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Coup de coeur : Archives 2010-2011

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


A Francopolis, la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés. Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent, toujours intéressant et en mouvement. Nous redonnons vie à vos textes qui nous ont séduit que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

AVRIL 2011

Poème Coup de Coeur du Comité


choix de Juliette Clochelune...  Désir Pierre Richard
choix de Gertrude Millaire...... 
  Herménégilde Chiasson
choix d'Eliette Vialle.............   Patrick Delaplace - Trinquet
choix de Michel Ostertag...       Shizue Ogawa
 





   PATRICK DELAPLACE-TRINQUET


Patrick Delaplace-Trinquet, né à PARIS  en 1959. Gravement handicapé à vie, c'est la nuit qu'il écrit lorsque les douleurs le jettent au bas du lit .L'écriture, chez lui, jaillit spontanément "comme un instantané photographique", ainsi textes et images sont-elles inséparables.
Vous pouvez retrouver ses textes si particuliers sur son blog -
pat le sarthois et aussi son journal de mes écritudes. (Éliette Vialle)

Ce matin, je me sens très vieux. Mon frère est mort. Il a cessé d’être visible, il n'apparaitra plus, il est devenu transparent, absurdité de la vie, l’existence, le temps, les années, difficile à concevoir pour mon esprit en quête de certitude, l’absence, cette partie de moi devenue si lointaine, si inaccessible. Par un sursaut de volonté, je force ma mémoire à le retenir, ne pas interrompre la vie d' avant, conserver son image avec le flou entretenu par le son de sa voix, mais comment garder une trace là où il n' y a qu' un vide, pas même une ombre, son corps a disparu de son être, il ne vibre plus, comment faire émerger la vérité contenue dans ce vide. l’absence, forme impalpable comme aucune autre forme, l’empreinte de l’infini chagrin, il plaît à Dieu de remuer ma lourde conscience, immensité qui fuit sans cesse, son étendue indéfinie se dissolve dans mon espace psychique, le vide c’est le manque.

Son corps est devenu une gélatine, un négatif qui s’agite, il miroite de mille reflets, mais pas assez colorés pour me rafraîchir l’âme et puis l’ombre s’étend comme mauve, couleur de la réalité, l’amour semble s’écrouler de trop d’enfance. Quand on est vivant les jours sont ronds, quand on est mort les jours sont longs, la Mort prospère de trop de négligence avec l’égoïsme propre à l’enfance, sa terreur qui redouble en l'Homme, nous ne pouvons entendre sa voix, les vacarmes murmurent inlassablement son nom, existe-il un nom nouveau qui comblerait son propre besoin !

Mais alors d' où vient ce sentiment d’incrédulité, tandis que je comprends dans le même temps que la Mort a fait place à la réalité, vertigineuse immatérialité du refus, se blottir dans la stabilité du déni, quelque soit la circonstance dans laquelle je suis amené à en parler. La Mort, nous éprouvons toujours avec une grande intensité ce sentiment qui nous submerge, une identique culpabilité qui nous transforme d’âme en âme, une attraction mystérieuse qui nous pousse dans l’immense gratitude d’un Dieu capable de pardon. Je ne voudrais jamais oublier la silhouette de mes morts, nos existences partagées, teintée de mémoire à grands coups de souvenirs dans la brume grise de la séparation en ce monde périssable qui est le nôtre, ce sentiment religieux, la Foi, là où s’élève dans l’inconscience le frêle refuge du salut.

La Mort traîne dans son sillage mystérieux, le péché du monde, l’échéance d’un Fils d'Homme a fait de l’homme un affranchi, Mort, nous avons vaincu ta répugnance, les yeux de la certitude ont ouvert l’obscurité de l’inéluctable sensation de Lumière. Thérèse a dit : Je ne meurs pas, j’entre dans la Vie !

   

HERMÉNÉGILDE CHIASSON

Herménégilde Chiasson, acadien : poète, auteur dramatique, artiste, éditeur, lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick et l'un des plus fervents défenseurs de la culture et des arts au Canada. J'ai toujours eu une attirance et un grand amour envers les acadiens qui ont gardé cet art de vivre au quotidien. (Gertrude Millaire)

Pourquoi alors s’appliquer à se rapprocher
Pourquoi se laisser absorber  si l’on a perdu en soi
Le sens de toute direction absolue

Improvisez
répondez-moi de votre belle voix design
comme un appel cellulaire
quand vous grésillez des mots éternels
magiques
indéfectibles
sur le registre du temps
l’air est élastique

Je veux vous entendre crier
par-dessus le bruit des continents
le grincement des failles tectoniques
par-dessus le bourdon des médias
les rumeurs de la grande panne cosmique
qu’on nous prédit avec tant d’acharnement
je suis venu au monde pour vous entendre crier
pour être emporté dans la fuite de vos vibrations
qui coulent en méandres ponctuées de coup de feu
pour mordre à votre corps fleuri d’arabesques
un étalage de cicatrices

Peut-être vous en doutez-vous
vous êtes mon seul et unique jardin d’ecchymoses
le seul endroit où ça fait vraiment mal
et j’ai peut-être choisi d’y habiter
si le métro pouvait sortir de ses gonds
se décider à passer par là
la décision nous revient peut-être plus
nous avons peut-être perdu la raison
soudainement
il y a longtemps
jadis

Faites semblant de rire
faites semblant de rire
et peut-être que nous rirons comme d’habitude
faites semblant de rire
comme autrefois
naguère
avec vous
oui.

(Tiré du recueil Vous, aux éditions d’acadie)

(«Les Acadiens sont un peuple, et un peuple est plus fort qu'un Pays. Un Pays est une institution, mais un peuple est plus fort qu'une institution, car il a une âme, il a des rêves, il est vivant....» (Antonine Maillet)

un peu plus sur ce poète sur Wikipedia et sur le site franco-culture



DÉSIR PIERRE RICHARD

Envie de vous partager ce poème-témoignage de Désir Pierre Richard, jeune haïtien de 18 ans opéré à coeur ouvert, en hommage à la chaîne de l'espoir, poème dédié à Danièle Demoly, l'une des infirmières bénévoles... Témoignage-dun-jeune-haïtien-blessé pour aider "la Chaîne de ''espoir" qui opère les enfants (ou jeunes adultes) dans de pays où la sécurité sociale n'existe pas et n'ont donc pas les moyens financiers d'être sauvés sans notre générosité. parois l'intervention se fait dans leur pays d'origine, parfois ils sont pris en charge par une famille d'accueil en France le temps de leur intervention à l'hôpital Necker Enfants-Malades où j'ai été suive jusqu'à mes 18 ans.. (Juliette Clochelune)


Ainsi commence l’histoire de la misère des noirs
Vainement libérés
L’espoir d’un peuple déraciné...
Fierté d’une nation déshonorée...
C’est l’avenir d’une jeunesse abîmée
Qui est au cœur de ces heures endiablées

Je regrette que ce sol soit mal construit
Jusqu’à ce que sa fragilité le rende faible
Et beaucoup plus faible qu’une mauviette
Terre desséchée !
Richesse non cultivée !

Je pleure à ce que l’ensemble des secondes d’un jour
Est égal au nombre de mes frères morts
Et que la quantité de grains de sable d’une plage
N’est pas supérieure au nombre de mes entrailles blessées
Y compris moi sous les décombres
Pleurant ma peur

Avec le ténèbre funèbre comme seul ami
Sans être désespéré car
L’au-delà contemple le secours
Sous le ciel qui m’a remis
Après en être sorti
Je l’ai vu venir vers moi
Cette grande Chaîne d’Espoir
Prête à me ranimer le cœur
Et elle commence...

Avec ses médecins
A la santé du cœur attaché
Nous, bénéficiaires de ses talents
Ses infirmières de nos infirmes passionnées
Amour des pansements sur nos blessures abondées
Le rôle de chacune de tes mailles.

Elle compte plus qu’une goute d’eau d’un désert
Chaîne de l’Espoir
Bienvenue grâce au ciel tombe...
Elle nous injecte dans le sang
La volonté de servir l’autre
Avec sa façon de toucher nos plaies
Notre âme bouleversée
À retrouver son calme
Que cette étrange patience nous fasse voir que notre existence est quasiment nulle
Sous les yeux de l’humanité
Après tous ces ans passés
Maman abandonnée
Adieu l’Haïtien.
                                    

                       

SHIZUE OGAWA

En ces moments particulièrement dramatiques que vit le Japon, voici un poème de Shizue Ogawa, "Boîte aux lettres" qui incite, en le lisant, à la curiosité teintée d’humour. (Michel Ostertag)


Boîte aux lettres

La boîte aux lettres sait tout
mais ne parle pas.
Elle lit cartes et lettres
mais n’en parle à personne
Elle n’a ni mains, ni jambes,
et ne peut pas voyager.
Mais elle connait le code des villes sur les adresses.

Aimez-vous la bouche de la boîte aux lettres ?
Vous savez, la longue fente étroite ?
Elle me met mal à l’aise.
L’autre jour, j’ai poussé la main à l’intérieur
et j’ai regardé dedans.

Je voulais serrer la main de la boîte aux lettres
mais j’ai simplement posté une lettre, en disant
« S’il vous plait, prenez-en soin. »
quand  je me suis retournée,
la boîte m’a dit : « J’y veillerai. Au revoir. »


(Source : Poésie/première n°42)


Née en 1947 au Hokkaido, Shizue Ogawa a fait des études d’anglais au Japon avant d’y devenir elle-même universitaire. Ses très beaux livres bilingues, Water - A Soul at Play (I), Flames, A Soul at Play (II) et Sound, A Soul at Play (III) parus entre 1999 et 2007 dans son pays, présentent, côte à côte avec les poèmes originaux japonais les traductions en anglais dont elle est la co-traductrice avec Donna Tamaki. L’expression discrète de sentiments parfois puissants se double d’un sens profond de l’unité entre l’humain et le cosmos, les animaux, les plantes et même les pierres. La plupart de ses poèmes développent un humour joyeux qui conteste les approches toutes faites du réel. Sa thématique va d’une attention, d’une présence entière aux moments et aux incidents en apparence les plus anodins jusqu’à un absurde onirique, joyeux ou cauchemardesque ; réalisme et imaginaire se mêlant souvent dans le même poème. Elle s’explique sur sa création dans une lettre à sa traductrice française :
" Voici la vérité sur mes poèmes. Je les écris très vite. Dès que j’entame la première ligne, ma main droite se déplace librement jusqu’à la dernière sans une hésitation. Je vois des images dans mon cœur. Ma main droite les suit, servante dévouée. Aussi interrogez ma main droite sur mes poèmes. Elle vous répondra ce qui lui arrive pendant qu’elle écrit. Ou bien je peux dire que mon cœur est toujours vacant. Mes yeux regardent les feuillets nus. Combien joyeusement les mots nagent sur le papier qui est un océan pour eux. J’ignore l’angoisse de l’écrivain. Je suis seulement « Une Ame qui Joue ». Mes poèmes naissent de rien. Ils n’appartiennent à personne. Même moi, j’ignore de qui ils sont. C’est aussi une mésaventure pour moi. J’ignorais que ce que j’écrivais étaient des poèmes. En outre je ne pensais pas que mes poèmes valaient la peine d’être lus ». Et un peu plus sur Portrait-écrits-vains.


                 




coup de coeur de
 Gertrude Millaire - Éliette Vialle
Juliette Clochelune  - Michel  Ostertag

  avril
2011

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