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Coup de coeur : Archives 2010-2013

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.


Poème Coup de Coeur du Comité

DÉCEMBRE 2014

 
Jean-Claude Tardif
Henri Michaux
Claude Beausoleil
Paul Newsla Biyong




JEAN-CLAUDE  TARDIF

Jean-Claude Tardif, poète français, choix Dana Shishmanian

Conseil

Il faut se méfier des mots
ils n’en font qu’à leur tête, croyez-moi.
Certains vous écorchent la langue,
épine par exemple,
d’autres vous la griffent ou l’irritent,
ronce et ortie sont de ceux-là.
D’autres encore vous font pleurer
rien qu’à les prononcer
(cherchez-les vous-mêmes)
et puis il y a ceux qui ennuient,
qu’on ne dit qu’à grand-peine...

Il ne faut pas toucher les mots,
même ceux qui touchent,
que l’on voudrait saisir.
Il faut éviter de les prendre à la main,
même s’ils insistent
tels doigt ou paume.
Si un jour on vous le propose,
un conseil : restez poli,
dites « Non merci, cela ne me dit rien ».


De l’inimportance du poème

La table est mise
mais personne ne s’assied.
Couverts d’argent, assiettes à motifs
sur la porcelaine plus que blanche.
Verres aussi où le soleil
brille par éclats.

À l’entour le jardin
et le cerisier s’égaient de blanc,
les haies rêvent d’oiseaux couvés ;
mais le cœur n’y est pas,
le vent lui-même hésite
aux avances des girouettes.

Dans ma tête,
la voix de mon père ;
il chante.
Voici vingt-cinq ans qu’elle s’est tue !
Et soudain, dans la pièce,
en lisière du printemps,
une odeur d’humus, de terre ;
de souvenirs aussi.
J’y invite les mots
dans une occupation appliquée
mais sans importance,
paraphes pareils à toutes ces nuits
où meurent les étoiles.


Trois questions sans réponse

Comment écrit-on un poème ?
Je crois que je ne sais pas,
enfin pas vraiment.

Comment parle-t-on de la mort ?
Avec l’air dégagé de celui qui sait
comment écrire un poème.

Comment vit-on sa vie ?
En cherchant chaque jour à lire un poème
qui nous rassurerait sur le noir.

Du recueil La Vie blanchit,
éditions La Dragonne, 2014


HENRI MICHAUX

 Henri Michaux, poète français, choix Dominique Zinenberg
Une certaine araignée chaque matin fait dans la nature et en tout lieu qui s'y prête une toile admirablement régulière. Après ingestion d'un extrait de champignon hallucinogène - que par ruse on lui a fait prendre – elle commence une toile dont petit à petit les spires ne se suivent plus et partent de travers, et d'autant plus que la quantité absorbée est plus considérable : une toile de folle. Des parties s'affaissent, s'enroulent, Zygiella notata, c'est son nom, ne s'arrête pas avant d'avoir obtenu la dimension habituelle mais, devenue incapable de suivre son plan, un plan qui pourtant ne date pas d'hier, mais de dizaines ou de centaines de siècles, passant intact et parfait de mère en fille, elle commet des erreurs, des redoublements, ailleurs laisse des trous, elle, si soigneuse, et passe outre. Les dernières spires sont un balbutiement, un vertige, c'est comme si elle avait eu un éblouissement. OEuvre en ruine, ratée, humaine. Araignée si proche de toi maintenant. Nul sur la drogue n'a plus justement, plus directement exprimé le trouble des enchevêtrements. En frère, regarde ses ruines en fil. Mais qu'a-t-elle donc vu, Zygiella ?



Poteaux d'angle, Poésie/Gallimard


CLAUDE BEAUSOLEIL

Claude Beausoleil, poète québécois, choix Gertrude Millaire

AU LARGE DES LIVRES OUVERTS

                                                    À mes amis poètes d’Aca

J’arrive à l’achèvement de la ville
et je ne peux expliquer en quel sens j’arrive
les poètes  je le dis sont des anges parfois
ils inventent les cris qui permettent l’envol
les poètes je le cois sont des souffles du vent
des tempêtes des visions des accalmies des mots
ils soulèvent vos villes
ils disent Montréal
ils disent Moncton
ils disent Amérique
aussi  parfois leur désarroi souverain
leurs langages somptueux sont des lamentations
qui traversent les temps et insultent l’ennui
je les entends qui se cachent qui soupirent ou qui pleurent
les nuits et les aurores les poussent vers l’avant
sur le socle des rives qui transpercent la lumière
ressacs des consciences et des brisures d’instinct
les poètes mes anges sont des amis du noir
des lueurs d’améthyste et des audaces de l’aube
se mélangent à leurs rythmes pour dire un frisson sec
et quand ces corps sauvages se lancent dans l’ailleurs
ils sont femmes ou hommes d’ici et de toujours
ils sont aventureux au large des livres ouverts
ils avancent leurs espoirs accordés à la vie
quand tout se mélange sous la foudre
ils dispersent les mots les images et les signes
comme autant de louanges et autant de néons
ils savent en secret que le territoire nous habite
et qu’en ce sens éperdument nous lui appartenons
les poètes s’enivrent de toutes les utopies
leurs mots sont  des détails qui stimulent des écarts
leurs phrases leurs styles s’étirent dans la nuit
une Amérique guette tous ces réservoirs de tumultes
et les cils de ces anges nous donnent à réfléchir
les poètes souvent plongent dans l’inédit
ils rappellent que les jours sont des fièvres blanches
que les amours tressaillent quand le corps oulie
les poètes encore sont debout et écrivent
et redisent et refont le chemin des dérives
ils imaginent la rue et les restes du sens
perdus sur la pente fauve de tous les lieux du corps
ils disent le réel
ils disent les spectres
ils disent les fusions
ils disent les fuites
les poètes je le sais parlent jusqu’à l’épuisement
l’Amérique l’Europe et toutes les terres du monde
les invitent à créer un univers de commencements
et je perds ma route sur ces échangeurs de vie
qui insistent pour nous apprendre tout
pourtant l’humilité leur fat voir avec rage
que le changement lui aussi est un mythe fougueux
et ce n’est pas sans douleur
qu’ils s’endorment l’œil ouvert sur des paradis possibles
et ils gagnent leurs vies à pressentir le vide
ils veulent nous surprendre de partout
ils parlent de gestes comme du paradoxe
les matins leur échappent et pour tout dire
ils impriment leur trace d’encre sèche
sur les feuilles et les mémoires enfuies
les poètes je le répète sont des anges ordinaires
qui discutent dans le bar quand la musique monte
et qui dissèquent l’âme d’un univers strié
refusant le trop clair et niant la laideur
et dans des phrases immenses
ils nous propulsent au centre
dans l’air d’un temps toujours à inventer
j’arrive à la déroute
j’arrive à l’insondable
j’arrive au langage et je vous parle bouleversé

….
les poètes je le dis sont des anges souvent
ils lancent des excès
et la nuit les accueille.
                                       Montréal mai 1984

tiré de Une certaine fin de siècle, éd Le Noroît/Le Castor Astral

CLAUDE BEAUSOLEIL
poète québécois, romancier, critique littéraire, Essayiste et traducteur, il a fait paraître une quarantaine d'ouvrages et d'Anthologies de poésie (Mexique, Suisse, Acadie). Membre de l'Académie Mallarmée.


 Poète de la cité, article dans le Journal Presse
«La poésie, ça existe! Et mon rôle est de la faire découvrir.»
«La poésie est un secret qu'il ne faut pas garder...»
«Que les gens ne connaissent pas la poésie ne veut pas dire qu'ils ne l'aiment pas»

  
 Paul Newsla Biyong

 Paul Newsla Biyong, choix Éliette Vialle
Pensées

À la rive des rêveries éventrées,
Reverdit un océan de pensées.
Elles sont vives mais broient du noir
Quand souffle sur leurs feuilles le vent du soir.

Mes pensées ont fleuri en terre hostile
Pour donner vie aux rêves fossiles.
La fatalité corrompue approuve
L'élan de germination qu'elles couvent.

Mes pensées ne sont pas des reines imaginaires
Qui, trônant sur la lune, pensent posséder terre;
Mais la luminescence d'un soleil singulier,

Né des appels de bergers désorientés.
Sorties de l'Esprit, elles éclosent les espérances,
Malgré l'insouciance des âmes en errance.


Poème tiré Cicatrices, Facebook




 
  

 

Coup de coeur
 
Dana Shishmanian,  Éliette Vialle,
Dominique Zinenberg,
Gertrude Millaire,  
Francopolis décembre 2014

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