http://www.francopolis.net/rubriques/placefrancophone.jpg


ACCUEIL


Coup de cœur : Archives

(2010-2017)

Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur

 

http://www.francopolis.net/images/41.jpg

 

(un tableau de Bruno Aimetti)

 

À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes,
d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poème Coup de Cœur du Comité

OCTOBRE 2017

 

Richard Rognet, choix François Minod

Guy Goffette, choix Dominique Zinenberg

Pierre Bergounioux, choix Mireille Diaz-Florian

Eric Chassefière, choix Dana Shishmanian

Michel Baudry, choix Éliette Vialle

Herménégilde Chiasson, choix Gertrude Millaire

 

 

 

Richard ROGNET

choix  François Minod

En vain le poème

Aujourd’hui je m’accuse

d’admettre un bonheur

qui voulut abolir

songes creux et chimères.

 

Prince de la solitude,

antécédent du silence,

il fallait le rester

et ne jamais choisir

le poème témoin

d’un fatal équilibre.

 

Trop de mots bien placés

nuisent à l’incertitude,

au soleil monotone

des ruines qui m’aspirent.

 

Mots espérés pourtant,

attendus, réponse à tout,

mots que l’instant questionne

sans risquer l’existence.

 

Il faudrait que tout manque

lorsqu’on vient de tout dire,

revenir en arrière

dans la volupté noire

d’un alphabet meurtri

qui ne s’ordonne pas.

 

Aujourd’hui, au déclin

de ma vie trop visible,

j’étrangle mon poème   :

je veux voir à l’intérieur,

les passagers confus

qui me frôlent, se taisent.

 

 

Ricard Rognet, Poèmes pour Norma Bousquet,

Le cherche midi éditeur, 1995

 

Richard Rognet est un poète français, auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels : Le transi, Je suis cet homme, Lutteur sans triomphe, Le promeneur et ses ombres, Élégies pour le temps de vivre. Il a reçu, entre autres, le prix Max Jacob, Apollinaire, Louise Labbé et le Grand prix de la poésie de la Société des gens de Lettes.

 

 

 

 

Guy GOFFETTE

choix Dominique Zinenberg

 

Passant comme la pluie 

I

Va, tu peux bien marcher des mille et des mille,

affranchir les mers, saisir au bond

 

les raccourcis de la lumière que tissent

l’enfance dans le noir, les chiens

 

perdus, l’amoureuse au creux des larmes ;

tu peux bien lester ton corps

 

avec le chant du merle, débaucher un nuage

plus vif, l’attacher à ton front,

 

tu resteras toujours, quoi que tu fasses

ou dises, celui qui ne sait pas

 

partir, et qui s’en va quand même

barboter un peu du côté des collines

 

dans le bleu qui s’exalte, s’exalter

avec lui parce qu’une feuille, un brin

 

d’herbe folle arrachée à la glèbe

grimpe dans le soleil et relève un instant

 

toute chair, toute chute

de l’oubli et du maigre gésir.

 

 

II

 

Mais que cherchais-tu donc qui ne fût pas

le vent debout, ni le ressac d’enfance

dans les soirs gris, ni le redoublement

du vertige d’aimer

 

une autre terre que celle-ci, un autre

ciel, un autre temps ? Que cherchais-tu

sur la route que tu n’aies pas trouvé déjà

dans l’herbe familière

 

et déjà reperdu, bague de rosée ou signe

qu’un homme allant à son pas t’a laissé

sur la vitre avant de disparaître,

ouvrant entre les arbres

 

un puits où la lumière se nourrit de tes yeux.

 

 

III

 

Peut-être fallait-il simplement partir

comme ceux qui disent adieu et s’enfoncent

 

plus avant que la nuit dans leur ombre,

être un de ces amants de bois

 

devant les larmes de l’aimée,

qui remballent en vrac le cœur dans sa chemise

 

avec les îles enchantées  - à la dérive,

et les couteaux de miel, et les promesses,

 

être et partir, l’âme étrangère,

et non pas comme ici rapiécer sans fin

 

des voiles anciennes  - images d’un bonheur

qui a tourné comme les chemins,

 

à cause d’une pierre, d’un arbre, d’un pan

de légende qui traversait ton champ

 

et l’empêchait d’aller à ta rencontre.

 

 

IV

 

Qui je suis, je l’ignore. Celui

qui marche dans mes jambes

a le poids d’une feuille interrogeant

la brise, et s’il joue

 

dans les bras d’une femme

à brûler les vieilles peurs,

c’est une lampe qui ne voit rien

dans le tunnel creusé

 

entre les flancs de l’insomnie,

rien qui le console d’attendre

le réveil de ce corps

traversé par l’inconnu qui dit je

 

avec la bouche d’un autre.

 

 

V

 

Passent comme la pluie et passant comme tout ce qui passe ici …

 

-                                                                                       mais qui parle, qui

parle donc ainsi, à toute heure,

 

entre les bras du noyer, contre les portes

et sur la page où tu t’entêtes

 

à ravauder ta vie avec des ailleurs, des

toujours, des encore tandis que la nuit vient

 

et toutes les fatigues. Le café a froidi,

tu n’as pas vu sombrer les neiges,

 

l’enfant grandir, le chien s’en aller

et c’est à peine si tu peux lire encore

 

les signes que ta main a tracés

et qu’une autre, invisible dans l’ombre,

 

détourne et fait doucement bruire

comme en passant sur les vitres

 

la pluie qui va tournant la page

du ciel et de la terre.

 

Dans Le pêcheur d’eau,  Guy Goffette, poésie Gallimard (1995)

 

 

Pierre BERGOUNIOUX

choix Mireille Diaz-Florian

 

 

Vous faire partager ce début du roman de Pierre Bergounioux, sans doute un des plus grands écrivains contemporains, est d’abord, pour moi, ce plaisir de copier le texte, de sentir sous mes doigts la plasticité de cette langue, sa beauté. Surtout la description hypnotique de cette fuite nocturne dans les bois, avec les terreurs sublimes de l’enfance.

C’est enfin vous inciter à lire : La Bête faramineuse.

Mireille Diaz-Florian

 

            

            Nous savions bien qu’elle ne dirait pas non, qu’elle ne pourrait pas nous empêcher de replonger dans l’eau bleutée du soir, à la porte ouverte, où elle avait laissé la grande valise noire et le carton à chapeau pour saluer grand-père, l’ombre indécise dans la pénombre du vestibule.

         À cet instant encore, mais nous ne savions pas. C’est moi qui ai demandé, vite, sans réfléchir et c’est à peine si j’ai écouté maman, si je l’ai regardée quand elle m’a dit que la nuit tombait, que nous devrions plutôt. J’avais déjà cessé de la voir, son visage chaviré de tristesse, de joie triste, de sentiments qu’on n’a pas, d’abord, que le sort nous épargne, trop compliqués, trop cruels, et dont je devinais, avec l’instinct divin du premier âge, qu’on devait profiter. Ils nous rendaient un court instant diaphanes et sans poids, à nous-mêmes en quelque sorte, à ce qu’on est- ou n’est pas - à onze ans et j’esquissais déjà le premier pas vers le crépuscule.

         Nous avons esquivé les obstacles semés sur toute la profondeur de vestibule, les deux petites valises, Paul qui dormait debout, les yeux ouverts, tante Nine qui nous avait ramenés de la gare avec la Traction de grand-père, la jarre aux parapluies, le carton rond, la grande valise noire et nous avons fait irruption dans la paix souveraine du soir. Nos cris qui remplissaient le vestibule jusqu’au plafond se sont perdus sous la haute coupole taillée dans la nue, deux fils minces, dérisoires, que nous avons traînés à notre suite tout au long de l’allée de gravier, puis délaissés tant ils étaient devenus peu de chose soudain. Michel m’avait rattrapé et nous courions à la même hauteur, beaucoup plus vite que nous n’avions jamais couru, comme si l’air plus frais, la lumière recueillie nous avaient lavés de notre poids diurne, de la fatigue du voyage. Le clapotis du gravier a cessé. Nous avions quitté le jardin. Nous avons senti l ‘énorme compacité du globe, sous la route.

         Là ! Le fil bref, arachnéen a flotté sous la coupole. J’ai vu le doigt de Michel au bout de son bras et un peu plus loin, un peu trop haut pour nous, le bâtonnet vrombissant, le cerf volant, debout, les pinces ouvertes, dérivant sous le jet dru, luisant, des branches de chêne. Mais nous l’avions déjà dépassé, emportés, soulevés par la terre sourde, complice. Nous avons escaladé le talus et nous nous sommes enfoncés du même souffle long, égal, dans la vapeur rousse de la pessière.

         La tache claire, mobile, de Michel disparaissait tous les quatre pas et renaissait aussitôt du fût rectiligne et nu qui l’avait escamotée, entre la natte brune et le dais noir des branches, un peu au-dessus de nos têtes. Nous glissions, insaisissables, irrésistibles, dans l’étranglement obscur vers le précieux liséré couleur d’aigue-marine où commençait le bout du monde.

 

            Nous avions franchi sans y penser la lisière où l’année d’avant et l’autre encore, depuis le commencement, l’univers finissait avec la disparition du soleil. Ou si nous y avons pensé, nous appartenions sans préavis à cet âge où l’on accède, aussi, aux bois du soir, de sorte que c’est du même élan que nous gravissions en longues foulées faciles la rampe douce, feutrée, sous la colonnade, remettant à plus tard d’évoquer les limites reculées de la création, les terres inconnues qui avaient surgi depuis que la Noël nous avait réunis puis séparés, Michel et moi. J’étais sans doute, moi aussi- j’y ai songé soudain-, une pâleur que les fûts de bronze interceptaient tous les quatre pas. Mes jambes maigres m’entrainaient vers l’autre bord, l’orée limpide où le monde recommençait, mais différemment, et j’ai poussé sur elles sans que Michel, la blancheur mobile qui me précédait, se rapproche, comme si au même instant, au milieu de la frange muette, la même certitude lui était venue, la même urgence aiguë. Nous avons franchi   du même bond l’arbre abattu. La tache rapide, devant, a passé au vert. j’ai surpris, une seconde, les détails de l’écorce de l’épicéa qui allait l’escamoter puis elle a resurgi, claire, décolorée, entre les troncs lisses et nous avons poursuivi notre course ascendante.

             Ils avaient sûrement allumé les lampes, en bas. Maman devait coucher Paul, avec ce regard inhabituel que j’avais surpris, dont nous avions profité. Lorsque je croyais la revoir, dans la durée séparée, plus lente, où baignaient la maison et le jardin, je glissais moins bien. Il y avait autre chose, encore. Nous n’étions plus seuls, maintenant, sous le dais bas. Je cherchais du coin de l’œil, d’autres taches, mais sombres, celles-ci, presque immobiles entre les arbres, là où l’instant d’avant il n’y avait rien que l’air bistre, le vide. Michel s’éloignait- la chemisette, les semelles des sandales qui voletaient au ras du feutrage élastique. J’ai appuyé plus fort sur mes jambes parce qu’à cette distance, déjà, c’était comme si j’avais été seul, que les barrières que nous avions bousculées sans même y penser, à deux, se fussent redressées sur notre passage. J’ai failli appeler. Si je ne l’ai pas fait, c’est que j’avais onze ans.

 

 

Eric CHASSEFIÈRE

choix Dana Shishmanian

 

Déplacement 1

De longs corridors d’arbres

paupières ensemencées de vitesse

une buée de lumière

qui par instants envoie le gris

d’un lieu inconnu

creusé dans la falaise d’une frondaison

le ciel peu à peu s’éclaircit

apparaissent différents plans de nuages

une ondulation de prairies désertes

quelque part un chemin miroite

 

Déplacement 2

Le train fend la nuit

la sourde vibration

naît au fond du corps

roule entre les os

entre dans le caillou de la parole

ramassé au fond de la gorge

fait éclater les cris anciens

murmurer les peurs profondes

s’émerveiller le vent silencieux

qui a traversé les tempes

de la sonorité d’une pierre

ou d’un arbre

nous nous enfonçons en nous-mêmes

nous voyageons âme rivée au corps

vers un inaccessible ici

 

Déplacement 5

Un train glisse quelque part

sur la mer de la nuit

lui son regard flotte

dans le vide parmi les masques

les grandes façades aveugles

de la ville de son enfance

où le train a marqué l’arrêt

défilent encore devant ses yeux

il voit les rares fenêtres éclairées

les lampes dans des salles sombres

où l’on distingue aucune vie

la pierre du parapet pendant l’arrêt

baignée d’une lumière bleue

ces venues longeant la voie

dont il n’a rien reconnu

l’image de la ville traversée

met longtemps à se dissiper

le train vibre dans son corps

il ferme les yeux pour se souvenir

 

Extraits du recueil La présence simple des choses,

L’Harmattan, juin 2017

 

 

 

 

Michel BAUDRY

choix Éliette Vialle

 

Le Train

 

J’aime regarder les rails de la ligne opposée lorsque le train m’emporte vers de nouvelles destinations. Ils sont les témoins muets de multiples histoires chargées d’émotions. Ils résistent à la végétation alentour comme ils survivent aux hommes et femmes qu’ils ont conduits vers leur destinée.

Combien de gels, de tempêtes, d’orages et de canicules ont-ils écumé ?

Et combien d’histoires d’amour, financières ou politiques et policières sur eux se sont déroulées ? Parfois ils côtoient et croisent les routes qui ne sont pas avares en récits pour qui sait les écouter. Selon la vitesse, ces tronçons de métal luisant poli par l’assise des roues semblent former deux lignes continues toujours parallèles, celles de la vie, inépuisable source d’aventure. Il est ô combien aisé pour peu que l’on soit inspiré, d’imaginer une demoiselle en peine de cœur rencontrant par hasard un homme propice à l’amour dans un train à destination d’un pays lointain.

Un nouveau couple qui, bon gré ou mal gré, se formera. Parfois, un tunnel ou un pont vient briser la routine du chant grave des roues qui enchaînent interminablement les rails. C’est l’été, de la fenêtre du wagon j’aperçois des champs à perte de vue, des tracteurs qui sillonnent et récoltent, des demeures gigantesques de naguère, nids fertiles, elles aussi de mon imaginaire, des taillis et des châteaux d’eau sous un ciel bleu peignent ce paysage insaisissable car sans cesse il se transforme.

Le train ralentit, puis s’arrête en douceur. Je descends sur le quai, c’est hélas déjà la fin de ma rêverie.

 

 

Herménégilde CHIASSON,

poète acadien

choix Gertrude Millaire

 

Outremer

Je resterai avec vous jusqu’à l’heure émouvante
où votre cœur sera devenu un continent glacé
dans le grand moment perdu de la route.

Lorsque tout se blase et se déforme
dans le regard kodachrome des touristes.
Sur la terre où nous n’avons fait qu’aimer.

J’aurais aimé avoir tes yeux, mon père,
pour regarder la mer, pour sonder l’horizon
jusqu’en ses ineffables et tortueux refuges.

Mais tu ne m’as laissé que des routes
qui s’entremêlent dans les synapses
revêches et cravachées de ma mémoire.
La sonde abîmée d’un voyageur inquiet.

J’aurais aimé avoir tes yeux, ma mère, pour me méfier,
pour regarder dans le ciel mystérieux
où se profilent les conclusions et les indices.

J’aurais voulu avoir ta force
pour cracher sur les évêques,
sur leur manteau de dorure
et sur tous ceux qui nous ont pris au collet
dans nos sentiers chétifs et maladroits.

J’aurais voulu que ma vie soit porteuse
de l’absolue nécessité des choses et des êtres.
De leur urgence et de leur fragilité
dans le ventre de la menace.

Et la mer est restée entre nous
comme un blanc de mémoire interminable,
une statue de sel le long de l’autoroute

https://www.lesvoixdelapoesie.com/poemes/poetes/hermenegilde-chiasson


Coup de cœur

choix Éliette Vialle

choix François Minod

choix Dominique Zinenberg

choix Mireille Diaz-Florian

choix Dana Shishmanian

choix Gertrude Millaire

 

Francopolis octobre 2017