http://www.francopolis.net/rubriques/placefrancophone.jpg


ACCUEIL


Coup de cœur : Archives

(2010-2017)

Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur

 

http://www.francopolis.net/images/41.jpg

 

(un tableau de Bruno Aimetti)

 

À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes,
d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poème Coup de Cœur du Comité

Septembre - octobre 2018

 

André Velter, choix Dominique Zinenberg

Jean-Michel Sananes, choix Éliette Vialle

Jean-Michel Maulpoix et Franck Venaille, choix François Minod

Laurent Vivat, choix Michel Ostertag

Nicole Barrière, choix Dana Shishmanian

Manon Nolin, choix Gertrude Millaire

 

 

 

 

André VELTER

choix Dominique Zinenberg

 

 

L’Oracle de pierres

 

La terre n’en finit pas de naître

de ravins pareils aux blessures du soleil.

La fournaise qui tremble au ras du sol

lève une buée de poussière,

une houle sèche où marcher sur les os.

 

Je vais à contre-soif,

lèvres aiguisées

sous un vent de silex,

dans l’écho violent des mots

que je ne livre pas.

 

Toit du monde,

terre de feu,

exils aimantés aux cœurs des vivants !

Par la vertu du seul silence

je vogue sur vos versants vides.

 

Course aveuglée d’images

dans les sangles des cieux,

blanches cavales noyées

au sang des vagabonds,

les nuages portent l’ombre

d’un message exalté.

 

Roches rouges comme des haches,

ô bourreaux ensevelis !

Sitôt les dieux dilapidés,

l’absence nous ravine.

 

Source de silice,

torrents de bauxite ou de quartz,

la pierre qui se fait miroir

imprime ses reflets de pierre.

 

Nous ne cherchons que notre errance,

le goût du brasier sur la glaise,

le rythme calciné des légendes

et le secret de ce gouffre

nous ne crions plus.

 

Orgue muet, la paroi

dresse les splendeurs sursitaires

d’une âme cabrée sous le gel.

 

Franchissant les cols

les hommes signent le visible

avec des reliques,

au nom de l’invisible.

Si haut, l’euphorie du corps

disperse la peur

et le peu d’attaches

aux croyances passées.

 

La faim du néant

devient regard de famine.

 

ici le manque est une aubaine

qui vérifie l’oracle :

Nous avons trop de tout

et pas assez de rien !

 

Emportez-moi, lumière,

jusqu’à l’oubli du songe

d’être né…

 

Extrait de L’Arbre-Seul, Poésie/Gallimard, 1990

 

 

 

 

Jean-Michel SANANES

choix Éliette Vialle

 

 

À Victor Jara

 
Nu pieds

le vieux paysan, dos courbé, travaillait

Déjà la terre était grise

Comme un sang séché

 

Nus pieds

Comme le sont les travailleurs sans terre

Un enfant regardait

 

Chante, chante paysan

Le sel de tes yeux n’abreuvera pas le champ

Chante, chante

L’été encore voûtera ton dos

Chante, chante paysan

La terre grise déjà t’attend

 

Dansait, dansait

L’enfant qui ne savait pourquoi

Le soleil brûlait

L’enfant qui ne savait pourquoi

Le maïs mourait

 

Dansait, dansait

Le fils qui demandait :

Père, qui veux-tu que je sois ?

Quand mon temps viendra

Que faudra-t-il que je fasse ?

 

La parole rude, la parole rude

Le vieil homme avait déclaré :

Va plus loin mon fils

Quelle que soit ta taille

Tu porteras la vie sur tes épaules

Quelle que soit ta taille

Ta dimension d’homme tu chercheras

 

La parole rude, la parole rude

Le dos courbé, le dos courbé

Le vieil homme avait déclaré :

Va plus loin mon fils

Ici tout le sel de mes yeux

N’abreuvera pas le champ

Ici la terre est grise comme un sang séché

 

Victor était parti une guitare à la main

Avec des mots

Qui résonnaient dans le matin

Victor était parti avec ses camarades

Et la chanson des jours meilleurs

 

Chante, chante camarade

 

Les doigts coupés, il a chanté

Le sel de ses yeux n’a pas abreuvé le stade

Au Chili, la terre était grise

Comme un sang séché

 

Chante, chante camarade

Tu portais ta vie sur les épaules

Quelle que soit ta taille

Tu avais trouvé ta dimension

Chante, chante camarade,

Ta dimension tu as trouvée.

 

Extrait de Et leurs enfants pareils aux miens,

éditions Chemins de plume, 2015

 

 

 

Jean-Michel MAULPOIX

Franck VENAILLE

choix François Minod

 

 

Jean-Michel Maulpoix, Une histoire de bleu

 

Le bleu ne fait pas de bruit.

C’est une couleur timide, sans arrière-pensée, présage ni projet, qui ne se jette pas brusquement sur le regard comme le jaune ou le rouge, mais qui attire à soi, l’apprivoise peu à peu, le laisse venir sans le presser, de sorte qu’en elle il s’enfonce et se noie sans se rendre compte de rien.

 

Le bleu est une couleur propice à la disparition.

Une couleur mourir, une couleur qui délivre, la couleur même de l’âme après qu’elle s’est déshabillée du corps, après qu’a giclé tout le sang et que se sont vidés les viscères, les poches de toutes sortes, déménageant une fois pour toutes le mobilier de nos pensées.

 

Indéfiniment, le bleu s’évade.

Ce n’est pas, à vrai dire, une couleur. Plutôt une tonalité, un climat, une résonance spéciale de l’air. Un empilement de clarté, une teinte qui naît du vide ajouté au vide, aussi changeante et transparente dans la tête de l’homme que dans les cieux.

 

L’air que nous respirons, l’apparence de vide sur laquelle remuent nos figures, l’espace que nous traversons n’est rien d’autre que ce bleu terrestre, invisible tant il est proche et fait corps avec nous, habillant nos gestes et nos voix. Présent jusque dans la chambre, tous volets tirés et toutes lampes éteintes, insensible vêtement de notre vie.

 

Extrait de :  Une histoire de bleu, Mercure de France, 1992

 

*** 

 

Franck Venaille, Pourquoi tu pleures

 

Celui qui n’a jamais voulu se châtrer n’est qu’un chien  Moi je dis le mot désespoir  J’écris le mot désespoir avec le pâle sourire de celui qui sait  Qui est déjà mort  Qui vit à côté de lui-même attentif à la vie quotidienne  l’âme enterrée déjà  Je ne termine plus mes phrases  Bientôt plus aucun son ne sortira de ma bouche  J’attendrai comme celui assis sur sa valise dans une gare Sans billet Sans raison de partir Sans envie et bientôt curieusement sans douleur comme sous la torture Je n’ai rien dit  N’ai rien avoué moi qui pourtant sait tout Maintenant n’écoute que mon sang familier Observe des heures la pulsation régulière à mon poignet  Poi-gnet  Poi-gnet  Poi-gnet  Serait cela la mort  Ce détachement de soi  Cette absence en soi-même  Ce calme plat de la non espérance  Du non désir aussi avec mon sexe ridicule porté comme une blessure  à peine secrète  Est-il l’heure  Est-il déjà l’heure Les murs m’observent  M’entourent  Se referment sur moi qui n’aurai bientôt plus de peau   Plus de larmes  Moi qui ai tant pleuré sur moi  Hier encore lorsque je vivais  Mais est-ce bien cela vivre cette perpétuelle déchirure il devait bien y avoir autre chose

            Que je n’ai pas su voir

 

 

Extrait de :  Pourquoi tu pleures, dis pourquoi tu pleures ? Parce que le ciel est bleu… parce que le ciel est bleu ! PJO 1972, Atelier La Feugraie, 1984

 

Parmi les nombreux hommages rendus tout récemment à ce grand poète (né le 26/11/1936, décédé le 23/08/2018), nous recommandons : le film de Martin Verdet, l’article de l’anthropologue Michel Naepels dans Le Monde, et pour faire mieux connaissance, un dossier complet sur Babelio (biographie, bibliographie, critiques, citations).

 

 

 

 

Laurent VIVAT

choix Michel Ostertag

 

 

I

 

Son sourire un peu triste
Comme absent à lui-même
Ses cheveux dans les yeux
Et ses mains dans les miennes.

 

Je me souviens de tout
Des voiliers sur la plage
Où nous embarquions
Sur des roues de fortune

 

Des châteaux dans les flots
Qui surplombaient les vagues
Et nous disaient de croire
Aux légendes enfouies

 

De tous les tremblements
Légers imperceptibles
De son corps qui vibrait
Et disait l’univers

 

 

II

 

Elle revint près de moi
Un soir de pleine lune
Elle défit ses cheveux
Et me parla tout bas

 

J’eus du mal à comprendre
Les mots qu’elle prononçait
Tant sa beauté étrange
Me faisait frissonner

 

Son teint pâle et ses yeux
Que la mer habitait
Me semblaient familiers
Sans que je sus pourquoi

 

Ils laissaient ressurgir
Des souvenirs enfouis
Que je m’étais promis
De ne point déterrer

 

Car ils étaient trop lourds
Et m’auraient entraîné
Avec eux dans leur perte
Sans espoir de retour

 

De ses mains elle jouait
Avec tous les boutons
De sa robe légère
Qui flottait dans le vent

 

Je voulus l’arrêter
Je la suppliai même
Je la pris par la main
Mais elle continua

 

Te souviens-tu dit-elle
De cette robe marine
Que je portais jadis
Là-bas sur les rochers ?

 

Un indicible trouble
S’empara de mon âme
Et tout mon corps trembla
À ce qu’elle révélait

 

Le temps n’était plus rien
Tout semblait suspendu
Le destin reprenait
La maîtrise des cœurs

 

Sa mort et puis la mienne
Après qu’elle fut partie
S’expliquaient ou du moins
Promettaient de le faire

 

Tout se réalisait
Bien des années après
Il était inutile
De chercher à lutter

 

Alors je décidai
De la laisser poursuivre
Son récit qu’elle reprit
Après un long silence

 

J’ai plongé dans la mer
Dit-elle alors enfin
Pour te fuir pour nous fuir
Et puis pour nous sauver

 

Car nous ne connaissions
Que l’écume des choses
Et nous nous contentions
D’un bonheur bien trop sage

 

J’ai voulu te manquer
Que tu me manques aussi
Pour que le sel du monde
Pique à nouveau nos yeux

 

J’ai voulu te faire croire
Que nous étions perdus
L’un l’autre à tout jamais
Pour mieux nous retrouver

 

J’ai voulu que nos corps

Fussent ainsi séparés
Pour laisser le mystère
Les découvrir encore

 

J’ai voulu que tu pleures

Et que je pleure aussi
Pour ne verser encore
Que des larmes de joie

 

J’ai voulu que nos vies

S’érigent à la hauteur
De nos rêves effacés
Par un soleil trop fort

 

J’ai voulu qu’en mourant

L’un à l’autre nous puissions
Faire mentir l’héritage
D’Orphée et d’Eurydice.

 

Ne plus appartenir

Qu’à l’amour qui nous lie
Devenir éternels
Et ne plus nous quitter

 

 

III

 

J’espérais sa venue
Sans y croire vraiment
Et j’aurais bien voulu
Qu’elle apparût déjà

 

Mais je dus me résoudre
A regarder la lune
Rouge encore isolée
Des rires et des cœurs.

 

Je respirais l’air chaud
Celui d’avant l’orage
Et me laissais aller
A une douce torpeur

 

Et puis je décidai
De lui écrire un mot
Que je déchirerai
Pour en écrire un autre

 

 

IV

 

Sans que j’y prenne garde
Je me laisse porter
Par le flot incessant
Des souvenirs lointains

 

Ils remontent en moi
En des ondes légères
Et portent ton visage
Solaire auprès du mien

 

C’est alors qu’il me semble
Qu’à nouveau je pourrais
Retrouver le parfum
Oublié de tes lèvres

 

Te prendre par la taille
Et courir sur la grève
Inutile à présent
Dans son désert sans toi

 

D’après sa page FB

 

 

Nicole BARRIÈRE

choix Dana Shishmanian

 

Rêve absolu d’automne

 

C’est déjà septembre

Quelqu’un avance sur le chemin

Unique pas, âme étrange

Un souffle bat entre oreille et cœur

Un pas souffle sous les dalles

Aiguise les pierres 

L’eau rêve à ses bords

D’une main qui se tend

Et étend sa caresse jusqu’à toi

 

De nuit en nuit

Se rendent les rêves

Et dansent entre les fils de soi

L’air amoureux d’un chant 

Profondes sèves

Tandis que sillons entre les seins

Lèvres fébriles

Qu’attise l’absence 

D’une nuit à l’autre 

L’eau vive bouillonnant

Au bas des reins, saillis

Au désir du jardin

 

Entre les jambes du monde

Tant de baisers ivres de ronces

Les pierres brillent sur le chemin

Encore l’odeur de foin

Comme celle du bonheur

Fraichement coupé.

 

Au jardin soupirent encore les roses

Poudre de lendemains

Je te parle du parfum secret des nuits

Toutes les aubes et les aimances

Où j’ai tremblé pour apparaitre

 

C’est déjà septembre

Le temps des remues

Tu sais, descendent des alpages

Tant de rêves 

D’arbres et d’oiseaux

penchés sur l’eau tremblée

 

©Nicole Barrière

Extrait de FB, 07/09/2018

 

 

 

Manon NOLIN

choix Gertrude Millaire

 

Incertitude

incertitude du cœur
entre deux mondes
certitude de l’âme

passage nouveau
j’avance

horizon naissant
     sans bride
origines sauvages

je maintiens mes racines
   sauvagesse dans l’âme

quête incontournable
j’avance dans ce monde
ancrée aux ancêtres

     immobile dans le passé
j’avance vers l’inconnu
                sans taire
               l’Indienne
         de ces territoires.

                   *

Détournée de mes origines
j’ai perdu mon cœur d’enfant
je ne sais pas qui je suis
suis-je Innue
suis-je une autre
je suis déracinée.

 

Manon Nolin, comédienne et poète innue de la communauté d’Ekuanitshit. Elle a participé au livre-disque Les bruits du monde (Mémoire d’encrier 2012).

Poème tiré de Ma peau aime le Nord (premier recueil)




Coup de cœur

André Velter, choix Dominique Zinenberg

Jean-Michel Sananes, choix Éliette Vialle

Jean-Michel Maulpoix et Franck Venaille, choix François Minod

Laurent Vivat, choix Michel Ostertag

Nicole Barrière, choix Dana Shishmanian

Manon Nolin, choix Gertrude Millaire

 

Francopolis septembre-octobre 2018