choix François Minod
Que faire de cette face indienne?
De mes cheveux
De mes rides
De mon histoire
De mes secrets?
Que faire de ma face d'indienne?
De mes
esprits
De la force
De mon Tupã*
De mes cercles?
Que faire de ma face d'indienne?
De mon Toré*
De mon sacré
De mes cabôcos*
De ma terre?
Que faire de ma face d'indienne?
De mon sang
De ma conscience
De ma lutte?
De nos enfants?
Brésil, que faire de ma face d'indienne?
Je ne suis pas violence
Ou stupre
Je suis histoire
Je suis cunhã*
Entrailles brésiliennes
Vent sacré
Peuple brésilien
Ventre qui a enfanté
Le peuple brésilien
Aujourd'hui, il est seul...
Le ventre de la mer féconde
Et les cantiques qu'autrefois elle chantait
Sont aujourd'hui des cris de guerre
Contre le massacre immonde
*Tupã : nom
du tonnerre en tupi, entité divine de la mythologie tupi-guarani.
*Torée : danse sacrée des Potiguaras, ethnie
tupi-guarani vivant principalement de nos jours dans l'État de Paraíba, au
nord-est du Brésil.
*Cabôcos : variante des caboclos qui peut
désigner les indigènes purs ayant des contacts avec les blancs, ou, la
plupart du temps, les métisses, issus d'unions entre blancs et indigènes.
*Cunhã : en tupi-guarani signifie "langue
déliée" ; désigne généralement la femelle des animaux ; en Amazonie,
la femme du caboclos ; dans le Maranhão, une jeune fille métisse ; cela
peut être une plante ou une petite tortue...
Eliane Potiguara,
in Retendre la corde vocale, Anthologie de la poésie brésilienne
vivante, organisée, traduite et présentée par Patrick Quillier, Bacchanales
N°55, Revue de la maison de la poésie Rhône-Alpes, Le temps des cerises.
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choix Dominique Zinenberg
Parapluies, paletots, manteaux,
gabardines pâles du printemps,
gros pardessus d’hiver au col de martre ou bien de zibeline,
pèlerines au col de renard,
chapeaux haut de forme, casquettes de fourrure, gants de cuir,
grosses écharpes patiemment tricotées,
chacun de vous tous, vous avez votre chant.
C’est une susurration ou un frêle
bruissement à chaque fois singulier qui se propagent dans le couloir et parviennent
jusqu’au salon,
un son rapide qui se glisse entre les
étoffes,
une dissonance particulière,
chuintante, qui naît entre les laines et les feutres,
qui siffle sur les cirés noirs lisses,
ou plus jaunes et huileux,
qu’étouffent les peaux des bêtes
mortes et les dépouilles des lapins cousues et rapiécées les unes sur les
autres. (p. 20)
Parfois ce sont les souvenirs qui
interrompent la mémoire.
Parfois l’âme est plus vivante que les
traces cruelles.
Parfois un cher visage mort grimpe sur
les traits de notre propre visage
et s’attarde
et même se repose.
Une main gagne nos mains et on croit
voir
les bagues anciennes qui brillent
entre les os des doigts où on les a
glissées.
Une douleur saute, au-dessus du temps,
au fond du ventre,
comme un chat dans l’espace,
qui est tellement meilleure que
l’oubli.
Soudain des larmes qui ne sont pas les
nôtres
s’écoulent sur nos joues sans que personne les voie
mais toi, toi, tu sais que quelqu’un
d’autrefois pleure au fond de toi. (p.80-81)
Extraits de Dans ce jardin qu’on aimait, Grasset, 2017.
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choix Mireille Diaz-Florian
In medio coeli
On sait que la vieillesse, oublieuse souvent d’une si large part de
la vie passée, se souvient de l’enfance avec une clarté sans cesse accrue.
Et parce qu’il fut dit que l’enfance est le seul chemin vers le royaume des
cieux, il semble juste de renoncer à tout autre bien pour cette unique
possession- qui s’accomplira sans doute avec la mort.
Même si déjà son esprit chancelle, un vieillard se drape de l’obscur
prestige d’un devin dès qu’il commence à parler de ses jeunes années.
Autour de lui, la vie tempère son rythme, d’étranges silences s’installent
et l’enfant le plus turbulent ne peut alors lui résister. On dirait le
vieil homme nanti, en ces instants-là, d’un pouvoir augural. De fait, il
est en train d’indiquer à l’enfant un but : non point son propre
passé, mais son futur, le futur de sa mémoire d’adulte. Ni l’un ni l’autre
ne le savent, si ce n’est par la qualité numineuse d’un propos qui les
enveloppe toux deux dans la même fascination. Comme ils sont simples les mots du vieillard.
Et pourtant, à maintes reprises, on entend l’enfant l’interrompre, insister
pour en savoir davantage sur la forme de cette fougasse, sur la grandeur de
ce jardin, sur la couleur de la robe de son arrière-grand-mère au cours de
cette fête ou de cette promenade. Et si de telles questions ne passent pas
ses lèvres, s’il n’est pas doué d’attention poétique, il demandera tout de
même au vieil homme, en fronçant les sourcils, mais toi, quel âge avais-tu alors ? C’est son effort pour
vaincre l’espace, sa peur devant le périple inimaginable qui s’éploie entre
lui et cet enfant passé, en attente au fond de son futur. Bambin sans âge,
vieillard masqué, pareil aux noirs enfants des icônes. Six ou sept ans, dira le vieux, puis comme dans un répons
secret, il ajoutera le même âge que
toi, un an de plus peut-être, ou un an de moins. Magie aveugle et parfaite qui tient
suspendu autour de deux êtres, comme autour du dormeur de Proust, le fil
des heures, l’ordre des jours et des années.
Voyez avec quelle lenteur hypnotique battent les cils d’un enfant
qui écoute les souvenirs d’un aïeul ; voyez comme ses lèvres s’entrouvrent,
fébriles, tandis qu’une lente salive coule au fond de sa gorge. Tout son
corps se serre contre les genoux du vieil homme et ce n’est point la gaieté
qui se lit sur son visage. On devine en lui la tension immobile des animaux
et des insectes au moment de la mue ou de la métamorphose ; peut-être
ressemble-t-il au rossignol, dont on prétend que la température augmente et
que le fragile plumage se hérisse quand il chante. En ces instants-là,
l’enfant grandit ; il boit avec autant de crainte que de volupté à la
fontaine de la mémoire : il s’abreuve d’une eau rutilante et sombre
qui donne vie à la perception subtile.
Les objets qu’il désire voir
avec tant d’anxiété, il n’est pas sans les connaître, après tout : ils
sont autour de lui, à portée de sa main. Pourtant, on dirait que le rapport
lui échappe et qu’il ne conçoit rien de commun entre les choses dont lui
parle, mettons, sa grand-mère - des choses si simples qu’elles suscitent
son effroi, si attirantes qu’elles se dérobent sans cesse - et les objets
qu’il touche et voit chaque jour, ceux-là mêmes qu’il retrouvera d’ici peu,
une fois le récit achevé ou interrompu.
Il y a quelque chose de brutal, ou peut-être d’animal seulement,
dans la promptitude avec laquelle un enfant retourne à ses jeux après l’un
de ces intermèdes qui ont suspendu au-dessus de sa tête le mouvement des
sphères. Il semblait impossible de le voir quitter ce sortilège sans larmes
ni rébellion. Mais comme s’il émergeait d’un songe, à la façon des animaux
et des miraculés qui vont en quête de nourriture à l’instant même où ils
ouvrent les yeux, il aura tôt fait de dire j’ai faim, et après avoir pris avidement sa part de goûter,
c’est à cloche-pied qu’il s’échappera pour la manger ailleurs ; non
sans un soupçon d’effronterie, comme si pousser de petits cris ou chanter à
tue-tête était une matière d’afficher son détachement. Il se tournera de
préférence, alors vers le monde des bêtes, et qu’il tire le chien par le
collier ou empoigne le chat, il se jettera avec eux dans une course folle à
travers le jardin.
Non pas que l’enfant ne vive dans un rapport parfait avec les objets
qui l’entourent. Au contraire.
Immergé dans la grâce d’une sensualité sans défauts, ses mains saisissent
l’orange, elles s’enfoncent dans la richesse d’un pelage ou d’une eau vive
avec tout l’aplomb d’un ange et la même vélocité. Mais l’enfant ne le sait
pas. Il ne pourra le savoir que le jour où sa mémoire se refermera comme un
cercle sur ses propres commencements. Le vieux le sait, en revanche. Leur
dialogue se déroule entre un jardin où l’on est nu sans le savoir et un
vestibule où l’on s’est dénudé.
Extrait de Cristina Campo, Les Impardonnables (Traduit de
l’italien par Francine de Martinoir, Jean
Baptiste Para et Gérard Macé)
Cristina Campo est le pseudonyme de Vittoria Guerrini (1923-1977). Son
œuvre, on ne peut plus secrète et raréfiée, se compose de poèmes et de
méditations réunies après sa mort, sous le titre Les Impardonnables. Elle est l’auteur de biographies de John
Donne, Hugo Von Hofmannsthal, William Carlos William et Simone Weil.
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choix Dana Shishmanian
À
la pointe de nuit cette goutte de sang
Je pense à cette marche
à ce pas de marcheur
de grimpeur
à cet éloignement
à l’absence de temps
à la marche immobile
de lui que je ne vois
qui échappe en paroles
inutiles bouffantes
corolle de broussailles
que la main n’atteint pas
je pense à eux
de dos
immobiles
et pour l’éternité de quelques vies
sur terre
mais la terre se brise
à la nuit
y a-t-il du vent devant la roche
rouille
y avait-il un rire un regard
je la vois
dans ses éclats d’enfance
elle
un peu trop
mais d’elle à moi un barbelé
déjà de discordance
à un bras elle suspend sa confiance
ils marchent ne marchent
elle marche ne marche
ciel mauve
et aux hoquets du soir ne cède
ambre la mer
violet le ciel
la folie purpurine avance
gicle mémoire
sur le thorax mine de plomb
grenaille pluie de feu avalanche
ne se retourne
ne se retournent
à la pointe de nuit
cette goutte de sang
sur mes yeux
Extrait du
recueil Ni absence ni ombre,
Jacques Renou,
l’Atelier de Groutel, septembre 2017
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choix Éliette Vialle
Poème de guitare
Un bon vieux mur sec
Un vieux assoiffé
Tout seul en panique
Dans...
Une boue de sang
En...
Couleur de ténèbres
Dans un lourd soupir
Bien arrangé
Et bien tressé....
Le tout incendiant
Les orties des sentiments
Et le reste
Embrasant
L'âme de bois
Foudroyé
L'esprit des pierres
Dynamitées..
Voilà ce qu'est le mur
Un bon vieux rempart
Pilier de mes forces
Juvéniles d'antan
Ailes de mon ciel
Du coeur étroit
Pluri- dimensionnel
Un bon vieux mur
Sec et écroulé
Ecroulant les vagues
De mes poèmes enfuis
Randrianarivelo Rufin
Poète de Tananarive Madagascar
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choix Gertrude Millaire
Soir
d'hiver
Ah! comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin
de givre.
Ah! comme la neige a
neigé!
Qu'est-ce que le spasme
de vivre
À la douleur que j'ai,
que j'ai!
Tous les étangs gisent
gelés,
Mon âme est noire: Où
vis-je? Où vais-je?
Tous ses espoirs gisent
gelés:
Je suis la nouvelle
Norvège
D'où les blonds ciels
s'en sont allés.
Pleurez, oiseaux de
février,
Au sinistre frisson des
choses,
Pleurez, oiseaux de
février,
Pleurez mes pleurs,
pleurez mes roses,
Aux branches du
genévrier.
Ah! comme la neige a
neigé!
Ma vitre est un jardin
de givre.
Ah! comme la neige a
neigé!
Qu'est-ce que le spasme
de vivre
À tout l'ennui que j'ai,
que j'ai!...
Emile Nelligan
poète québécois
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Coup
de cœur
choix
François Minod
choix
Dominique Zinenberg
choix
Mireille Diaz-Florian
choix
Dana Shishmanian
choix
Gertrude Millaire
choix
Éliette Vialle
Francopolis novembre 2017
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