Chantal
  Cudel, 
  choix
  Michel Ostertag 
  
  
   
    | 
     ABSENCE 
      
    Toute
    en creux douloureux 
    Toute en creux désertés 
    De l'épaule sans ta bouche 
    Au feuillage fermé 
    De la hanche en dérive 
    Sans ta main amarrée 
    A mes seins de givre 
    Au galbe délaissé 
    Tu m'es cri 
    Tu m'es absence 
    Tu m'es silence 
    Tu m'es souffrance. 
    Toute en suave inventé 
    Toute en vagues échouées 
    De ta bouche fermée 
    Sur nos baisers d'hier 
    A ton ancre couchée 
    Au lit froid du désert 
    Tu m'es souffrance 
    Tu m'es silence 
    Tu m'es absence 
    Tu m'es cri. 
      
    *** 
      
    PRENDS TA
    BARQUE 
      
    Sous la lune 
    Prends ta
    barque. 
    Accompagne la
    mienne 
    Vers son
    dernier voyage 
    Sur les vagues
    de brume. 
    Doucement,
    doucement. 
    Que l'étole
    d'Éole 
    En un dernier
    hymen 
    Nous emmène 
    Au large. 
    Puis 
    Laisse moi
    partir 
    Assise à la
    hune 
    Lentement 
    Vers là-bas 
    Où naissent et
    meurent 
    Les éléments. 
    Rentre au port 
    Au petit jour 
    Dans la lumière
    incendiée 
    D'un matin
    d'été. 
    Dans chaque
    soleil 
    Je te serai. 
      
    *** 
      
    VIVRE 
      
    S'abreuver au
    sourire d'un étang qui se cache 
    Et marcher dans
    la tourbe aux odeurs de safran. 
    Aérer ses
    cheveux d'une pensée volage 
    Et marcher, le
    bonheur poussé par le vent. 
    Marcher
    infiniment, marcher goulûment, 
    Marcher à
    pleines jambes, 
    Marcher à
    pleines dents. 
    Le corps
    émoustillé par mille feuilles craquantes 
    Le pas dévoreur
    et l'esprit tant ouvert! 
    S'élever du
    regard sur la hampe des arbres 
    Et rimer pleins
    poumons, le nez en l'air… 
    Inspirer
    doucement, inspirer simplement, 
    Inspirer
    narines en corolles, 
    S'abreuver,
    s'exalter… 
    Reconnaître le
    chêne, la girolle, la fougère, 
    Entre mille
    parfums, tous prompts à s'affoler. 
    Cligner des
    yeux pour mouiller les couleurs 
    Et
    peindre son tableau, tout à l'intérieur. 
      
    **** 
      
    DÉSORMAIS 
      
    Échouée
    sur la grève, 
    Je t'attends. 
    Infiniment. 
    Longtemps. 
    Je t'attends 
    Le cœur à l'océan. 
    Sans temps, 
    Entre lune et soleil. 
    Là-bas, 
    Au large, 
    Ailleurs, 
    Je t'attends. 
    Immense, 
    Émouvante, 
    Échouée, 
    Béante, 
      
    La
    tête aux étoiles, 
    L'âme en Mer 
      
     | 
    
   
   
   
   
   
  
  
  
  
    
  Eugenio
  de Andrade, choix François Minod 
    
   
   
   
  
  
  
  
   
    
    
    Matière
    solaire (extraits) 
     
                                                                  
                          
    I 
     
    Tu pourrais apprendre à la main 
    un autre art, 
    Celui de traverser le verre; 
     
    tu pourrais lui apprendre 
    à creuser la terre 
    dans laquelle tu suffoques syllabe après syllabe; 
     
    et même devenir eau, 
    là où, à force d'être regardées 
    les étoiles tombaient. 
     
     
    II 
     
                       
                                                                          
     
    Le mur est blanc 
    et brusquement 
    sur le banc du mur tombe la nuit. 
     
    Il y a un cheval proche du silence, 
    une pierre froide sur la bouche, 
    pierre aveuglée de sommeil. 
     
    Je t'aimerais si tu venais maintenant, 
    si tu penchais 
    ton visage sur le mien tellement pur 
    et tellement perdu, 
    à vie. 
      
      
    III 
     
     
              
                                                                                 
     
    Il y avait 
    un mot 
    dans l'obscurité. 
    Minuscule. Ignoré. 
     
    Il martelait dans l'obscurité. 
    Il martelait 
    dans le socle de l'eau. 
     
    Du fond du temps, 
    il martelait. 
    Contre le mur. 
     
    Un mot. 
    Dans l'obscurité. 
    Qui m'appelait. 
     
                       
                                                                           
    IV 
     
    Ce soleil, je ne sais si je l'ai déjà dit, 
    ce soleil est la mer tout entière 
    de mon enfance. 
    C'est comme s'il était presque midi, 
    ses cheveux brûlent, 
    mais je rêve d'une autre bouche. 
     
    Où apprendre à devenir eau. 
      
    (Eugenio De
    Andrade in Matière solaire, NRF
    Poésie/Gallimard) 
    * 
    Eugenio De Andrade
    aime
    ses définitions affirmatives, dont il éclaire « le chemin presque
    triste des mots ». Celle-ci pourrait nous guider dans son œuvre à la
    manière d’une devise : sous le signe de la poésie, la vie se doit
    d’être lumière, lumière qui ne surplombe pas, écrasant tout, mais qui
    vienne embraser les reliefs du réel en les embrassant de rayons obliques,
    presque horizontaux. Cette illumination intense ayant lieu à l’intérieur du
    corps, elle ne renvoie à aucune transcendance, mais s’installe sans jamais
    le déborder dans le champ immanent des possibles  
      
      
     « C’est au-dessus que la bouche est
    lumineuse ». 
    Patrick
    Quillier (extrait de la préface) 
      
     
     | 
    
   
   
   
   
  
  
   
    | 
     JEANNE
    D’ARC  
    DE JOSEPH DELTEIL
     
     | 
    
   
   
  
  
    
  Jeanne d’Arc, de
  Joseph Delteil, 
  choix Mireille
  Diaz-Florian 
   
   
  
  
   
    | 
     Dès son
    arrivée à Orléans, elle écrit aux anglais la fameuse lettre :
    ALLEZ-VOUS-EN ! 
    Jésus, Marie, 
      
    Roi d’Angleterre et vous duc de Bethfort,
    Guillaume de la Poule, comte de Suffort, William Glacidas, Jean, sire de
    Talbot, et vous Thomas, sire d’Escalles, archers, compagnons de guerre
    gentils, et autres, ALLEZ-VOUS-EN, DE PART DIEU, EN VOS PAYS ! Rendez
    à la Pucelle les bonnes villes que vous avez prises et violées en France.
    Sinon, il vous en cuira. Je suis chef de guerre, et en quelque lieu que
    j’atteigne vos gens en France, combat à mort ! Je suis venue ici de
    par Dieu, corps pour corps, pour vous bouter hors de toute France. 
     
     
     
             Écrit
    le mardi de la Semaine Sainte 
      
    LA PUCELLE 
     Ah ! Le grand ton et comme il vous
    dilate le crâne, la poitrine et les reins ! Quelle allégresse dans la
    menace, quelle santé dans la belle fureur ! Et comme il sent bon, ce
    mélange de pichenettes et de sanguinaires interpellations ! C’est bien
    là la Jeanne d’Arc qui me plaît jusqu’à l’apostrophe ! La Pucelle qui
    éclate dans mon cœur ! Ah ! Jeanne, Jeanne, comme tu es toute à
    moi. Tu es bien l’incarnation de mon rêve, le personnage essentiel de mon
    drame, et si par chance tu n’avais pas existé, certes, je me fusse donné les
    gants de t’engendrer de toutes pièces ! 
    (Chapitre IX Allez-vous-en) 
      
      
    Le bûcher se
    dressait sur la place du Vieux Marché de Rouen, le marché au poisson. Il
    était huit heures du matin. Mai était doux comme un mois femelle. Un jeune soleil
    flambant neuf montait dans un horizon de mousse. Le lait de toute la
    Normandie irradiait dans l’atmosphère, en larges tâches blanchâtres. L’air
    sentait la 
     pomme,la
    barque et le sel. 
     
     
    Le marché
    finissait. On enlevait en hâte des planches, des bâches. Sur le sol, dans
    les ruisseaux gras, traînaient des débris marins, des têtes de poisson, des
    tas de moules. Et déjà de grands balayeurs incommensurables lavaient la
    place à grande eau, à grands gestes. 
               
    Au fond de la place, dans un petit bistrot à
    poules, le bourreau, en manches de chemise dégustait un verre de blanc. 
      
    Vers 8h 10
    commencèrent à rappliquer quelques autorités, le service d’ordre, les
    soldats. Bientôt, les premiers bambins apparurent. Cauchon vint faire un
    tour, puis s’éclipsa. Peu à peu, la foule arrivait de toutes parts. Des
    colombes lissaient leurs ailes sur les toits. 
      
    A 9 heures
    précises, un fourgon amena la Pucelle 
      
    (Chapitre XIX Le feu) 
      
      
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  Madeleine Lefebvre, 
  choix Gertrude Millaire 
   
   
   
  
  
   
    
    
    
     
      | 
       Nous qui pensons être 
      La première
      neige 
        
        
      Glisse, tombe 
        
      Danse et tourne et tombe 
        
          
      Aurores suintées 
        
        
           
      Mon hiver est puissant 
        
        
      ** 
        
      SOUS MA
      COUVERTUE 
       
       
        Ton
      visage n’a pas d’âge 
        Pages froissées tachées d’herbe 
        
            Mes envies, transparentes 
          Sous les projecteurs 
        De tes zones grises 
       
      Les heures se cristallisent 
         Sur nos cils diaphanes 
       
             Quelques feintes brèves 
               Peut-être pas 
                J’ai mal lu 
                  Tu es
      étranger 
       
      Madeleine Lefèvre 
      Ces belles brindilles sont tirées de son premier recueil de poésie,  
      Une forme d’ivresse publié chez La note verte. 
        
      Publications 
      L’effet tornade,
      récit 
      Dans mes veines,
      romans, tous deux aux Éd. Vents d’Ouest-Gatineau, Qc. 
       | 
      
     
     
     | 
    
   
   
  
    
  
  
  
   
   
   
  
  
  
  Christiane Veschambre, 
  choix Dominique Zinenberg 
  
  
   
    | 
      
    L’histoire
    de nos parents nous est obscure. C’est de cette obscurité que nous venons.
    Et celle de leurs parents l’était encore plus. Les enfants sont le fruit
    d’un engendrement continu d’énigmes. Telle est la genèse. Si l’énigme ne
    vient pas à nous, la vie connaît des arrêts, elle se retourne sur elle-même
    et se retrouve face à l’obscurité infinie dont elle procède. C’est une
    obscurité qui paradoxalement s’accroît au fur et à mesure que les yeux s’y
    habituent.  
      
     
    De la boue remonte à ma surface. La boue de la honte. Non pas la
    honte légitime de mes indifférences lorsque j’en prends conscience, mais la
    honte noire, la boue grasse enfouie dans les profonds sous-sols par-dessus
    lesquels j’ai construit un solide immeuble de plusieurs étages. Qui se
    dressait, comme mon cou et ma tête au-dessus de la foule, dans la clarté
    sans pitié qui renie les fondations de glaise.  
      
     
    J’ai rêvé que, penchée au-dessus du parquet éventré d’un étage, je
    voyais au fond, un petit tas noir de chiffons sur la masse noire des
    entrailles du sous-sol. Je comprenais qu’il s’agissait d’un homme
    travaillant à extraire de cette masse le minerai noir, corps à corps si
    humble et si pénible qu’il n’était lui-même que ce petit tas noir.  
      
     
    Il me faut travailler à mettre à jour le petit tas noir de mes
    hontes, le terreau, en moi, du vivant.  
      
    Les Mots
    pauvres, Christiane
    Veschambre, Cheyne Éditeur, 1996.  
     | 
    
   
   
    
    
    
  
    
  Robert Villemus,  
  choix Éliette
  Vialle 
    
  Credo… 
    
  Le bonheur, c'est :
   
  dans le pré qui verdoie, 
  sur la route qui poudroie, 
  dans le feu qui rougeoie, 
  mais tant que le fanatique tuera, 
  tant que la planète se consumera, 
  tant qu'un peuple périra, 
  tant qu'un animal gémira, 
  et surtout tant qu'un enfant souffrira, 
  rien ne changera 
  et alors, être heureux... 
  désespérément, non ! 
    
  
    
    
  
  Patricia Laranco, 
  choix Dana
  Shishmanian 
  
  
   
    
    Lumière 
    Lumière aux angles coupants 
    jour léger 
    aux clartés  
    de verre 
    propre,
    briqué de part en part; 
    on dirait 
    qu'on voit au
    travers 
    et les reflets 
    fusent
    partout 
    dedans les
    surfaces vitrées 
    hachant et
    brouillant l'univers, 
    le mettant
    sens-dessus-dessous, 
    le changeant 
    en
    capharnaüm. 
    Une vitre, à
    une croisée 
    tel un soleil
    fou 
    nous aveugle. 
      
    Étendues
    Haleine grise et rouille, arbres cendrés
    gauchis : 
    les bois 
    à dévaler 
      
    talus épais d'humus 
    au rouge exubérant 
    comme crête de coq 
    qui suivent les ravins 
      
    Derrière chaque tronc 
    l'espace au grand écart 
    qui se tient à l'affût, 
    prêt 
    à fondre sur vous. 
      
    Langues écarlates  
    Des feuilles en matelas 
    bien compacts et tassés 
    fourreaux 
    de l'étendue – 
    qui accompagne quoi ? 
      
    Improvisation
    Je me laisse quelquefois porter par le
    vide, 
    par sa vague de silence qui est 
    le plein,... 
    il apporte en moi 
    le blanc soleil de la page, 
    et ses ergs et ses barkhanes à perte de
    vue. 
    Je me remplis du vide comme on a faim
    d'eau, 
    comme l'outre a la soif de toute
    rareté. 
    J'y flotte comme une bulle, 
    il m'irise enfin 
    et je n'ai plus nul souci d'où le temps 
    me mène. 
      
    Ces quelques poèmes récents de
    Patricia, glanés sur Facebook, avec enchantement… pour me tenir bonne
    compagnie en cette fin d’année. Merci à elle pour son écriture aussi belle
    que véridique et puissante !   
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