du temps, au fond du ventre,

comme un chat dans l’espace,

qui est tellement meilleure que l’oubli.

Soudain des larmes qui ne sont pas les nôtres

s’écoulent sur nos joues sans que personne les voie

mais toi, toi, tu sais que quelqu’un d’autrefois pleure au fond de toi. (p.80-81)

 

 

Extraits de Dans ce jardin qu’on aimait, Grasset, 2017.

 

 

 

Cristina CAMPO

choix Mireille Diaz-Florian

 

In medio coeli

On sait que la vieillesse, oublieuse souvent d’une si large part de la vie passée, se souvient de l’enfance avec une clarté sans cesse accrue. Et parce qu’il fut dit que l’enfance est le seul chemin vers le royaume des cieux, il semble juste de renoncer à tout autre bien pour cette unique possession- qui s’accomplira sans doute avec la mort.

Même si déjà son esprit chancelle, un vieillard se drape de l’obscur prestige d’un devin dès qu’il commence à parler de ses jeunes années. Autour de lui, la vie tempère son rythme, d’étranges silences s’installent et l’enfant le plus turbulent ne peut alors lui résister. On dirait le vieil homme nanti, en ces instants-là, d’un pouvoir augural. De fait, il est en train d’indiquer à l’enfant un but : non point son propre passé, mais son futur, le futur de sa mémoire d’adulte. Ni l’un ni l’autre ne le savent, si ce n’est par la qualité numineuse d’un propos qui les enveloppe toux deux dans la même fascination. Comme  ils sont simples les mots du vieillard. Et pourtant, à maintes reprises, on entend l’enfant l’interrompre, insister pour en savoir davantage sur la forme de cette fougasse, sur la grandeur de ce jardin, sur la couleur de la robe de son arrière-grand-mère au cours de cette fête ou de cette promenade. Et si de telles questions ne passent pas ses lèvres, s’il n’est pas doué d’attention poétique, il demandera tout de même au vieil homme, en fronçant les sourcils, mais toi, quel âge avais-tu alors ? C’est son effort pour vaincre l’espace, sa peur devant le périple inimaginable qui s’éploie entre lui et cet enfant passé, en attente au fond de son futur. Bambin sans âge, vieillard masqué, pareil aux noirs enfants des icônes. Six ou sept ans, dira le vieux, puis comme dans un répons secret, il ajoutera le même âge que toi, un an de plus peut-être, ou un an de moins. Magie aveugle et parfaite qui tient suspendu autour de deux êtres, comme autour du dormeur de Proust, le fil des heures, l’ordre des jours et des années.

Voyez avec quelle lenteur hypnotique battent les cils d’un enfant qui écoute les souvenirs d’un aïeul ; voyez comme ses lèvres s’entrouvrent, fébriles, tandis qu’une lente salive coule au fond de sa gorge. Tout son corps se serre contre les genoux du vieil homme et ce n’est point la gaieté qui se lit sur son visage. On devine en lui la tension immobile des animaux et des insectes au moment de la mue ou de la métamorphose ; peut-être ressemble-t-il au rossignol, dont on prétend que la température augmente et que le fragile plumage se hérisse quand il chante. En ces instants-là, l’enfant grandit ; il boit avec autant de crainte que de volupté à la fontaine de la mémoire : il s’abreuve d’une eau rutilante et sombre qui donne vie à la perception subtile.

Les objets qu’il désire voir avec tant d’anxiété, il n’est pas sans les connaître, après tout : ils sont autour de lui, à portée de sa main. Pourtant, on dirait que le rapport lui échappe et qu’il ne conçoit rien de commun entre les choses dont lui parle, mettons, sa grand-mère - des choses si simples qu’elles suscitent son effroi, si attirantes qu’elles se dérobent sans cesse - et les objets qu’il touche et voit chaque jour, ceux-là mêmes qu’il retrouvera d’ici peu, une fois le récit achevé ou interrompu.

Il y a quelque chose de brutal, ou peut-être d’animal seulement, dans la promptitude avec laquelle un enfant retourne à ses jeux après l’un de ces intermèdes qui ont suspendu au-dessus de sa tête le mouvement des sphères. Il semblait impossible de le voir quitter ce sortilège sans larmes ni rébellion. Mais comme s’il émergeait d’un songe, à la façon des animaux et des miraculés qui vont en quête de nourriture à l’instant même où ils ouvrent les yeux, il aura tôt fait de dire j’ai faim, et après avoir pris avidement sa part de goûter, c’est à cloche-pied qu’il s’échappera pour la manger ailleurs ; non sans un soupçon d’effronterie, comme si pousser de petits cris ou chanter à tue-tête était une matière d’afficher son détachement. Il se tournera de préférence, alors vers le monde des bêtes, et qu’il tire le chien par le collier ou empoigne le chat, il se jettera avec eux dans une course folle à travers le jardin.

Non pas que l’enfant ne vive dans un rapport parfait avec les objets qui l’entourent.  Au contraire. Immergé dans la grâce d’une sensualité sans défauts, ses mains saisissent l’orange, elles s’enfoncent dans la richesse d’un pelage ou d’une eau vive avec tout l’aplomb d’un ange et la même vélocité. Mais l’enfant ne le sait pas. Il ne pourra le savoir que le jour où sa mémoire se refermera comme un cercle sur ses propres commencements. Le vieux le sait, en revanche. Leur dialogue se déroule entre un jardin où l’on est nu sans le savoir et un vestibule où l’on s’est dénudé.

 

Extrait de Cristina Campo, Les Impardonnables (Traduit de l’italien par Francine de Martinoir, Jean Baptiste Para et Gérard Macé)

 

Cristina Campo est le pseudonyme de Vittoria Guerrini  (1923-1977). Son œuvre, on ne peut plus secrète et raréfiée, se compose de poèmes et de méditations réunies après sa mort, sous le titre Les Impardonnables. Elle est l’auteur de biographies de John Donne, Hugo Von Hofmannsthal, William Carlos William et Simone Weil.

 

 

 

Catherine JARRETT

choix Dana Shishmanian

 

À la pointe de nuit cette goutte de sang

Je pense à cette marche

à ce pas de marcheur

de grimpeur

à cet éloignement

 

à l’absence de temps

à la marche immobile

de lui que je ne vois

qui échappe en paroles

inutiles bouffantes

corolle de broussailles

que la main n’atteint pas

 

je pense à eux

de dos

immobiles

et pour l’éternité de quelques vies sur terre

mais la terre se brise

à la nuit

 

y a-t-il du vent devant la roche rouille

y avait-il un rire un regard

 

je la vois

dans ses éclats d’enfance

elle

un peu trop

mais d’elle à moi un barbelé

déjà de discordance

à un bras elle suspend sa confiance

 

ils marchent ne marchent

elle marche ne marche

ciel mauve

et aux hoquets du soir ne cède

ambre la mer

violet le ciel

la folie purpurine avance

gicle mémoire

sur le thorax mine de plomb

grenaille pluie de feu avalanche

 

ne se retourne

ne se retournent

 

à la pointe de nuit

cette goutte de sang

sur mes yeux

 

 

Extrait du recueil Ni absence ni ombre,

Jacques Renou, l’Atelier de Groutel, septembre 2017

 

 

 

Randrianarivelo RUFIN

choix Éliette Vialle

 

Poème de guitare

Un bon vieux mur sec
Un vieux assoiffé
Tout seul en panique
Dans...
Une boue de sang
En...
Couleur de ténèbres
Dans un lourd soupir
Bien arrangé
Et bien tressé....

Le tout incendiant
Les orties des sentiments
Et le reste
Embrasant
L'âme de bois
Foudroyé
L'esprit des pierres
Dynamitées..

Voilà ce qu'est le mur
Un bon vieux rempart
Pilier de mes forces
Juvéniles d'antan
Ailes de mon ciel
Du coeur étroit
Pluri- dimensionnel

Un bon vieux mur
Sec et écroulé
Ecroulant les vagues
De mes poèmes enfuis


Randrianarivelo Rufin
Poète de Tananarive Madagascar

 

 

Emile Nelligan

choix Gertrude Millaire

 

 Soir d'hiver 

Ah! comme la neige a neigé!

Ma vitre est un jardin de givre.

Ah! comme la neige a neigé!

Qu'est-ce que le spasme de vivre

À la douleur que j'ai, que j'ai!

 

Tous les étangs gisent gelés,

Mon âme est noire: Où vis-je? Où vais-je?

Tous ses espoirs gisent gelés:

Je suis la nouvelle Norvège

D'où les blonds ciels s'en sont allés.

 

Pleurez, oiseaux de février,

Au sinistre frisson des choses,

Pleurez, oiseaux de février,

Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,

Aux branches du genévrier.

 

Ah! comme la neige a neigé!

Ma vitre est un jardin de givre.

Ah! comme la neige a neigé!

Qu'est-ce que le spasme de vivre

À tout l'ennui que j'ai, que j'ai!...

 

Emile Nelligan poète québécois


Coup de cœur

choix François Minod

choix Dominique Zinenberg

choix Mireille Diaz-Florian

choix Dana Shishmanian

choix Gertrude Millaire

choix Éliette Vialle

 

Francopolis novembre 2017