ACCUEIL



Coup de coeur : Archives 2010-2013

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.


Poèmes - Coup de Coeur du Comité

AVRIL  2015

Pascal PERROT
Élizabeth LAUNAY-DOLET
Philippe JACCOTTET
Salah STÉTIÉ
Joséphine BACON



PERROT PASCAL


Pascal Perrot, choix Éliette Vialle

NOS VIES FECONDES ET VAINES

Je m'attache à n'être efficace
Que dans les choses inutiles
Je redoute cet univers

Où la moindre respiration
Se doit d'être utile ou mourir
D'avoir un sens, une fonction

Il se profile quelquefois
Comme une ombre tentaculaire
Qui dissimule le présent

Approchant sa gueule béante
Aspirant aux dévorations
De nos vies fécondes et vaines

Toutes nos joies attachées
A ce qui ne sert à rien
Volées au temps mécanique

Nous faut-il en abdiquer
Jusqu'à la réminiscence
Dans ce vide fonctionnel

Où nous guident pas à pas
Les passeurs de nos détresses
Maîtres des univers creux

Le futile et l'éphémère
Garants de notre distance
Avec un monde androïde

Sans destination précise
Évidé de raison d'être
Je flotte à l'envers des choses

Essentielle nonchalance
Qui s'oppose en sa douceur
Aux acharnés du concret


 DOLET-LAUNAY ELIZABETH

 Élizabeth Launay-Dolet, choix François Minod
L’ENFANT

Qui la voudrait veiller, cette âme passagère ?

Au déclin de ses jours elle entre dans la nuit,

Vieille femme pleurant, elle appelle sa mère.

 

Elle se remémore, dans le temps qui la fuit,

Le funeste abandon qui troubla sa naissance,

Un mystère qui toujours l’habite et la suit.

 

L’orpheline aux yeux doux qui n’eut pas connaissance

Du pourquoi, du comment, de ce qui fut avant,

Pleure le dos vouté l’insupportable absence.

 

La mort sur son épaule en ce chagrin fervent

Dépose encore un autre voile de tristesse :

Depuis peu elle est veuve. Depuis toujours enfant.

 

Enfant d’une inconnue qui, en grande détresse,

Disparut à jamais dans l’ombre du chemin,

L’espérance emportant ainsi que la tendresse.

 

Vaincue par les années elle cherche une main,

-  Comme elle la croit douce, cette main de sa mère !

Dans son souffle dernier dormira sur son sein.

 



 JACCOTTET PHILIPPE

Philippe Jaccottet, choix  Dominique Zinenberg  


 A la lumière d'hiver (1975)

  « Chants d'en-bas »

Écris vite ce livre, achève vite aujourd'hui ce poème
avant que le doute de toi ne te rattrape,
la nuée des questions qui t'égare et te fait broncher,
ou pire que cela...
                            Cours au bout de la ligne,
comble ta page avant que ne fasse trembler
tes mains la peur – de t'égarer, d'avoir mal, d'avoir peur,
avant que l'air ne cède à quoi tu es adossé
pour quelque temps encore, le beau mur bleu.
Parfois déjà la cloche se dérègle dans le beffroi d'os
et boite à en fendre les murs.

Écris, non pas « à l'ange de l'Église de Laodicée »,
mais sans savoir à qui, dans l'air, avec des signes
hésitants, inquiets, de chauve-souris,
vite, franchis encore cette distance avec ta main,
relie, tisse en hâte, encore, habille-nous,
bêtes frileuses, nous taupes maladroites,
couvre-nous d'un dernier pan doré de jour
comme le soleil fait aux peupliers et aux montagnes.

  
  STÉTIÉ  SALAH

 Salah Stétié, franco-libanais, choix Dana Shishmanian
   Du cycle Les feuilles les plus vertes :

  12
  L’ange est parti Il a laissé
  Ses jambes et son désir de revenir
  Nous les avons portés dans nos deux bras
  Sous le temps qui sur nous se resserrait

  Il ne revint jamais Il envoya
  Une saison de mort sur les vertèbres
  Puis un printemps plus beau que buste jeune
  De femme ayant beaucoup d’éternité

  Sur le visage Ô visage à l’écoute
  Tenu et retenu dans l’eau des mains
  Jusqu’à l’été qui tourne en fleur sonore :
  - Et brusquement visage en os, criant
  13
  On vint nous annoncer l’éclat
  Sur les glaciers d’ici Ma tête en feu
  Je la donne aux glaciers pour qu’ils
  La revêtent de fleurs d’eux connues

  Que de souffrance dans ma tête - et sa mort
  Forte de plaines avec des maisons
  Et l’arbre est loin parti Il reviendra
  Plus tard fiévreux et guéri

  Alors ma tête épousera mon corps
  Et nous serons tous deux très près du cœur 
  Tous trois perdus dans la simplicité
  D’une fleur ayant consumé tout


   Du cycle L’être :
  Peignant la terre
  Devant le tableau - personne.
  Derrière il y a la terre.
  Aveugle, noire, verte, aveugle.
  La terre et ses jardins.
  Et, au-delà du noir, la pression des couleurs
  Elles traversent la toile, déchirées déchirantes - filtrées.
  Ce sont forces et ce sont lambeaux
  Lambeaux de force, haillons, ontologie.
  Moments de temps morceaux d’espace, et l’inverse :
  Moments d’espace morceaux de temps, les uns tissant les autres.
  Atomes. Matière-esprit. Atomes. Danse. Danse.
  Le monde aveugle trempé de lumière déjà finie. Opacité
  de celui qui regarde.
  Personne, mais...
  Personne mais devant la surface de la toile
  Quelqu’un d’attentif et de suprême : le peintre.
  Il regarde arriver vers lui les forces, les lambeaux, la couleur,
  Les tiges, l’herbe et la poussière, les formes :
  Ni formelles ni formalisées ni même formalisables.
  Pinceau déployé, sobres drapeaux sur tous les ports
  du crépuscule avant la nuit.
  La nuit sera violente.
  Le pinceau peint et le peintre regarde
  C’est la terre qui peint c’est la terre qui est peinte
  La toile, miroir sans tain, réfléchit lentement le devenir :
  «Je ne peins pas, dit quelqu’un, j’époussette un tableau préexistant.»

  Extraits du dernier recueil du grand poète franco-libanais,
  Salah Stétié, L’Être, paru en 2013 aux éditions Fata Morgana.



BACON  JOSÉPHINE
 
  Joséphine Bacon, poète innue, originaire de Betsiamites, choix Gertie Millaire

Sommes-nous si loin
de la montagne à gravir ?
 
Nos sœurs de l’Est, de l’Ouest,
du Sud et du Nord
chantent-elles l’incantation
qui les guérira de la douleur
meurtrière de l’identité ?
Notre race se relèvera-t-elle
de l’abîme de sa passion ?
 
Je dis aux chaînes du cercle :
Libérez les rêves,
comblez les vies inachevées,
poursuivez le courant de la rivière,
dans ce monde multiple,
accommodez le songe.
 
Le passage d’hier à demain
devient aujourd’hui
l’unique parole
de ma sœur
la terre.
 
Seul le tonnerre absout
une vie vécue.

« Le Nord m’interpelle », Bâtons à message, Montréal, Mémoire d’encrier, 2009. Extraits

****

TOI, INNU

Toi l’humain, le frère, l’ami
Loin de ta terre, ta richesse
Tu choisis de la rejoindre
Tu te lèves

Devant toi, une longue marche
Chacun de tes pas s’harmonise à son cœur, à ton cœur
Les arbres te parlent d’étoiles

Nutineteu se laisse bercer par les aurores boréales
Et te cède le passage

Toi, le médecin soigneur
Elle te soigne

Tu traces sur ses veines
Un pas, un autre et un autre

Que tu laisses derrière toi
Pour ceux qui te suivent

Tu avances, sans fatigue tu continues
Tu portages ton courage, ta persévérance, ton identité

Les ancêtres t’observent
Tu apprends à marcher

Tes raquettes sont heureuses


Joséphine Bacon,
Cette grande poétesse Innue,  nous a fait l’honneur de rédiger ce poème en l’honneur de Stanley**

Elle est Innue de Pessamit. La poésie et la tradition orale de son peuple la suivent depuis son enfance. Sa poésie au quotidien s’adresse à la mémoire collective, à la nature débridée, à la sagesse, et aux ancêtres. C’est dans l’oscillation entre le langage universel sur l’origine du monde et la quête personnelle d’identité et de liberté que Bacon nous rappelle et nous ramène à nous-mêmes. Elle vit à Montréal.

** Innu Meshkenu – Tracé son Chemin - The Innu Trail 
      amorcé par Dr. Stanley Vollant
Ce médecin Innu qui  fait ce projet de la grande marche de 6000 kilomêtres sur 5 ans pour rencontrer tous les Innus des premières nations... La marche a repris en février 2015 pour son dernier trajet qui se terminera cet automne. ( Vous pouvez suivre leur trajet et les encourager.)
Ref.Francopolis- Revue Novembre 2014  ou en format pdf







Coup de coeur
 
Gertrude Millaire,  François Minod,
  Éliette Vialle, Dominique Zinenberg,
Dana Shishmanian
  
Francopolis avril 2015

Pour lire les rubriques des anciens numéros :

http://www.francopolis.net/rubriques/rubriquesarchive.html