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Coup de coeur : Archives 2010-2013

  Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur.


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( un tableau de Bruno Aimetti)

 

À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes,
d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

**

Poème Coup de Coeur du Comité

 

DÉCEMBRE 2016

Chantal Cudel, choix Michel Ostertag
Eugenio De Andrade, choix François Minod

Joseph Delteil, choix Mireille Diaz-Florian
Robert Villemus,
choix Éliette Vialle
Madeleine Lefebvre,
choix Gertrude Millaire
Christiane Veschambre,
choix Dominique Zinenberg

Patricia Laranco, choix Dana Shishmanian

 

 

CHANTAL CUDEL

Chantal Cudel,

choix Michel Ostertag

ABSENCE

 

Toute en creux douloureux
Toute en creux désertés
De l'épaule sans ta bouche
Au feuillage fermé
De la hanche en dérive
Sans ta main amarrée
A mes seins de givre
Au galbe délaissé
Tu m'es cri
Tu m'es absence
Tu m'es silence
Tu m'es souffrance.
Toute en suave inventé
Toute en vagues échouées
De ta bouche fermée
Sur nos baisers d'hier
A ton ancre couchée
Au lit froid du désert
Tu m'es souffrance
Tu m'es silence
Tu m'es absence
Tu m'es cri.

 

***

 

PRENDS TA BARQUE

 

Sous la lune

Prends ta barque.

Accompagne la mienne

Vers son dernier voyage

Sur les vagues de brume.

Doucement, doucement.

Que l'étole d'Éole

En un dernier hymen

Nous emmène

Au large.

Puis

Laisse moi partir

Assise à la hune

Lentement

Vers là-bas

Où naissent et meurent

Les éléments.

Rentre au port

Au petit jour

Dans la lumière incendiée

D'un matin d'été.

Dans chaque soleil

Je te serai.

 

***

 

VIVRE

 

S'abreuver au sourire d'un étang qui se cache

Et marcher dans la tourbe aux odeurs de safran.

Aérer ses cheveux d'une pensée volage

Et marcher, le bonheur poussé par le vent.

Marcher infiniment, marcher goulûment,

Marcher à pleines jambes,

Marcher à pleines dents.

Le corps émoustillé par mille feuilles craquantes

Le pas dévoreur et l'esprit tant ouvert!

S'élever du regard sur la hampe des arbres

Et rimer pleins poumons, le nez en l'air…

Inspirer doucement, inspirer simplement,

Inspirer narines en corolles,

S'abreuver, s'exalter…

Reconnaître le chêne, la girolle, la fougère,

Entre mille parfums, tous prompts à s'affoler.

Cligner des yeux pour mouiller les couleurs

Et peindre son tableau, tout à l'intérieur.

 

****

 

DÉSORMAIS

 

Échouée sur la grève,
Je t'attends.
Infiniment.
Longtemps.
Je t'attends
Le cœur à l'océan.
Sans temps,
Entre lune et soleil.
Là-bas,
Au large,
Ailleurs,
Je t'attends.
Immense,
Émouvante,
Échouée,
Béante,

 

La tête aux étoiles,
L'âme en Mer

 

 

 EUGENIO  DE  ANDRADE

 

 

Eugenio de Andrade, choix François Minod

 

Matière solaire (extraits)
                                                                                      

I


Tu pourrais apprendre à la main
un autre art,
Celui de traverser le verre;

tu pourrais lui apprendre
à creuser la terre
dans laquelle tu suffoques syllabe après syllabe;

et même devenir eau,
là où, à force d'être regardées
les étoiles tombaient.

II


                                                                                          
Le mur est blanc
et brusquement
sur le banc du mur tombe la nuit.

Il y a un cheval proche du silence,
une pierre froide sur la bouche,
pierre aveuglée de sommeil.

Je t'aimerais si tu venais maintenant,
si tu penchais
ton visage sur le mien tellement pur
et tellement perdu,
à vie.

 

 

III



                                                                                        
Il y avait
un mot
dans l'obscurité.
Minuscule. Ignoré.

Il martelait dans l'obscurité.
Il martelait
dans le socle de l'eau.

Du fond du temps,
il martelait.
Contre le mur.

Un mot.
Dans l'obscurité.
Qui m'appelait.

                                                                                          

IV


Ce soleil, je ne sais si je l'ai déjà dit,
ce soleil est la mer tout entière
de mon enfance.
C'est comme s'il était presque midi,
ses cheveux brûlent,
mais je rêve d'une autre bouche.

Où apprendre à devenir eau.

 

(Eugenio De Andrade in Matière solaire, NRF Poésie/Gallimard)

*

Eugenio De Andrade aime ses définitions affirmatives, dont il éclaire « le chemin presque triste des mots ». Celle-ci pourrait nous guider dans son œuvre à la manière d’une devise : sous le signe de la poésie, la vie se doit d’être lumière, lumière qui ne surplombe pas, écrasant tout, mais qui vienne embraser les reliefs du réel en les embrassant de rayons obliques, presque horizontaux. Cette illumination intense ayant lieu à l’intérieur du corps, elle ne renvoie à aucune transcendance, mais s’installe sans jamais le déborder dans le champ immanent des possibles 

 

 

 « C’est au-dessus que la bouche est lumineuse ».

Patrick Quillier (extrait de la préface)

 

JEANNE D’ARC
DE JOSEPH DELTEIL

 

Jeanne d’Arc, de Joseph Delteil,

choix Mireille Diaz-Florian

Dès son arrivée à Orléans, elle écrit aux anglais la fameuse lettre : ALLEZ-VOUS-EN !

Jésus, Marie,

 

Roi d’Angleterre et vous duc de Bethfort, Guillaume de la Poule, comte de Suffort, William Glacidas, Jean, sire de Talbot, et vous Thomas, sire d’Escalles, archers, compagnons de guerre gentils, et autres, ALLEZ-VOUS-EN, DE PART DIEU, EN VOS PAYS ! Rendez à la Pucelle les bonnes villes que vous avez prises et violées en France. Sinon, il vous en cuira. Je suis chef de guerre, et en quelque lieu que j’atteigne vos gens en France, combat à mort ! Je suis venue ici de par Dieu, corps pour corps, pour vous bouter hors de toute France.



         Écrit le mardi de la Semaine Sainte

 

LA PUCELLE

 Ah ! Le grand ton et comme il vous dilate le crâne, la poitrine et les reins ! Quelle allégresse dans la menace, quelle santé dans la belle fureur ! Et comme il sent bon, ce mélange de pichenettes et de sanguinaires interpellations ! C’est bien là la Jeanne d’Arc qui me plaît jusqu’à l’apostrophe ! La Pucelle qui éclate dans mon cœur ! Ah ! Jeanne, Jeanne, comme tu es toute à moi. Tu es bien l’incarnation de mon rêve, le personnage essentiel de mon drame, et si par chance tu n’avais pas existé, certes, je me fusse donné les gants de t’engendrer de toutes pièces !

(Chapitre IX Allez-vous-en)

 

 

Le bûcher se dressait sur la place du Vieux Marché de Rouen, le marché au poisson. Il était huit heures du matin. Mai était doux comme un mois femelle. Un jeune soleil flambant neuf montait dans un horizon de mousse. Le lait de toute la Normandie irradiait dans l’atmosphère, en larges tâches blanchâtres. L’air sentait la

 pomme,la barque et le sel.

Le marché finissait. On enlevait en hâte des planches, des bâches. Sur le sol, dans les ruisseaux gras, traînaient des débris marins, des têtes de poisson, des tas de moules. Et déjà de grands balayeurs incommensurables lavaient la place à grande eau, à grands gestes.

          

Au fond de la place, dans un petit bistrot à poules, le bourreau, en manches de chemise dégustait un verre de blanc.

 

Vers 8h 10 commencèrent à rappliquer quelques autorités, le service d’ordre, les soldats. Bientôt, les premiers bambins apparurent. Cauchon vint faire un tour, puis s’éclipsa. Peu à peu, la foule arrivait de toutes parts. Des colombes lissaient leurs ailes sur les toits.

 

A 9 heures précises, un fourgon amena la Pucelle

 

(Chapitre XIX Le feu)

 

 

  

MADELEINE LEFEBVRE 

Madeleine Lefebvre,

choix Gertrude Millaire

Nous qui pensons être

La première neige

 

 

Glisse, tombe

   Danse et tourne et tombe

 

     Aurores suintées

 

 

      Mon hiver est puissant

 

 

**

 

SOUS MA COUVERTUE



  Ton visage n’a pas d’âge
  Pages froissées tachées d’herbe

 

      Mes envies, transparentes
    Sous les projecteurs
  De tes zones grises

Les heures se cristallisent
   Sur nos cils diaphanes

       Quelques feintes brèves
         Peut-être pas
          J’ai mal lu
            Tu es étranger


Madeleine Lefèvre

Ces belles brindilles sont tirées de son premier recueil de poésie,
Une forme d’ivresse publié chez La note verte.

 

Publications
L’effet tornade, récit

Dans mes veines, romans, tous deux aux Éd. Vents d’Ouest-Gatineau, Qc.

 

   CHRISTIANE VESCHAMBRE

Christiane Veschambre,

choix Dominique Zinenberg

  L’histoire de nos parents nous est obscure. C’est de cette obscurité que nous venons. Et celle de leurs parents l’était encore plus. Les enfants sont le fruit d’un engendrement continu d’énigmes. Telle est la genèse. Si l’énigme ne vient pas à nous, la vie connaît des arrêts, elle se retourne sur elle-même et se retrouve face à l’obscurité infinie dont elle procède. C’est une obscurité qui paradoxalement s’accroît au fur et à mesure que les yeux s’y habituent.

 

  De la boue remonte à ma surface. La boue de la honte. Non pas la honte légitime de mes indifférences lorsque j’en prends conscience, mais la honte noire, la boue grasse enfouie dans les profonds sous-sols par-dessus lesquels j’ai construit un solide immeuble de plusieurs étages. Qui se dressait, comme mon cou et ma tête au-dessus de la foule, dans la clarté sans pitié qui renie les fondations de glaise.

 

  J’ai rêvé que, penchée au-dessus du parquet éventré d’un étage, je voyais au fond, un petit tas noir de chiffons sur la masse noire des entrailles du sous-sol. Je comprenais qu’il s’agissait d’un homme travaillant à extraire de cette masse le minerai noir, corps à corps si humble et si pénible qu’il n’était lui-même que ce petit tas noir.

 

  Il me faut travailler à mettre à jour le petit tas noir de mes hontes, le terreau, en moi, du vivant.

 

Les Mots pauvres, Christiane Veschambre, Cheyne Éditeur, 1996.

 

 

 

 ROBERT VILLEMUS

 

Robert Villemus,

choix Éliette Vialle

 

Credo…

 

Le bonheur, c'est :

dans le pré qui verdoie,

sur la route qui poudroie,

dans le feu qui rougeoie,

mais tant que le fanatique tuera,

tant que la planète se consumera,

tant qu'un peuple périra,

tant qu'un animal gémira,

et surtout tant qu'un enfant souffrira,

rien ne changera

et alors, être heureux...

désespérément, non !

 

 

 

 PATRICIA LARANCO

Patricia Laranco,

choix Dana Shishmanian

Lumière

Lumière aux angles coupants

jour léger

aux clartés

de verre

propre, briqué de part en part;

on dirait

qu'on voit au travers

et les reflets

fusent partout

dedans les surfaces vitrées

hachant et brouillant l'univers,

le mettant sens-dessus-dessous,

le changeant

en capharnaüm.

Une vitre, à une croisée

tel un soleil fou

nous aveugle.

 

Étendues

Haleine grise et rouille, arbres cendrés gauchis :

les bois

à dévaler

 

talus épais d'humus

au rouge exubérant

comme crête de coq

qui suivent les ravins

 

Derrière chaque tronc

l'espace au grand écart

qui se tient à l'affût,

prêt

à fondre sur vous.

 

Langues écarlates

Des feuilles en matelas

bien compacts et tassés

fourreaux

de l'étendue –

qui accompagne quoi ?

 

Improvisation

Je me laisse quelquefois porter par le vide,

par sa vague de silence qui est

le plein,...

il apporte en moi

le blanc soleil de la page,

et ses ergs et ses barkhanes à perte de vue.

Je me remplis du vide comme on a faim d'eau,

comme l'outre a la soif de toute rareté.

J'y flotte comme une bulle,

il m'irise enfin

et je n'ai plus nul souci d'où le temps

me mène.

 

Ces quelques poèmes récents de Patricia, glanés sur Facebook, avec enchantement… pour me tenir bonne compagnie en cette fin d’année. Merci à elle pour son écriture aussi belle que véridique et puissante !  

 

 

Coup de coeur

Michel Ostertag,
Éliette Vialle, Dominique Zinenberg,
Gertrude Millaire, François Minod,

Mireille Diaz-Florian, Dana Shishmanian

Francopolis décembre 2016

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