ACCUEIL



Coup de coeur : Archives 2010-2013

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.


Poèmes - Coup de Coeur du Comité

AVRIL 2016

CLAUDE MARMET
MARCEL MIGOZZI
FLORENCE NOËL
RENÉ CHAR
PABLO NERUDA
JEAN-CLAUDE CROMMELYNCK



CLAUDE MARMET




(Toile éponyme de Nicolae GRIGORESCU)

Claude Marmet, choix Éliette Vialle

GRIGORESCU, JEUNE FEMME AU JARDIN

Poème bizarre, vous avez dit bizarre ? Comme c’est bizarre !…

Un profil de velours se fondait dans l’herbage,
À peine distingué des feuilles du jardin
Par la félicité d’un soupir féminin
Qui peu à peu prenait l’expression d’un visage.

Si le ciel eût voulu conserver l’apanage,
Illusoire pouvoir des nuages de lin,
Il eût fallu qu’il fût, sans peur du lendemain,
Capable d’imposer sa loi à tout ombrage.

La jeune femme assise en fourrure épaissie,
Tranquille, paraissait s’abriter dans un nid
Tout vert pour surveiller la poussée printanière.

Indolente acharnée malgré le froid cinglant,
Couverte d’un chapeau feutré pour hibernant,
L’artiste témoignait d’une folie entière…

(Lundi 29 Février 2016)




MARCEL MIGOZZI


Marcel Migozzi, choix de François Minod

 Le thym fleurit le bas du ciel.

Aimons la terre ce matin
Pour que ce verbe-fleur aimer
Ne puisse se faner sur la motte
Et que le bleu feuillu des oiseaux vibre.

Et lorsque tout s’effondrera, d’un coup,
Vertige silencieux,
Cherchons plutôt dans l’invisible
Gosier du rossignol
Nos perles.                                                        

N’aimez pas         laissez-moi
Finir la phrase.
N’aimez pas infiniment trop peu, n’aimez
Qu’une fois éternellement
Le corps offert éperdument perdu
Entre lèvres et poils
Poitrine et sexe aimez
Mais pas de l’amour qui transforme
En vieux mortel inconsolable, non,
Laissez parler la foudre.
 
                                                           *

Salle d’attente du poème.
Quelqu’un s’agite entre les mots.
Est-ce le nain
                         Moi-je

Marcel Migozzi
In Des jours, en s’en allant
.
Editions Petra, 2016




FLORENCE NOËL


Florence Noël, regard vers la Belgique, choix Gertrude Millaire

       (!!! ... comme une présence discrète en ces temps difficile/gm
2016/03/22)
D’écorce

on avait dit au revoir aux arbres
à chaque feuille
et de tomber avec elles
nos mains s’enflammaient
puis murmuraient des choses lentes
apprises dans l’humus


le manteau de leur torse
était trop vaste
pour contenir le souffle des oiseaux
et tous ces souvenirs
délestés de bruissements


ces troncs buvaient nos bouches
adoubement de sèves
de part et d’autre
d’un baiser de tanin


on avait confié à leur chair
le soin de graver
l’étendue d’une vie
et dans l’ombre inconnue des cimes
nos dents entaillaient
le fragile désir de croître

( tiré de son Site l'Âme de fond )
-  (Visiter son Blog Panta Rei)
- Présence sur Francopolis au Salon 2003 (membre fondateur Francopolis)



RENÉ CHAR


René Char,  choix Dominique Zinenberg

Baudelaire, Melville, Van Gogh sont des dieux hagards, non des lectures de dieux. Remercions. Et ajoutons Mandelstam l'Incliné, nageant, le bras bleu, sa joue appuyée sur l'épouvante et la merveille. L'épouvante qui lui fut infligée, la merveille qu'il ne lui opposa pas mais qui émanait de lui. ( Page 17 )

La poésie ose dire dans la modestie ce qu'aucune autre voix n'ose confier au sanguinaire Temps. Elle porte aussi secours à l'instinct en perdition. Dans ce mouvement, il advient qu'un mot évidé se retourne dans le vent de la parole.
( Page 18 )

 Sommeil de ma mémoire je saurai bien partir chez les sœurs filandières avec l'élan voulu qui tranche le regret, négligeant la survie et restant à la vie.
( Page 19 )

Il faut que les mots nous laissent, nous poussent à pénétrer seuls dans le pays, qu'ils soient pourvus de cet écho antérieur qui fait occuper au poème toute la place sans se soucier de la vie et de la mort du temps, ni de ce réel dont il est la roue, la roue disponible et traversière. ( Page 25 )

Je ne suis pas séparé. Je suis parmi. D'où mon tourment sans attente. Pareil à la fumée bleue qui s'élève du safre humide quand les dents de la forte mâchoire l'égratignent avant de le concasser. Le feu est en toute chose.
( Page 28 )

On ne partage pas ses gouffres avec autrui, seulement ses chaises.

Elle ne ne peut se souffrir seule, l'épouse de l'espoir, serait-ce dans un bain de vagues. Mais sur le berceau convulsé de la mer, elle rit avec les écumes.
( Page 62 )

Repli sous l'écorce, cassure dans la branche. Repli vers la feuille avec l'aide du vent seul. Un sentiment promis à l'accueil. ( Page 67 )

( extraits de Fenêtres dormantes et porte sur le toit. (1973-1979) Gallimard,)


PABLO NERUDA

          
Pablo Neruda, choix Bernard Negre

ODE AU CHAT

Au commencement
les animaux furent imparfaits
longs de queue,
et tristes de tête.

Peu à peu ils évoluèrent
se firent paysage
s’attribuèrent mille choses,
grains de beauté, grâce, vol...
Le chat
seul le chat
quand il apparut
était complet, orgueilleux
parfaitement fini dès la naissance
marchant seul
et sachant ce qu’il voulait.

L’homme se rêve poisson ou oiseau
le serpent voudrait avoir des ailes
le chien est un lion sans orientation
l’ingénieur désire être poète
la mouche étudie pour devenir hirondelle
le poète médite comment imiter la mouche
mais le chat
lui
ne veut qu’être chat
tout chat est chat
de la moustache à la queue
du frémissement à la souris vivante
du fond de la nuit à ses yeux d’or.

Il n’y a pas d’unité
comme lui
ni lune ni fleur dans sa texture:
il est une chose en soi
comme le soleil ou la topaze
et la ligne élastique de son contour
ferme et subtil
est comme la ligne de proue d’un navire.
Ses yeux jaunes
laissent une fente
où jeter la monnaie de la nuit.

Ô petit empereur
sans univers
conquistador sans patrie
minuscule tigre de salon,
nuptial sultan du ciel
des tuiles érotiques
tu réclames le vent de l’amour
dans l’intempérie
quand tu passes
tu poses quatre pieds délicats
sur le sol
reniflant
te méfiant de tout ce qui est terrestre
car tout est immonde
pour le pied immaculé du chat.

Oh fauve altier de la maison,
arrogant vestige de la nuit
paresseux, gymnaste, étranger
chat
profondissime chat
police secrète de la maison
insigne d’un velours disparu
évidemment
il n’y a aucune énigme
en toi:
peut-être que tu n’es pas mystérieux du tout
qu’on te connaît bien
et que tu appartiens à la caste la moins mystérieuse
peut-être qu’on se croit
maîtres, propriétaires,
oncles de chats,
compagnons, collègues
disciples ou ami
de son chat.

Moi non.
Je ne souscris pas.
Je ne connais pas le chat.
J’ai sais tout de la vie et de son archipel
la mer et la ville incalculable
la botanique
la luxure des gynécées
le plus et le moins des mathématiques
le monde englouti des volcans
l’écorce irréelle du crocodile
la bonté ignorée du pompier
l’atavisme bleu du sacerdoce
mais je ne peux déchiffrer un chat.

Ma raison glisse sur son indifférence
ses yeux sont en chiffres d’or.



JEAN-CLAUDE CROMMELYNCK
alias CEE JAY

 
Jean-Claude Crommelynck, choix Dana Shishmanian

539 Le père, le fils, la source

Comme le torrent se jette dans la rivière
Pour devenir infini et sans bornes
Je dis ton nom ami lointain
Pour que je l’écoute raisonner
Dans l’écho des falaises.

Tu es le père d’un fils, le fils d’un père
Lui-même est celui de son père.
Ne vois tu pas que nous sommes tous un
Et que la vanité n’est pas fertile
Qu’il te faut être rivière ?

Tu as ouvert la bouche pour parler
Je ne te l’ai pas permis
Par amour pour le vrai.
Souviens-toi de l’abri passager de la mère
Avant le grand voyage de vie vers la mort.

Quand l’homme marche sur le mur élevé
Il perd l’équilibre si le doute s’empare de toi
Redonne sa force à la source.
Accablé par l’air bouillant rôde autour de ton ombre
Laisse la poussière courir avec le vent.

©CeeJay. 10/09/015.


532 L’insondable néant

Tessons d’amour plantés en pleine chair
Des éclats d’insultes te criblent le dos.
Couvert des cicatrices du temps
Ta peau barrée de blessures fraîches suinte encore.
Tu te traînes dans cette vie ultra libérale
De jungles urbaines en centres fermés et de herses en barreaux.
Chaque pas enfonce plus profond les épines de haine
Pendant qu’à ton visage se dessèche le crachat des indifférences.
En secret l’âme en révolte cogne contre les limites du corps
Où en exil elle est tenue prisonnière.
Tu dévides dans l’espace l’inutilité qui encombre la vie
Et ce rien se déverse dans l’insondable néant.

22 mars 2016
©CeeJay.
J’avais prévu la publication de ce texte pour aujourd'hui depuis des semaines,
il est une réponse inattendue pleine d'à propos.


520 Les prophètes sont à venir

Les prophètes sont à venir
Non derrière mais devant nous
La lenteur inexorable que met l’arbre à pousser
Est là pour nous donner le sens vital de la durée.
L’être démuni, l’âme nue et la voix de bois
Se perd dans les lacis du chergui
Sur la courbe de l’exil
Dans le froissement invisible du limon.
L’impossible est l’accomplissement
L’écriture surgit depuis l’abîme
Dans une langue qui met la parole en liberté
Hors des dédales du labyrinthe.
Tel un chaman qui opère entre vie et mort
Le réel nous traverse
Se gonfle notre cœur farouche
Tarde à l’Oracle l’imprécation et l’annonce des destinées.
Il ne faut confier les vers prophétiques
Qu’aux yeux des vents fougueux
Qui pénètrent en toutes antres
Où ils pourront germer et éclore à escient.

©CeeJay.
Poèmes postés sur la page FB du Collectif Francopolis



Coup de coeur  des membres
  Éliette Vialle, Gertrude Millaire,
   Dominique Zinenberg, Dana Shishmanian
Bernard Negre et François Minod
Francopolis avril 2016