http://www.francopolis.net/rubriques/placefrancophone.jpg


ACCUEIL


Coup de cœur : Archives

(2010-2017)

Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur

 

http://www.francopolis.net/images/41.jpg

(un tableau de Bruno Aimetti)

 

À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes,
d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poème Coup de Cœur du Comité

Septembre - octobre 2019

 

Maurice Scève, choix Dominique Zinenberg

Patricia Ryckewaert, choix Éliette Viale

Fernando Pessoa, choix François Minod

Louis-René Des Forêts, choix Mireille Diaz-Florian

Cathy Jurado, choix Dana Shishmanian

Jean-Luc Lacroix, choix Gertrude Millaire

 

 

 

 

Maurice Scève

choix Dominique Zinenberg

 

 

Trois dizains

 

Plus tost seront Rhosne et Saone desjoinctz,

Que d’avec toy mon cœur se desassemble :

Plus tost seront l’un, et l’aultre Mont joinctz,

Qu’avecques nous aulcun discord s’assemble :

Plus tost verrons et toy, et moy ensemble

Le Rhosne aller contremont lentement,

Saone monter tresviolentement,

Que ce mien feu, tant soit peu, diminue,

Ny que ma foy descroisse aulcunement.

Car ferme amour sans eulx est plus, que nue.

 

*

 

O ans, ô moys, sepmaines, jours et heures,

O intervalle, ô minute, ô moment,

Qui consumez les durtez, voire seures,

Sans que l’on puisse apercevoir comment,

Ne sentez vous, que ce mien doulx tourment

Vous use en moy, et vo forces deçoit ?

Si donc le Cœur au plaisir, qu’il reçoit,

Se vient luy mesme a martyr livrer :

Croire fauldra, que la Mort doulce soit,

Qui l’Ame peult d’angoisse delivrer.

 

*

 

En toy je vis, ou que tu sois absente :

En moy je meurs, ou que soye present.

Tant loing sois tu, tousjours tu es presente :

Pour pres que soye, encores suis-je absent.

Et si nature oultragée se sent

De me voir vivre en toy trop plus, qu’en moy :

Le hault pouvoir, qui ouvrant sans esmoy,

Infuse l’ame en ce mien corps passible,

Le prévoyant sans son essence en soy,

En toy l’estend, comme en son plus possible.

 

 

 

Extrait de Délie. Objet de plus Haute Vertu, Poésie Gallimard, édition préfacée par François Charpentier, 1984.

 

 

 

Patricia Ryckewaert

choix Éliette Viale

 

 

Elle est restée là au milieu du poème

comme au centre d’une île

 

à manger la lumière

comme on mange à pleine bouche

les fruits mûrs de l'été

et ceux au soir des râles.

 

À manger la lumière

et sa pulpe,

sentir le jus dans la gorge

comme un sirop de vie

 

et mordre dans ses éclats

jusqu'au noyau 

jusqu'à l'amertume

sans regret.

 

Elle s’est tenue assise dans l’été pourrissant

comme les figues du jardin

à dévorer la lumière des mots

et puis les mots d'absinthe du poète,

 

jusqu'au frémissement de l’aube

jusqu’à la nausée

à voir mourir le jour et la dernière églantine.

 

Tu sais toi, tout ce que l’on peut trouver

dans la chair des mots et celle de la mer.

 

L’éternité dans une étreinte.

 

Extrait de Les mots dans les mots. Dialogue entre elle et lui.

Recueil écrit en binôme avec Jean Diharsce,

illustration de Marina Ho (éditions Jacques Flament, octobre 2019)

 

 

 

Fernando Pessoa

(poèmes français)

choix François Minod

 

 

Pourquoi ce fiacre qui passe ?
Son fruit semble signifier

Quoi ? Est-il bien que l'on passe
La vie à en quoi penser ?

Assis au rêve de penser,
Mon cœur regarde l'eau couler...
Je me vois dans l'eau bleue qui coule
Tel que je n'ai jamais été...

Clair et évident et frais
Et quelque chose comme vrai
Et tel dans l'eau bleue qui coule
Qu'en moi je ne serai jamais

Pauvre enfant que la vie a pris
Et fait rêver des paradis
Sans autre que moi-même
Qui jamais n'aime ni ne rit.

Pauvre petite chose en vain
Regardant au long du chemin
Pour voir si Dieu enfin arrive

Tous mes beaux rêves dans les mains…

                       

Il n'est de nous que Dieu...
Nos rêves sont un jeu
Sur l'échiquier du monde...
Que toute heure est profonde !...

 

 

 Extraits de Poèmes Français, Edition La différence

 

L’œuvre de Fernando Pessoa (1888-1935) est l’une des plus importantes du XXème siècle et probablement de tous les temps. Cet immense poète, qui rêva longtemps de devenir un écrivain reconnu de langue anglaise, rédigea une partie conséquente de son œuvre poétique en anglais.

Le français fut dans les années 1906-1908, avant la mise en place de son système des hétéronymes qui prit toute son ampleur à partir de 1914, sa deuxième langue d’expression littéraire. Durant toute sa vie, il fut un grand lecteur et les échos de Nerval, de Baudelaire, de Verlaine, de Rollinat ou de Mallarmé qu’on entend dans certains poèmes ou certaines ébauches, sont un hommage tacite au rayonnement intellectuel de la France.  (4ème de couverture)

 

 

 

Louis-René Des Forêts

choix Mireille Diaz-Florian

 

        

Le gris argent du matin, l’architecture des arbres perdus dans l’essaim de leurs feuilles.

         Le parcours du soleil, son apogée, son déclin triomphal.

         La colère des tempêtes, la pluie chaude qui saute de pierre en pierre et parfume les prairies.

         Le rire des enfants déboulant sur la meule ou jouant le soir autour d’une bougie à garder leur paume ouverte le plus longtemps sur la flamme.

         Les craquements nocturnes de la peur.

         Le goût des mûres cueillies au fourré où l’on se cache et qui fondent en eaux noires aux deux coins de la bouche.

         La rude voix de l’océan étouffé par la hauteur des murailles.

         Les caresses pénétrantes qui flattent l’enfance sans entamer sa candeur.

         La rigueur monastique, les cérémonies harassantes que les bouches façonnées aux vocables latins enveloppent dans l’exultation des liturgies pour célébrer la formidable absence du maître souverain.

         Les grands jeux dits innocents où les corps de chevauchent dans la poussière avec un trouble plaisir. Les épreuves du jeune orgueil frémissant à l’insulte et aux railleries.

         Le bel été qui tient les bêtes en arrêt et l’adolescent comme un vagabond assoupi sur la pierre.

         Le pieux mensonge filial à celle dont le cœur ne vit que d’inquiétude.

         Le vin lourd de la mélancolie, le premier éclat de la douleur, l’écharde du repentir.

         Les fêtes intimes d’une amitié éprise du même langage, la marche côte à côte sur le sentier des étangs où chacun suspend son pas aux rumeurs amoureuses des oiseaux.

         La fausse guerre dans les cavernes et la neige de Lorraine. Le désastre public sanctionné par l’ignorance, l’avilissement, les aberrations de l’esprit, les discordes, tous les décrets et spoliations qui préparent aux grands ouvrages de la mort.

         L’attente du petit jour, l’ivresse d’avoir peur, les risques encourus aux clairières à franchir d’une foulée haletante.

         La fille pendue à la cloche comme un églantier dans le ruissellement de sa robe nuptiale, le feu pervenche de ses prunelles.

         Le cri émerveillé des naissances. La riante turbulence des oisillons qui s’éveillent et s’abandonnent au vertige encore inouï de la langue.

         La foudre meurtrière.

         L’enfant si belle couchée dans la chaleur blanche.

         Le temps qui les en éloigne cruellement sans desserrer la souffrance.

         Les nuits de mauvais sommeil, la parole perdue, son dépôt amer. Les pages embrasées par liasses comme on se dépouille d’un habit impur.  

         Le coude à coude serré dans l’abandon au rêve d’un renouveau qui abolirait les distances.

         Tout ce qui ne peut se dire qu’au moyen du silence, et la musique, cette musique des violons et des voix venues de si haut qu’on oublie qu’elles ne sont pas éternelles.

         Il y a ce que nul n’a vu ni connu sauf celui qui cherche dans le tourment des mots à traduire le secret que sa mémoire lui refuse.

        

Extrait d’OSTINATO de Louis-René Des Forêts,

L’imaginaire Gallimard, 1997

 

Louis-René des Forêts (1916-2000) est né à Paris. Mobilisé en 1939, il est de retour chez lui, dans le Berry, en 1940. Il s'engage dans la Résistance. Ses débuts littéraires datent de l'Occupation. Entre 1941 et 1943, il écrit Les Mendiants, publiés par Gallimard, et suivis en 1946 du Bavard, presque ignoré du public. Des Forêts se lie d'amitié avec Raymond Queneau et André Frénaud. Il publie dans plusieurs revues : L'Arbalète, Les Lettres nouvelles, La Nouvelle Revue française. En 1953, il revient à Paris et participe chez Gallimard à la conception de l'Encyclopédie de la Pléiade, avec Raymond QueneauRobert Antelme, Georges Bataille et Maurice Blanchot. Il fonde en 1954 le Comité contre la guerre d'Algérie, avec Dionys Mascolo, Edgar Morin et Robert Antelme. En 1960, il publie La Chambre des enfants, prix des Critiques. En septembre de la même année, il est un des signataires du Manifeste des 121 sur le droit à l’insoumission dans la guerre  d’Algérie. De 1966 à 1983, des Forêts est membre du comité de lecture de Gallimard. En 1967, il fonde la revue L'Éphémère , avec Yves Bonnefoy, André du Bouchet, Paul Celan, Jacques Dupin, Michel Leiris et Gaëtan Picon ; il fait également paraître au Mercure de France Les Mégères de la mer. Chez le même éditeur paraît en 1997 son dernier ouvrage, Ostinato, autobiographie fragmentée dont la rédaction a été entreprise dès 1975. 

 

 

Cathy Jurado

choix Dana Shishmanian

 

 

Dans la lande intérieure

S’élèvent de grandes fougères de désir.

À l’ombre humide des murmures,

L’art est en rut parmi les bêtes du dedans.

Il pleut.

Il pleut des sauterelles froissées, bruissantes,

Fouissantes.

Et la nudité est matière libre sous le calame.

 

Sans filtre,

Sous papier calque,

La douleur est un accord barbare,

mais ce qui se trame dans le ventre des mots

Pullule toujours de remèdes à la mort.

 

Ce soir

Quelque part

un corps comme un piano usé.

La main bande

Son arc sans viseur

La main sarcle

Racle la craie de la langue interne

La langue des internés – nous,

Désaccordés.

 

Encore

 

la main pulvérise

Crisse

Enroule fait des nœuds

Devient le marteau de la corde

Frôle déverse rutile

La main écrase les spores

Carde encore les fils rebelles

Déprime les ancrages

 

Et dans la nuit démembrée

Le poème est un allume-fou.

 

 

Ce fragment représente la première des 5 parties d’un poème paru dans le dernier numéro de la revue Comme en poésie de Jean-Pierre Lesieur (n° 79, septembre 2019). Pour faire connaissance avec cette poète et écrivaine de grand talent : https://www.livre-provencealpescotedazur.fr/annuaire/cathy-jurado-lecina-5002_043_11912939330. Lire sur le site de l’éditeur son interview autour de son premier roman, Nous sommes tous innocentes, 2015: http://www.auxforgesdevulcain.fr/actualites/entretien-avec-cathy-jurado-lecina-1/.

Des poèmes d’elle sont parus aussi dans le dernier numéro de la revue Nouveaux délits (n° 64, octobre 2019) : http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/.

 

 

 

Jean-Luc LACROIX

choix Gertrude Millaire

 

Quel paysage sous nos yeux

texte compose avec ces mots : errances - broussailles - craquement



A ce quai
A ces silences d’airs rances
Des amers risques perdus
Des vents drapés
Aux errances fleurdelisées
Comme ces flottements oubliés
D’un canard de bois
Aux rivières d’antan
Aux dérives injustes
Les forêts, les fleurs
Les broussailles en pleurent
sauvages


Aux ronces rancunes
Aux joncs jaloux
J’alloue, j’allonge à la plongée
A bien y songer, bien m’y mouiller
Aux craquements des eaux
Aux craquements des brumes
Y ouïr la larme glisser
A cette corne de brume

A ce cri du cœur
D’un Blue SEa
D’une mère en `’ bleues 
D’un post-partum à la patrie
A la puissance lancée
A la puissance reçue
D’un coup d`point
D`un coup de vent
A l’anneau soucis
A l’envie rongeur
Un castor y sonne l’alarme
Aux tremblements venus
A la liberté contenue
Des ans volés
A ce bec

 

 


Coup de cœur

Maurice Scève, choix Dominique Zinenberg

Patricia Ryckewaert, choix Éliette Viale

Fernando Pessoa, choix François Minod

Louis-René Des Forêts, choix Mireille Diaz-Florian

Cathy Jurado, choix Dana Shishmanian

Jean-Luc Lacroix, choix Gertrude Millaire

 

 

 

Francopolis septembre-octobre 2019