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Coup de coeur : Archives 2010-2013

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.


Poèmes - Coup de Coeur du Comité

FÉVRIER 2016

  François  Teyssandier
Pedro Vianna
Tristan Cabral
Jean Tardieu
Jean-Michel Maulpoix
Hector St-Denys Garneau
Emily Dickinson





FRANÇOIS  TEYSSANDIER


  François  Teyssandier
, poète français, choix Éliette Vialle

Tu tournes les pages
Du ciel comme s’il était
Un livre de légendes et de voyages

Qui te raconte à l’infini
Chaque instant de partage
Avec les rêves et les couleurs du vent

                                 *

Accompagne le fil du temps
Qui s’étire d’un seuil à l’autre

Que la lumière ne reste pas seule
Dans les jardins silencieux de ta mémoire

A combattre l’ombre portée de ton corps
Et l’éclat sans cesse grandissant du ciel

Qui s’agrippe désespérément aux arbres
Et heurte de plein fouet les pierres

                                *

Prends en partage ton ombre
Comme seul viatique
Pour prier à genoux la lumière

De se dresser comme une flamme
Que le vent déploie sur le gel brûlant des jours
Et sur la cendre encore chaude de ces astres

Qui gravitent dans l’orbe de tes rêves
Et de tes peurs toujours enfantines
A travers les méandres obscurs de tes mots

*
Comédien, puis enseignant. A publié trois pièces de théâtre jouées en France, en Belgique, en Suisse et en Tunisie,  et quatre recueils de poésie.
Publication de nouvelles et de poèmes dans une quarantaine de revues en France, en Belgique, au Canada, et aux Seychelles, ainsi que dans plusieurs anthologies. Vit à Paris.

PUBLICATIONS :
THEATRE :
- DES VOIX DANS LA VILLE, (L’Avant-scène théâtre)
- L’ACCUSATION, (L’Avant-scène théâtre)
- LE TEMPS DE SOLITUDE, (L’Avant-scène théâtre), pièce créée, mise en scène et jouée par l’auteur au Théâtre de Plaisance à Paris.

POESIE :
LA MUSIQUE DU TEMPS, éd. P.J.OSWALD
LIVRES DU SONGE, éd. Belfond (Prix Louise Labé)
PAYSAGES NOMADES, éd. Voix d’encre
EQUILIBRE INSTABLE DE LA LUMIERE, éd. DuCygne                                                                   *

   PEDRO VIANNA

Pedro Vianna, choix Dana Shishmanian
il me plaît
d’imaginer que jadis
le puy
se déplaçait vers le sud
pour se trouver au centre
dans ce pays des mille confins
qu’il se réunissait au pied des puys
pour louer toutes les musiques
il me plaît d’imaginer qu’alors
ivres des puys de leur puy de leur marie
trouvères troubadours ménestrels
parfois même sonneurs
devinaient
que les puys
sont des puits inversés
emplis d’eau de feu
jaillissant vers le ciel

***

quelque part
une araignée monte au plafond
silence
ailleurs
quelqu’un souffre sans savoir pourquoi
un cri
quelque part
l’araignée descend du plafond
un cri
ailleurs
la souffrance s’éteint
silence
et partout
on pleure et on rit

***

quand les lueurs de désespoir
t’aveugleront
surtout ne désespère pas
garde ton sang chaud
pour qu’il ne cesse point de circuler
et agis en être sensé
fais la seule chose censément efficace
crée les conditions pour que les ténèbres descendent
et si elles rechignent
chausse des lunettes noires


(extraits de son nouveau recueil Indocilités, mis en ligne sur son site le 15 janvier 2016)


 
TRISTAN CABRAL


Tristan Cabral, choix  François Minod

Noé…
          « Fais-toi une arche en bois de Gopher »
                                                                                                     (Génèse. 6.v I.4 )

Si vaste d’être seul, j’ai toujours aimé les cendres.
Surtout les cendres de la Nuit. Et surtout quand la nuit
                                          est partout !

   Écoutez-moi : je suis né au couteau sous des cendres
                                          De loups !
   Exilé dans le miroir d’un mort, comme si un inconnu
                                          Marchait à mes côtés.

Privé de visage, je n’ai jamais pleuré. Si j’avais eu un père,
                                          J’aurais eu un visage.
   Loin du Grand Jardin, les roses tombaient.
   D’épuisement en épuisement. Je voulais toujours
                                          M’enfermer dans les arbres.

Ils savaient le mystère de l’eau mais l’eau que je suivais était écorchée vive.                                    Je ne pouvais pas boire.
   Sur la Montagne sainte, je n’ai pas vu de dieu, même pas de dos !
                                          MON NOM était IMPRONONÇABLE…
   J’avais une chair obscure. À l’entaille des eaux, je rêvais à bout portant.
                                          Je rêvais d’armes.

                                          Des bêtes saignaient derrière mes yeux.
À genoux dans les heures, j’avançais en silence, à pas de mort.
Les eaux m’abandonnaient à chaque démesure.
   Si vaste d’être seul, je n’ai pas pris ton Arche. 


Sur une croix de bois
  rejetée par la mer
           
               On peut lire en trois langues :
         en arménien, en hébreu et en grec
       «  SI VASTE D’ÊTRE SEUL…….. !  »

(Tristan Cabral in Si vaste d’être seul,  Cherche midi, 2013)

Tristan Cabral occupe une place singulière dans le paysage poétique contemporain. Dès la publication de son premier recueil, Ouvrez le feu (1974), il a rencontré l’adhésion de milliers de lecteurs, sensibles à cette voix chargée des tempêtes de l’histoire contemporaine. Il est l’auteur d’une quinzaine de recueils, dont dernièrement , HDT (hospitalisation à la demande d’un tiers) 2010 et Juliette ou le chemin des immortels (2013) publiés au Cherche midi.



JEAN TARDIEU


Jean Tardieu, choix Bernard  Negre

Procès-verbal

Cet individu était seul
Il marchait comme un fou
Il parlait aux pavés
souriait aux fenêtres
pleurait en dedans de lui-même
et sans répondre aux questions
il se heurtait aux gens, semblait ne pas les voir.

Nous l’avons arrêté.

**

La nuit, le silence et l’au-delà

Un soupir dans l’espace énorme
Puis une voix murmure
« Gontran, es-tu là ? »
Pas de réponse
Des pas s’en vont comme des nuages.

***


Conversation
(sur le pas de la porte, avec bonhommie)
Comment ça va sur la terre
- Ça va,ça va, ça va bien.

Les petits chiens sont-ils prospères ?
- Mon Dieu oui merci bien.

Et les nuages ?
- Ça flotte
Et les volcans
- Ça mijotte
Et les fleuves.
Ça s’écoule
Et le temps
- Ça se déroule
Et votre âme ?
- Elle est malade.
le printemps était trop vert
elle a mangé trop de salade.




JEAN-MICHEL MAULPOIX


Jean-Michel Maulpoix
choix de Dominique Zinenberg

Tout ce bleu n'est pas de même encre.

On y discerne vaguement des étages et des sortes d'appartements, avec leurs numéros, leurs familles de conditions diverses, leurs papiers peints, leurs photographies, leurs vacances dans les Alpes et leurs terrasses sur l'Atlantique, les satisfactions ordinaires et les complications de leurs vies. La condition du bleu n'est pas la même selon la place qu'il occupe dans l'échelle des êtres, des teintes et des croyances. Les plus humbles se contentent des étages inférieurs avec leurs papiers gras et leurs graffitis : ils ne grimpent guère plus haut que les toits hérissés d'antennes. Les plus heureux volent parfois dans un impeccable azur et jettent sur les cités humaines ce beau regard panoramique qui distrayait autrefois les dieux. Dans l'entre-deux, quoique près du sol, juste à hauteur du regard et des lèvres de l'homme, piqués comme des balises sur la ligne d'horizon, brillent les yeux de la femme, d'un bleu exact et clair. Ce bleu n'est guère qu'un signe peint, une minuscule araignée d'encre. Mais elle transporte ainsi le ciel sur son visage. Une miette d'infini tremble sous ses paupières. Un peu de jour est tombé là; un reste de pensée s'attarde, ou de croyance, à la place même de l'âme qui n'est qu'une tache de lumière dans l'obscurité de la tête. (p.68)

                                                                    *
Quand elle défait sa robe, l'homme se tait.

Il regarde le corps à jamais bleu de la chimère et du désir. Il écoute s'amplifier sa plainte : tant de beauté pour rien. Le ciel et la mer, ce jour, sont de même chair. Peut-être l'horizon est-il la ligne de partage de l'âme. L'homme pèse à son prix le désastre qui le tient rivé à ses rêves, une écume quelconque sur la bouche, dans l'entre-deux du bleu et de l'azur.

Jamais pourtant de son propre corps elle ne se dévêt. Elle ne consent à dénouer que ses cheveux, violets, dit-on , comme sont les tresses des muses où les doigts de l'homme restent pris. C'est un corps de femme autour de l'idée de la mort, à moins que ce ne soit la peau d'un ange, une voix, une main, deux gouttes de sang naguère tombées d'un poignet d'enfant, une tache d'encre bleue fleurissant le papier, un peu de ciel qui s'est perdu, le rêve ancien d'une âme égarée dans la chair somnolente et bleue de la mer.(p. 129)




ST-DENYS GARNEAU  HECTOR


Hector St-Denys Garneau,  choix Gertie

ACCOMPAGNEMENT

Je marche à côté d'une joie
D'une joie qui n'est pas à moi
D'une joie à moi que je ne puis pas prendre

Je marche à côté de moi en joie
J'entends mon pas en joie qui marche à côté de moi
Mais je ne puis changer de place sur le trottoir
Je ne puis pas mettre mes pieds dans ces pas-là
                              et dire voilà c'est moi

Je me contente pour le moment de cette compagnie
Mais je machine en secret des échanges
Par toutes sortes d'opérations, des alchimies,
Par des transfusions de sang
Des déménagements d'atomes
                              par des jeux d'équilibre

Afin qu'un jour, transposé,
Je sois porté par la danse de ces pas de joie
Avec le bruit décroissant de mon pas à côté de moi
Avec la perte de mon pas perdu
                              s'étiolant à ma gauche
Sous les pieds d'un étranger
                              qui prend une rue transversale.

 

En savoir plus
Ce poète, mort trop jeune, un seul recueil, Regards et jeux dans l'espace
et c'est sans doute ce qui le rend si différent et attachant et réconfortant à la fois...¸
... sa présence  m'est essentiel tout au long des mes sentiers.






DICKINSON  EMILY


EMILY DICKINSON, choix Mireille Diaz-Florian

Quatrains Emily Dickinson


The thought beneath so slight a film-       La pensée sous un voile aussi léger-
Is more distinctly seen-                         Se voit plus nettement-
As laces just reveal the surge-                Comme dentelles révèlent la vague-
Or Mists- the Appenine-                         Ou Brumes- l’Apennin-


Pictures are to the daily faces                 Le portrait est au visage quotidien
As an Evening West                               Ce qu’est le Couchant
To a fine- pedantic Sunshine                   A un beau soleil-magistral-
In a satin Vest.                                     En Gilet de satin.


The Definition of Beauty is                       La Définition du Beau est
That Definition is none-                          Qu’il n’est pas de Définition-
Of Heaven, easing Analysis,                     Du Ciel, il rend aisée l’Analyse,
Since Heaven and He are One.                 Car le Ciel et Lui ne font qu’Un.

                                     ( A Susan Dickinson)

Finine- to fail, but infinite- to Venture       Fini-l’échec, mais infinie- l’Aventure
For the one ship that struts the shore       Pour un navire paradant sur la côte
Many’s the gallant-overwhelmed Creature  Plus d’une fière-Créature engloutie
Nodding in Navies Nevermore-                  Plus ne ballote parmi les Flottes-


We outgrow love, like other things            L’amour devient trop petit, comme le reste
And put it in the Drawer-                        On le range dans un tiroir-
Till it an Antique fashjon show                 Puis un jour sa mode apparaît Désuète
Like Costumes Gransires wore.                 Comme l’Habit que portaient nos aïeux.


Not knowing when the Dawn will come       Ne sachant quand viendra l’Aube
I open every Door,                                 j’ouvre toutes les Portes,
Or has is Feathers, like a Bird,                  Ou a-t-elle des Plumes comme l’Oiseau,
0r Billows, like a Shore-                           Des Vagues , comme un Rivage-

                                (Lettre à T.W.Higginson)

      
« Ce poète dont la voix ne nous parvient dans sa vérité que plus d’un siècle après sa mort, après avoir traversé des tunnels de silence, des murailles d’incompréhension ou, ce qui est presque pire, de malentendu, quel est-il ?

Pionnière, répondra-t-on pour reprendre des métaphores qui lui sont chères. Aventurière de l’esprit, ce territoire « sans colon ». Prospectrice des mines de l’âme. Exploratrice de l’espace intérieur. Défricheur du langage, n’ayant de cesse de le dresser face à la parole divine, d’en exploiter les prodigieuses ressources, d’en jouer tel un démiurge conscient de ses pouvoirs. A notre extrémité de la galerie d’où sa lumière, cent ans après, nous frappe parfois cruellement, ajoutons ferment d’intranquillité. Mystique du réel. Arc tendu entre l’extase et le néant. Poète de l’indémodable avant-garde…

Il me faut sans aucun doute les propos de Claire Malroux* extraits de sa préface des Quatrains ( Poèsie/ Gallimard), pour présenter quelques quatrains de ce poète- je n’aime pas le mot poétesse- qui me fascine par l’intensité de ses quatrains, lus d’abord en anglais à haute voix et relu ensuite en traduction. J’aime régulièrement dans mes exercices « d’avant l’écriture «, à ouvrir une ou deux pages de ce recueil. Je bute alors sur le sens, je cherche parfois à en briser l’écorce. Elle résiste. Cela même me traverse de sons et d’images. Je peux alors, en aveugle, explorer cet espace intérieur. Je vous le propose en coup de cœur.
               

* A lire la très belle biographie : Chambre avec vue sur l’éternité. Gallimard
     

Coup de coeur 
 
Éliette Vialle, Gertrude Millaire,
   Dominique Zinenberg, François Minod
Dana Shishmanian, Bernard Nègre,  Mireille Diaz-Florian
  
Francopolis février 2016

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