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Coup de cœur : Archives

(2010-2017)

Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur

(un tableau de Bruno Aimetti)

 

À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes,
d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poème Coup de Cœur du Comité

Novembre-Décembre 2020

 

Gérard Mottet, choix Dominique Zinenberg

Jean-Claude Crommelynck, choix Éliette Vialle

Danielle Fournier, choix François Minod

Jeanne Benameur, choix Mireille Diaz-Florian

Marie-Lise Corneille, choix Dana Shishmanian

 

 

 

 

 

Gérard Mottet

choix Dominique Zinenberg

 

Empreintes

 

Quand dans les flaques de pluie

se reflètent de vastes ciels bleus

 

les oies blanches se souviennent

 

  des voyages au long vols

que leurs ancêtres ont accomplis

 

 

  comme se souviennent les violons

du chant des arbres dont ils sont nés.

 

 

Pêcheur d’aurores

 

Pêcheurs d’aurores miraculeuses

  j’ai lancé mes rêves insensés

 

  tels des filets déchirés

sur les reflets de la mer.

 

 

Les yeux de ton âme

 

Les yeux de ton âme te portent

  au-delà de tout horizon

 

comme ces fougueux cavaliers

 

    qui continuent à galoper

sur leurs chevaux pris dans les glaces

 

 

Récitatif

 

Refoulé par les flots

  le coquillage vide

 

en son enroulement

 

murmure pour lui seul

l’absence de la mer.

 

 

Extraits de Ô combien cela te ressemble,

éditions Unicité, 2019 (18€)

 

 

 

Jean-Claude Crommelynck

choix Éliette Vialle

 

 

851 Paix profonde

Frémissent les rondes feuilles de grands nénuphars

sur le calme des eaux caressées

par les longues larmes des saules

Un saut de carpe argentée

vient troubler la quiétude et s’étend

dans les ronds de l’onde qui atteignent les berges

Une libellule est venue se poser sur les pétales d’un lotus rosé

Les pieds rafraîchis chatouillés par les algues

assis sur le bord humide de l’étang

je goûte à cette paix profonde

où nul bruit de guerre n’a encore pénétré

 

©CeeJay.

FaceBook, 30 octobre 2020

 

Texte qui s’avère prémonitoire, et qu’Eliette avait choisi et proposé une vingtaine de jours avant la disparition du poète le 20 novembre

 

 

 

Danielle Fournier

choix François Minod

 

 

nous ne parlons pas la même langue

nous avons perdu de vue qui nous
étions, ce que nous aurions pu être

je vous suis

vous ne me reconnaissez pas

devant moi, hostile

je ne guette rien, nous habitons des
univers dynamités; nous nous ressemblons,
à un détail près, les rues
fuient en

parfois, vous ne savez plus où vous
êtes, je me coiffe de boue

sans doute, nous aimions-nous, malgré
la haine, ce passage obligé

avec personne

vint Soie; je ne trouve d'autre nom que Soie exas-
pérée par les mots des hommes, j'implore mainte-
nant ceux des oiseaux - Soie s'entretient avec eux,
dénoue les corps qui la hante

le désir et sa dérive évoquent des hêtres au bord de
la source : cela allait, un jour, me mener à cet anéantissement; détachée, Soie traduit les métamor-
phoses des amants échoués sur les rives du fleuve;
anéantie, du matin au soir et du soir au matin,
devant l'Éternel, je ne survis ni ne franchis le mur
opaque, le dehors et le dedans

enflammée

nous sommes l'avenir du monde. le passé rattrapé
par le présent. ils rencontrent la beauté

quand ce mot beauté coule jusqu'à ma poitrine, ne
suis plus que sein, sexe

je parcours le creux des chairs; flâne et divague
dans une ville invisible; vais jusqu'au bout; devine
l'odeur poussiéreuse des friperies; le parfum des fleurs, celui des charcuteries,, des fruits et légumes
posés sur des étals, à même le trottoir; le bruit des
noix, du riz, des fèves qui se choquent quand on se sert de la grosse cuiller en métal; le sifflement des sirènes, des Klaxons; des voix et des accents, je sursaute, frémis, quand vient, d'on ne sait où,
Une bicyclette

un jeune homme me sourit en courant au rythme
d'une musique que lui seul entend; je marche
jusqu'à en avoir mal aux os, les miens et ceux de

Soie, ce nom

une ville sans mot


Extraits de effleurés de lumière,

Éditions de l'Hexagone, Montréal, Québec, 2009
 

Danielle Fournier est une poétesse, romancière, écrivaine, essayiste québécoise. Auteure de nombreux recueils de poésie, elle a été lauréate du prix littéraire du Gouverneur général (Conseil des Arts du Canada catégorie poésie) pour son ouvrage « effleurés de lumière).

 

 

 

Jeanne Benameur

choix Mireille Diaz-Florian

 

Je touche les lettres du bout de mes doigts. Il n’y a plus de sens.

Je contemple ce qui a été écrit et mon cœur bat plus vite da

dans ma poitrine. Mon cœur dit qu’il n’y a plus de sens.

Tout à l’heure j’ai jeté dans le vent des morceaux du livre.

Puisqu’il n’y a plus de sens, que le vent emporte les signes,

les fasse tournoyer. Ah si chaque mot était un oiseau qui

retournait au nid.

 

J’ai grandi.

Est-ce que les lieus où l’on grandit font de nous qu’on leur

appartient.

 

J’ai rêvé d’une maison qui tiendrait toutes mes questions

sous son toit.

une maison de silence doux pour chaque geste

J’ai rêvé d’un visage pour me dire

l’ombre et la lumière

un corps

pour appuyer

mon corps.

 

 

Et j’ai lu.

Dans mon livre, j’ai lu.

 

Et j’ai su que personne ne veille

sur les pas

de celle qui lit.

 

Je suis partie

Je ne suis les traces de personne.

Personne n’en a laissé.

 

Quand j’étais petite

La nuit se tenait devant notre porte

et elle chantait d’étranges chants.

Pour les oiseaux qu’on ne voit pas.

Pour les pierres du chemin.

La nuit chantait

et moi

je dormais ou je veillais ?

Est-ce que je rêvais ?

 

 

Est-ce que je suis seule à entendre

le chant de la nuit sur la terre

aux portes des maisons ?

 

Qui berce le sommeil de ceux qui rêvent ?

 

La nuit a été une voix

qui m’a gardée

de toutes peurs.

 

Et puis la nuit s’est tue

Et je suis restée seule.

 

Je suis sortie sur le seuil de la maison

J’ai appelé très doucement

Aucun son ne m’a répondu.

Dans ma poitrine

l’écho.

 

Assise sur le seuil

j’ai pleuré.

J’ai attendu le matin.

Et rien.

 

La nuit s’était tue pour toujours.

Je suis partie.

 

 

Extrait de L’exil n’a pas d’ombre,

Éditions Bruno Doucey

      

 

 

Marie-Lise Corneille

choix Dana Shishmanian

 

Douleur du repos

Le repos frôle l’obscur

Nomme les racines de l’être

 

Où niche

 

Un nom secret

Un nom d’appel

Un nom de désir

 

Futur de soi

Dans l’éternité du temps

 

Fardeau

Le ciel sur l’horizon plat

Décharge un fardeau qui s’enterre

Dans la rigueur des labours.

 

Au loin, il effleure

En foulées d’ange

La chair houleuse des océans

 

Pensée

Entre le corps

Et la mort

 

La pensée

 

Joie

La joie est nudité

Du malheur

 

Abîme joie

L’abîme est la racine de la joie

 

 

Extraits du recueil Clameurs d’encre,

Éditions Unicité, 2020

 

 

 


Coup de cœur

Gérard Mottet, choix Dominique Zinenberg

Jean-Claude Crommelynck, choix Éliette Vialle

Danielle Fournier, choix François Minod

Jeanne Benameur, choix Mireille Diaz-Florian

Marie-Lise Corneille, choix Dana Shishmanian

 

Francopolis novembre-décembre 2020